jeu 03 octobre 2024 - 22:10

Relativité n’est pas relativisme

(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)

Nous sommes naturellement incapables d’embrasser le réel dans sa totalité, ne serait-ce que celui qui nous entoure. C’est pourquoi notre intellect, jamais purifié de tous nos affects, l’interprète en fonction de l’expérience que nous en avons et de l’opinion que nous nous en faisons, selon la variabilité des circonstances et sur la base de nos ressentis positifs ou négatifs, conditionnés eux-mêmes par des grilles culturelles teintées de préjugés.

En fait, nous recomposons constamment nos images de la réalité, y attachant une attention plus ou moins vive et plus ou moins nouvelle – plus ou moins changeante, il faut bien le dire, plus ou moins confiante également et, en définitive, plus ou moins scrupuleuse…

Or, dans ce même bain de réalités, d’autres que nous sont plongés et réagissent aussi. Sous diverses influences et au gré de l’évolution de nos intérêts mutuels ou respectifs, nos perceptions, nos intentions et nos actions diffèrent. Bref, faute d’aucune objectivité humainement accessible, diverses formes d’intersubjectivité se métamorphosent en permanence, qu’on les entende tantôt comme des relations instables de personne à personne, fondées sur les qualités propres à chaque sujet pensant, tantôt, à l’inverse, comme des compréhensions communes suffisamment ressemblantes pour nous permettre d’échanger. Le terme d’intersubjectivité, comme on le voit, comporte par lui-même deux acceptions fort distinctes, qui signent jusque dans la langue le statut ambigu de nos consciences sous l’emprise de nos diverses réflexions. Et il nous faut à nouveau rebondir en soulignant, dans la même veine, que le mot même de réflexion renvoie aussi bien à des représentations élémentaires de ce que nous croyons être de stricts reflets du monde qu’au mûrissement de nos pensées quand nous nous efforçons d’examiner plus à fond les situations que nous agençons dans notre esprit.

Vous me pardonnerez de vous avoir infligé d’aussi pompeuses banalités et je m’en serais volontiers abstenu si je n’observais constamment qu’on tirait bien peu de conséquences de tels truismes. Nous pénétrer de la relativité de nos impressions et de nos jugements devrait spontanément nous conduire à accepter de confronter avec méthode et sincérité nos différences voire nos oppositions, en vue de les concilier pour mieux vivre ensemble et agir de concert. Il s’agit, d’ailleurs, de processus dynamiques où nous prenons en compte le bénéfice des découvertes qui se déclarent alors et qui nous font avancer en nous-mêmes aussi. Or il me semble qu’on s’efforce de moins en moins de rechercher des coexistences harmonieuses. L’ère du soupçon et du conflit se déploie sans vergogne à tout propos, comme si nous poursuivions, dans l’espace social et avec la même intensité, des scènes virtuelles de jeux vidéo. N’a-t-on pas le sentiment que les empreintes caricaturales gagnent partout du terrain ?

La relativité liée au caractère imparfait et limité des connaissances humaines devrait stimuler notre appétit pour des enrichissements pluriels et un tantinet paradoxaux. Il ne s’agit pas de réputer l’égalité des opinions, ce qu’on appelle « l’équipollence », mais l’égalité des droits à l’opinion, pour autant qu’on accepte de se livrer à des discussions loyales et argumentées, en gardant à l’esprit qu’au cours du temps, bien des audaces sont devenues des poncifs, sans pour autant congédier toujours l’ancien pour le nouveau. Certes, tout ne se vaut pas mais rien a priori n’est à rejeter en bloc. La relativité de nos conceptions ne saurait nous inciter à tout confondre, à verser dans une sorte de relativisme désenchanté mais bien plutôt à définir des voies prospectives à des exigences façonnées en commun, certes vouées à être reprises indéfiniment dans cette dialectique inhérente au mouvement même de l’Histoire. Il ne faut pas s’y tromper ni vouloir tromper son monde, en usant abusivement d’inflexions péjoratives : au sens où je l’entends ici, relativité n’est pas relativisme.

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Christian Roblin
Christian Roblin
Christian Roblin est le directeur d'édition et l'éditorialiste de 450.fm. Il a exercé, pendant trente ans, des fonctions de direction générale dans le secteur culturel (édition, presse, galerie d’art). Après avoir bénévolement dirigé la rédaction du Journal de la Grande Loge de France pendant, au total, une quinzaine d'années, il est aujourd'hui président du Collège maçonnique, association culturelle regroupant les Académies maçonniques et l’Université maçonnique. Son activité au sein de 450.fm est strictement personnelle et indépendante de ses autres engagements.

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