mer 09 octobre 2024 - 05:10

Les cathédrales, chemins d’initiation

Dans mon dernier article publié sur 450.fm en date du 9 avril 2024, je mettais en avant la possibilité d’un chemin d’initiation à travers la lecture et la compréhension du symbolisme de la sculpture des cathédrales.

Je partais de l’exemple de la cathédrale romane de Saint-Lazare d’Autun où un réel parcours de transformation est possible au fur et à mesure de l’intégration des messages inscrits dans la pierre. (Cf. livre Thierry Dupont : Cathédrales, chemins d’initiation – L’expérience intérieure à Saint-Lazare d’Autun. Édition Louise Courteau).

Toutes les sculptures et notamment les chapiteaux ont un sens et s’inscrivent dans un programme bien précis. Que ceux-ci soient historiés (représentant des être animés ou des scènes religieuses), à décor végétal ou animal, ils portent un message ouvert à tous, pour peu que nous soyons attentifs à son enseignement et que nous ayons les connaissances nécessaires pour décrypter le symbolisme laissé par les anciens à notre intention.

Ici, à l’inverse de ce qui a été fait dans mon livre sur la cathédrale d’Autun où chacune des sculptures avait été analysée, je me limiterai à faire une première approche du « monde des oiseaux » tel qu’il se présente sur les chapiteaux de nos églises.

Trop souvent, nous entendons ou lisons les commentaires de différents guides touristiques ou historiens d’art qui, généralement, se limitent à de simples explications architecturales ou à une tentative d’explication des chapiteaux, d’un point de vue technique et artistique, sans évoquer le sens du symbolisme dont ils sont porteurs, voir pour certains, se sont « débarrassés » avec des appellations génériques du genre « décoratif ou pour faire joli ».

Et pourtant rien n’a été fait au hasard, nous allons le voir à travers le bestiaire animal, et notamment ici avec l’étude de nos chers volatiles.

Nombreux sont les chapiteaux portant des oiseaux, que celui-ci soit seul sur la corbeille ou qu’il partage l’espace avec d’autres animaux ou des êtres humains. Évidemment, l’analyse en sera différente et dépendra du contexte général.

En guise d’introduction, sachons que tout ce qui porte des ailes traduit le monde aérien, le spirituel. Avoir des ailes, c’est se soustraire de l’attraction terrestre et se rapprocher du ciel et du divin à l’identique des anges, toujours ailés.

D’ailleurs les sculpteurs n’hésitent pas à mettre des ailes dans le dos des hommes pour exprimer l’ascension spirituelle comme à Clermont-Ferrand (cf. Photo 2) où nous distinguons un  personnage dont les pieds ne touchent plus le sol, en train de s’élever en s’appuyant sur un arbre magnifique chargé de gros fruits, symbole de fécondité, d’abondance et de réussite dans la démarche.

Photo 2 : Clermont-Ferrand (ND du Port)

La rencontre des oiseaux ailés dans une église doit nous amener à faire notre propre démarche d’ascension en nous élevant vers les hautes régions de la spiritualité.

L’aigle

Assez fréquemment l’oiseau est un aigle comme à Conques (cf. Photo 3). Il faut dire que cet oiseau est le seul à pouvoir regarder le soleil en face sans se brûler. Sa vue perçante en fait l’archétype de la clairvoyance que nous essayons d’appréhender.

Dans les églises, il est souvent positionné au niveau du chœur, l’endroit le plus sacré de l’édifice. Lorsqu’il est placé en hauteur par rapport à la surface du chapiteau comme à Issoire (cf. Photo 4), cela signifie une élévation spirituelle plus importante, montrant ainsi qu’il touche les cieux. Souvent il est possible de vérifier cette évolution vers la spiritualité à la lecture des différents chapiteaux qui se renvoient l’un à l’autre.

Photo 3 : Conques (12)

Dans une démarche initiatique, nous recherchons toujours à faire en sorte que la spiritualité l’emporte sur la matérialité.

L’oiseau étant synonyme de spiritualité, le sculpteur a sans cesse cherché à mettre cette perspective dans son œuvre.

Ainsi, nous trouvons très souvent des oiseaux dominant d’autres animaux, notamment des quadrupèdes, fauves ou autres mammifères indéterminés comme à Saintes (cf. Photo 5). Il faut dépasser l’étrangeté de la situation pour percevoir que c’est un moyen pour l’artiste roman d’exprimer la spiritualité l’emportant sur l’animalité, synonyme ici de matérialité.

