lun 16 septembre 2024 - 09:09

Faut-il déconstruire le GADLU ?

Frappé d’obsolescence, faut-il le supprimer, le jeter au rebut ? Faut-il au contraire le re-booster comme un vieil ordinateur fatigué, le reconditionner ? Ou au contraire, totem intouchable forgé en platine-iridium, faut-il le mettre sous trois cloches de verre, pour le conserver au Pavillon de Breteuil comme mètre-étalon ? La réponse est : OUI. 

Au commencement n’était pas du tout le GADLU. Au commencement n’était même pas Dieu, si l’on en croit Frédéric Lenoir dans Petit Traité d’Histoire des Religions. Les premiers rites funéraires remonteraient à 100 000 ans. Il n’est pas encore question de religion, mais c’est à partir d’eux que se serait développée l’idée de l’immortalité de l’âme, et le culte des ancêtres, à la fois craints et vénérés. Puis ces esprits ont commencé à se détacher progressivement des lignées familiales pour s’attacher aux lieux et aux mystères. À commencer par le mystère de la vie, le mystère de la fécondité. Au commencement, Dieu était une femme, les premiers dieux étaient des déesses. C’est le patriarcat qui va instaurer la prédominance de dieux masculins. Puis, au fur et à mesure que les groupes humains se sont socialisés, sédentarisés, multipliés, il y a eu besoin de récits de plus en plus englobants, de figures tutélaires de plus en plus totémiques pour les réunir. Dans l’Antiquité, les dieux sont attachés à une terre et à un peuple. Il n’y a pas de guerres de religion. Quand un peuple remporte une victoire sur un autre peuple, c’est que ses dieux étaient les plus forts, il suffit de remplacer les vaincus par les vainqueurs et l’histoire continue. D’ailleurs le culte religieux est strictement intéressé. Quand on obtient ce qu’on veut d’une divinité, on continue de l’honorer, de lui présenter des offrandes et d’entretenir son culte. Dans le cas contraire, on va en voir une autre. 

Le judaïsme instaure le premier dieu unique pour un peuple nomade. Les Hébreux étant itinérants, ils ne pouvaient pas adorer des dieux attachés à des lieux et logeant dans des temples en pierre. Il fallait un temple nomade qu’on emporte avec soi : l’Arche d’Alliance. Comme un contrat passé entre ce dieu et le peuple qu’il a élu. Ça n’allait pas tout seul. Frédéric Lenoir montre comment le judaïsme reste emprunt de polythéisme à ses débuts, et même tardivement. Il en ira un peu de même avec le christianisme. A la différence du judaïsme, il est prosélyte, il cherche à se répandre par la conversion et par le baptême. Il n’est pas attaché à un peuple en particulier, mais c’est en entrant dans cette religion, par le baptême, qu’on deviendrait membre de ce peuple. Pour autant, le christianisme apparaît largement comme un pseudo monothéisme, dans la mesure où il s’est employé à digérer toutes les croyances des peuples dits païens, à remplacer les divinités celtes par des saints, et donc à faire semblant de les supprimer tout en perpétuant leur culte. Les missionnaires ont fait la même chose en Afrique. 

Dieu est l’explication du monde. Non seulement, il est, d’après les textes sacrés, celui qui l’a créé en 6 jours, mais il est aussi sa raison ultime, la source de tous les phénomènes naturels, la source de toutes les lois de la nature, lesquelles ne sont pas autre chose que les lois de Dieu. La nature et l’Homme sont censées s’y soumettre, ils risquent son courroux s’ils osent s’en écarter. Et comme Dieu ne se manifeste pas directement, ce sont les clercs qui prétendent agir en son nom. La science n’est autorisée que dans la mesure où elle se contente d’illustrer et de confirmer le dogme religieux. Galilée, Copernic, peuvent en témoigner. Le mouvement humaniste, autour du XVIème siècle va chercher à s’affranchir de ce carcan pour permettre à la science, et plus généralement à la pensée, de se développer sur la base de ses propres références, sous l’égide de la raison, et avec une méthode d’approche basée sur l’observation et la preuve. 

La science et la religion, séparées l’une de l’autre, vont suivre des routes qui, pour être parallèles, se rencontrent pourtant. Les humanistes sont profondément croyants, qu’ils soient catholiques ou protestants. On connaît l’anecdote de Pierre-Simon Laplace présentant les premiers volumes de la Mécanique Céleste à Napoléon. A cette remarque de l’Empereur : “Mais vous ne parlez pas de Dieu”, il aurait répondu “Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse”. La raison de la religion et celle de la science sont distinctes, mais elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Pour dire les choses autrement, il y a eu un renversement de perspectives. Autrefois, c’était à la science de se conformer au dogme religieux. Désormais, c’est à la religion de s’adapter à l’avancée des connaissances scientifiques. 