 Photo 4 : Issoire (63)

L’équation est encore plus forte lorsque l’oiseau combat un serpent. Dans l’imagerie médiévale, le serpent est celui qui a donné à Eve de pernicieux conseils, à l’origine de la désobéissance et de la Chute. Rampant entre les pierres à même le sol, et mangeant la poussière, il évoque les énergies telluriques, celles « qui viennent de la terre » au détriment de toute possibilité d’élévation.

C’est ce qu’a traduit l’artiste de Thuret (cf. Photo 6) où il montre un héron prenant dans son bec un serpent  pour exprimer les forces spirituelles prenant le pas sur la lourdeur de la matière.

Photo 5 : Saintes – Basilique Saint-Eutrope (17) 

L’oiseau conseil

Parfois l’oiseau parle aux oreilles de l’homme comme à Aulnay de Saintonge (cf. Photo 7).

C’est la spiritualité qui provoque l’écoute intérieure pour mieux nourrir l’esprit humain. Les oiseaux évoquent les forces et les énergies spirituelles, ils ne sauraient être mauvais conseillers et l’homme ne doit pas rester sourd à cette nouvelle dimension qui éloigne du matériel pour vivre une expérience transcendante.

Photo 6 : Thuret (63)

L’oiseau et la nourriture spirituelle

D’autre fois, l’oiseau donne la béquée. Il transmet ainsi la nourriture spirituelle. À Colombiers, dans un échange étonnant, deux oiseaux donnent la becquée et dans un double échange reçoivent le souffle de l’Esprit par la bouche de l’homme. La fusion spirituelle est en cours !

Notons aussi le tailloir en forme de damier (certains pourraient parler de pavé mosaïque) symbolisant les étapes ou les obstacles à franchir pour progresser.

Photo 7 : Aulnay de Saintonge (17)

Deux oiseaux buvant dans le même calice

Autre thème très usité dans l’iconographie romane : deux oiseaux buvant dans un calice pour exprimer la réunification des deux natures (cf. Photo 1 et 9).

Le calice est un vase sacré de la liturgie chrétienne en forme de coupe évasée portée sur un pied. Le croyant y verra la spiritualité s’abreuvant au sang du Christ dans l’eucharistie. Mais cette coupe en forme de cœur se réfère à la notion de centre profond de tout être où les énergies spirituelles vont se transformer en énergies nouvelles. Les deux oiseaux représentent l’opposition des deux natures (matérielle et spirituelle) qui sera résolue en buvant ensemble dans le même vase.

Photo 8 : Colombiers (17)    

Tout le travail, tout le chemin doit nous conduire à la compréhension ultime de cette réalité : nous sommes déjà « un », nous n’avons jamais cessé de l’être, mais l’influence de notre égo, le poids de nos passions et le bandeau de nos illusions nous empêchaient de le voir.

Être un, c’est retrouver le double céleste, et la nature divine en soi. Le double en question est celui qui a pour vocation de nous faire sortir du piège de la matière où nous sommes tombés pour mieux se diriger vers la spiritualité.

Si deux hommes fusionnent et ne font qu’un, c’est la cohabitation pacifique des contraires. En alchimie, certains y voient les Noces Chimiques. Les messagers du ciel nous invitent à boire au calice commun de la source de vie.

Photo 9 : Conques (12)

La chouette  (cf. Photo 10, 11, 12)

Un volatile que nous retrouvons souvent dans nos églises mérite une attention toute particulière. Il s’agit de la chouette. Depuis l’époque antique, elle est le symbole de la déesse grecque Athéna, connue pour sa sagesse mais elle prend, dans l’art roman, une autre dimension.

La chouette a la capacité de voir en pleine nuit, donc dans les ténèbres et nous invite, nous aussi, à ouvrir les yeux pour connaître les secrets et le sens caché, là où les autres ne les voient pas.  Par sa clairvoyance, elle nous invite à l’exploration de nos ténèbres intérieures. Symbole également de vigilance et de connaissance, elle présente en tout point les caractéristiques de l’initié.

 Photo 10 : Melle (Église St-Pierre)

Le phénix

Le bestiaire de l’art roman fait aussi appel à des animaux légendaires comme le phénix, oiseau mythique, doté d’une grande longévité et caractérisé par son pouvoir de renaître soit de son propre cadavre, soit des flammes de son bûcher. Il nous renvoie par sa symbolique, à l’idée de résurrection et d’immortalité et, par voie de conséquence, à l’Esprit et à la Lumière. Sur le plan ésotérique, renaître de ses cendres revient à se délester de ses erreurs passées pour mieux se reconstruire et poursuivre, pour l’éternité, sa quête de spiritualité.

Photo 11 : Beaune (21)   

Passant par différentes étapes de mort comme de renaissance et atteignant alors la plénitude de l’initiation, il est la parfaite traduction du « Perit ut vivat » (il meurt afin qu’il vive) et qu’enfin son vol, image de l’affranchissement de toutes attaches terrestres le fait accéder aux états supérieurs de l’Être. Toujours par analogie, l’homme va brûler son vieil être pour en faire naître un nouveau, meilleur et plus perfectionné.

Photo 12 :Saulieu (21)

À Thuret (cf. Photo 13),  le phénix est juché sur des feuilles de palmier. La palme a toujours été un des attributs du vainqueur, ici il s’agit du triomphe sur la mort à l’identique des martyrs qui sont très souvent représentés avec une palme à la main.

Photo 13 : Thuret (63)

En alchimie, le phénix (du grec ancien – po e nix – au sens probable de « rouge sang») représente l’œuvre au rouge dans le processus de transformation et de transmutation.

Nous pouvons ainsi le mettre en rapport avec d’autres oiseaux évoquant les différentes phases de l’œuvre alchimique. L’œuvre au blanc est assimilée à la colombe quant l’œuvre au noir est suggérée par le corbeau notamment à travers la légende de l’arche de Noé très développée dans la statuaire romane. Après le déluge, Noé envoie un corbeau en reconnaissance qui ne revient pas, car il se rassasie de charogne. Le corbeau qui symbolise la noirceur, la matière ou encore la nature dans son état avant le commencement de l’opération, correspond bien à l’œuvre au noir. Par la suite, Noé envoie une colombe qui elle, revient à l’Arche, avec une feuille d’olivier dans son bec. C’est le moment de la pureté, de la sublimation et de la spiritualisation de la matière.

Photo 14 :Clermont-Ferrand (ND du Port)

L’œuvre au blanc succède alors à l’œuvre au noir, le coagula après le solve. Le rouge et donc le feu  du phénix sera la période de l’illumination et de l’accès à la vraie lumière.

Bien d’autres volatiles « fréquentent » nos églises.

Le paon, symbole solaire parce que le déploiement de sa queue en forme de roue l’assimile au soleil (cf. Photo 15), l’ibis, le héron, la grue, le pélican ou des êtres mythiques ou hybrides tels que le basilic mélange de coq et de serpent, le griffon croisement d’un aigle et d’un lion, la harpie qui est une sirène-oiseaux à tête de femme avec toujours un symbolisme différent riche d’enseignements pour celui qui veut bien ouvrir les yeux.

Photo 15 : Melle (Église Saint-Pierre – 79

Nous allons terminer cette brève étude du bestiaire des oiseaux par le coq fortement à l’honneur dans nos églises.

Tout le monde connaît le coq au sommet du clocher, héraut du matin et annonciateur de la lumière. Dans la statuaire, il annonce le « sol invictus », le soleil invincible, le Christ pour le chrétien ou pour l’initié, l’annonce d’un jour nouveau ou l’avènement d’un nouvelle ère après dissipation des ténèbres.

À Thuret (cf. Photo 16), nous notons un coq sur une colonne, le long du portail Occidental,qui regarde curieusement le coucher du soleil au solstice d’été, ce qui est contraire à sa fonction car normalement, il annonce le lever du soleil et se situe plutôt à l’Orient du bâtiment. Nous pouvons en déduire que dans une logique spirituelle, on ne va jamais de la vie à la mort, mais de la mort à la vie, lorsque l’initié meurt aux préjugés du vulgaire pour renaître en une vie nouvelle.

Photo 16 : Thuret (63)

Mais une autre figuration de coq mérite toute notre attention. Il s’agit de la représentation de combat de coqs que nous trouvons surtout en Bourgogne comme à Autun ou encore Saulieu.

La représentation de ce combat n’a pas de sens religieux et n’a aucun rapport avec le livre de la Bible. Ce chapiteau confirme bien qu’il est nécessaire d’avoir une lecture qui dépasse l’aspect biblique, pour rechercher le sens caché inscrit dans la démarche initiatique sur la voie de la perfection de l’homme.

Le chapiteau d’Autun (cf. Photo 17)  montre deux coqs s’affrontant. L’un, à gauche a déjà pris le dessus sur le second, qui ploie sous les coups de becs et sous la patte de son adversaire.