Mais alors pourquoi le GADLU ? Justement, parce que cette fonction d’explication ultime du monde n’était plus prise en charge par la figure de Dieu et que cependant, tout n’était pas expliqué par la science, et ne le serait jamais. Voltaire, dans Les Cabales, reconnaissait : “ “L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger.” Le monde serait une superbe mécanique qu’un artisan suprême aurait conçu, construit et dont il se chargerait de maintenir l’harmonie. Horloger ou architecte ? Notre frère Gilbert Garibal, ici-même sur 450.fm, attribue à Philibert de l’Orme l’invention de la profession d’architecte. Philibert de l’Orme, grand architecte de la Renaissance né à Lyon en 1514, on lui doit notamment le château de Fontainebleau. Dans ses écrits théoriques, il distingue la fonction de bâtisseur de celle de concepteur. Pour la tradition maçonnique, à travers la figure d’Hiram, les deux figures sont mêlées. Si l’architecture devient non pas seulement une pratique, mais une discipline intellectuelle, alors, elle va du concret vers l’abstrait et peut-être même… vers l’esprit. C’est dans les constitutions de 1723 que le terme de Grand Architecte de l’Univers apparaît pour la première fois : “Adam notre premier père créé à l’image de Dieu, le Grand Architecte de l’Univers, dut avoir les sciences libérales gravées dans le cœur… ». Mais c’est en 1835 seulement que le REAA l’adopte comme référence dans ses rituels pour remplacer toute mention à Dieu. En ce qui concerne le rite français, en 1877 le Grand Orient de France, après le Grand Orient de Belgique (1872), l’abandonne pour permettre de s’ouvrir à ceux qui se réclament de l’athéisme. Cette appellation est bien pratique. Elle va permettre à chacun, quelle que soit sa religion, de projeter la transcendance à laquelle il se réfère, dans cette figure. Mais elle pose problème, elle décrit l’œuvre de cet Architecte comme une construction purement minérale alors que la “Création” était vivante. Une construction immobile, immuable, incompatible avec la théorie de l’Évolution des Espèces ? Une construction dont le plan aurait été établi préalablement, en s’appuyant sur une science qui aurait préexisté…même au GADLU ?. 

Qu’en est-il au XXième siècle ? Y a-t-il un Grand Architecte dans l’Univers? C’est la question que se pose Stephen Hawking dans un livre éponyme paru en 2011. Depuis les Grecs Thalès et Démocrite, les hommes cherchent à percer les mystères de la nature, du macrocosme comme du microcosme. Mais à l’époque des Anciens, on croyait généralement que la Terre était plate et que le soleil tournait autour. Depuis le mouvement humaniste on conçoit les lois de la nature non pas comme l’expression d’une volonté divine à laquelle il faudrait se soumettre, mais comme le constat d’une régularité qui permet des prédictions vérifiables : au nom de la gravité de Newton, toutes les pommes qui se détachent de l’arbre vont tomber par terre. Mais ces lois de la nature posent différentes questions. La première est celle de leur origine, et là, l’hypothèse de Dieu re-montre le bout de son delta lumineux. La deuxième cherche à savoir s’il y aurait des exceptions, des situations où la “nature “‘dérogerait à ses propres lois. Si la réponse à cette question est : non; cela voudrait dire que le Grand Architecte serait soumis à des lois qui lui seraient supérieures et qui lui pré-existeraient, des lois auxquelles lui-même ne pourrait pas déroger. Si la réponse est oui, s’il est possible de déroger aux lois, cela voudrait dire que le GADLU fait un peu n’importe quoi et que les lois n’existent pas vraiment. 

La troisième question cherche à déterminer s’il existe un seul ensemble de lois possibles dans l’univers…ou plusieurs? Scientifiquement, cela correspond à la poursuite de la M-Theorie, une méga-explication du monde qui engloberait toutes les connaissances disponibles à la fois en physique quantique et en physique classique, une théorie capable de décrire chaque aspect de l’univers. Mais cet univers n’est plus cantonné à la planète bleue, ni même au système solaire, ni même à notre galaxie la Voie Lactée, ni même aux milliards de milliards de galaxies qui composent ce qu’on en perçoit, ni même la seule matière qui le compose puisqu’elle ne représente que 5% du tout, les 95 % restants étant faits de matière noire et d’énergie noire c’est à dire du contraire de l’énergie et du contraire de la matière ? Et cet univers n’est pas le seul possible : “toutes les versions possibles de l’univers coexistent simultanément au sein de ce qu’on appelle une superposition quantique” (p.52). 