Le propriétaire du gagnant est tout souriant et lève les deux mains ouvertes en signe de victoire. Le propriétaire du perdant est désespéré. Son visage est dépité, il serre les poings qu’il porte à sa tête comme pour s’en arracher les cheveux.

Par analogie, ce chapiteau illustre la confrontation entre les forces positives et négatives que nous contenons en chacun de nous. Il montre qu’il ne faut pas rester dans une logique d’opposition dans laquelle il y aura toujours un vainqueur et un perdant.

Car la victoire d’un jour peut très bien être la défaite du lendemain. En réalité dans ce genre de situation, tout le monde est perdant et aucune démarche sérieuse ne peut être basée sur l’espoir d’un succès momentané et illusoire, qui de plus, entraînera une forte frustration dans l’esprit des adversaires.

La voie initiatique doit amener à dépasser les oppositions et les affrontements.

Il faut rechercher la conciliation des contraires pour retrouver l’unité.

Photo 17 : Autun (71)    

Ainsi que nous avons pu le constater, l’approche de la symbolique des chapiteaux romans participe en tout point à cette modification de notre regard sur les êtres et les choses. Que ce soit à travers cet article sur le bestiaire des oiseaux, que ce soit dans l’ensemble de la sculpture de la cathédrale d’Autun – évidemment transposable dans toutes les autres cathédrales ou églises – il y a un message qui s’adresse à tous dans notre volonté de transformation pour espérer devenir meilleur et mieux s’ouvrir à l’autre.

Entrer dans une église et intégrer en soi la symbolique inscrite dans la pierre équivaut à une prise de conscience. Nous allons devoir entrer en nous-mêmes et intérioriser les points d’accroche traduits par les chapiteaux des bâtisseurs. C’est un mouvement qui part de notre centre pour s’élever spirituellement et revenir plus fort au centre de notre être.

Mais pour cela, il faut être prêt. Il faut avoir la volonté d’ouvrir son cœur à l’interprétation des chapiteaux. Personne ne pourra faire le chemin d’ouverture à notre place. Il faut se laisser happer, se mettre en condition pour aller plus loin. Il ne suffit pas de franchir le porche pour espérer ressentir immédiatement les influences bénéfiques. Il faut laisser aller son regard, absorber les images des chapiteaux et les faire vivre en soi comme si nous étions seuls, face à face, avec le miroir de notre vie. Le sacré devenant alors le quotidien de chacun.

Ainsi une tentative de conversion de notre âme tout entière est possible, qui doit entraîner une modification radicale de notre façon d’être, tout au long de notre vie.

Thierry Dupont

Vidéo de présentation du livre : http://youtu.be/jecm6DTAdlE

Disponible en librairie ou site de vente sur internet

Pour me contacter : thierry-dupont@sfr.fr

6 Commentaires

  1. Bonjour Philippe, merci vivement de ton apport. Tu es dans une même logique avec une vision d’une autre tradition qui elle aussi, cherche à transformer la dualité en unité pour notre bien commun. C’est tout le sens de la démarche symbolique qui dépasse l’objet d’étude pour devenir un mode de création. Je reprends souvent la phrase de Gaston Bachelard qui en très peu de mot me semble aller à l’essentiel : “Le symbole n’impose rien, il donne à penser”. Alors, continuons à penser et agissons.

  2. Bravo Thierry, je vois que tu poursuis ta quête sur nos églises comme je l’ai fait à Saint Merry. Juste un commentaire qui n’est ni une critique, ni une correction, juste un éventuel complément, lorsque tu dis que deux oiseaux peuvent être l’opposition de deux natures (matérielle et spirituelle), je perçois plutôt une ré-union à l’image duYin et du Yang oriental qui peuvent être entendus comme « « volatiles », du fait qu’ils ne sont pas « matériels ». Mais ce n’est qu’une idée.
    Au plaisir d’en parler de vive voix !

  3. Merci pour cet article, cette planche, extrêmement claire et compréhensible (ce qui n’est pas une caractéristique fréquente des planches d’érudits), et donc très instructive, et qui me fait ressentir à la fois un bien-être et une élévation spirituelle, et me donne envie de retourner visiter des monuments religieux.
    Fraternellement vôtre,
    Jérôme Lefrançois

  4. Merci pour vos gentils commentaires. La lecture et la compréhension des chapiteaux est d’une richesse insoupçonnée pour l’Homme en quête de sens.

  5. Merci pour ce beau travail qui nous montre la richesse du message de ces volatiles et comment il faut ouvrir nos oreilles au chant des oiseaux de pierre…

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