Alors Grand Architecte de quoi ? Et puis : pourquoi “architecte”? S’il y avait une organisation générale volontaire, un “plan”, il faudrait expliquer pourquoi cette Brève Histoire du Temps est composée d’une succession quasi-ininterrompue d’échecs depuis 13,8 milliards d’années, l’apparition de la vie n’étant que l’exception. Hacking conclut, après Laplace, que l’hypothèse GADLU n’est pas plus nécessaire que l’hypothèse Dieu. La question reste entière, et elle n’est pas scientifique mais philosophique : s’il fallait postuler une intention dans tout cela, s’il fallait mettre au dessus de sa tête un idéal, s’il fallait se référer à une transcendance, fut-elle spirituelle et non religieuse, comment pourrait-on l’appeler puisque le terme de Grand Architecte de l’Univers est maintenant dépassé ? 

7 Commentaires

  1. Travailler à la Gloire du GADLU c’est exactement la même chose , dans son essence, que de travailler à la Gloire de la Franc Maçonnerie Universelle : c’est travailler à la Gloire d’un “au delà de soi” . Il est évident que l’au delà de des uns n’est pas obligatoirement l’au delà des autres mais quand ils se rencontrent : quel merveille !

    • Si on entend par Gadlu le personnage appelé “ Dieu “ dans la Bible ce n’est pas du tout pareil ! Le Dieu de la Bible n’a rien d’universel! Il se dit jaloux des autres dieux et dedié a un petit peuple du moyen orient.
      Il s’oppose à l’émancipation de l’homme (cf eden, Babel) donc incompatible littéralement avec la Fm et c’est la papauté qui le dit !

  2. Au GO le rite français est souvent prépondérant mais il y a eu des variantes celui de 6012 de mémoire voyait la disparition de la référence au GADLU dans le texte précédant l’initiation. dans notre loge nous avons fais le choix de garder le rituel version 2002 avec la présentation du GADLU .soyons logique si nous devons enlever toutes les références nous allons avoir des soucis; comment renommer temple ,les colonnes ,mots sacrés mots de passe et au 3 cella va encore se compliquer. cessons de vouloir bricoler les rituels et si on les épures que restera t’il des jalons postés sur notre chemin initiatique?

  3. Pourquoi ne pas admettre tout simplement que l’être humain ne peut pas tout comprendre ?
    L’esprit, la pensée, le souffle de vie, l’innée, passent certes par des canaux physiques mais relèvent tout autant
    de l’impalpable ;
    Souvenons-nous de l’enseignement de la porte basse et de la nécessaire humilité qui au bout du compte conduit à la sérénité;

    • En fait c’est la science qui est très humble. Elle ne prétend jamais a une révélation définitive à croire sinon gare ! La science admet q’on ne comprend pas tout et justement il faut rechercher, remettre en cause le modèle précédent et ainsi progresser dans la compréhension.
      Inversement les approches qui se prétendent “révélation “ par un Etre supérieur s’enferment dans leur orgueil. Leur vision ne peut être mise en cause puisqu’elle provient de “dieu “. D’où mauvaise foi (sic), agressivité et abêtissement des intégrismes religieux.

  4. C’est bon de mettre les pieds dans le plat. Ca invite à réfléchir, y compris pour des dogmatiques qui devront prevoir une riposte …
    Comme le constate, il est factuel que ce sont des hommes qui “créent Dieu” et le Gadlu, pour differents besoins sociaux, de pouvoir, de support de reflexion. Il s’agit de récits humains, pas de trace de quelque intervention divine directe, hors les recits d’humains.
    Il s’agit donc d’un concept, finalement assez pratique pour designer conventionnelement ce qui preparerait, ordonnancerait l’univers qui nous entoure. Ainsi, inventer un legislateur des lois de la nature, pourquoi pas ? C’est un artifice commode, comme on appelle x l’inconnue d’une equation et G la constante gravitationnelle.
    Celà permet d’avancer, resoudre des problèmes, modéliser.
    Là où ca se gâte est lorsque certains y voient des opportunités de pouvoir, imposer vénération, devotion au x de l’equation …
    Et la FM n’y echappe pas : ainsi s’instaure un pouvoir obedentiel contruit sur le “salut” apporté par une soit disant “regularité” incluant de se prosterner devant le X … -GADLU … qui serait le même que le personnage inventé dans la Bible pretendument pour servir un “peuple”.
    Si nous, FM en restons à un GADLU, concept conventionnel, ayant conscience qu’il ne s’agit que d’un personnage de récit inventé par nous, quel problème ?
    Un axe interessant plutôt que l’affirmation de croyance est la cohérence des ecrits descriptifs entre eux et vis à vis de l’exterieur.

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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