jeu 12 décembre 2024 - 01:12

Antisémitisme et politique en France : 50 ans de controverses

Histoire politique de l’antisémitisme en France-De 1967 à nos jours est une œuvre collective dirigée par Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat et Rudy Reichstadt, qui propose une analyse approfondie et transversale de l’antisémitisme dans la sphère politique française.

Ce livre intervient dans un contexte où l’antisémitisme, sous ses diverses formes (complot juif, négationnisme, antisionisme), demeure un sujet de préoccupation majeur, avec des discours parfois plus qu’ambigus de certains partis politiques.

Le livre est structuré en douze chapitres, chacun rédigé par un spécialiste, et examine la place de l’antisémitisme dans différents partis et mouvements politiques français depuis 1967.

Des douze chapitres Antisionisme et antisémitisme/Le Front national et le Rassemblement national face à l’antisémitisme/L’antisémitisme, Éric Zemmour et le parti Reconquête !/Le temps de la droite : droites de gouvernement et antisémitisme/Le centre droit et l’antisémitisme/Emmanuel Macron et Renaissance/Les Verts face à l’antisémitisme/L’antisémitisme introuvable ? Socialistes et radicaux face à la haine des Juifs/ La lente dérive du Parti communiste français face à l’antisémitisme/La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon et l’antisémitisme/Une histoire de l’antisémitisme à l’extrême gauche, de 1967 à aujourd’hui/Les Gilets jaunes et l’antisémitisme, nous avons pris le parti d’en analyser trois…

Alexandre bande

Alexandre Bande, docteur en histoire et Professeur agrégé, enseigne l’histoire en classes préparatoires littéraires et notamment à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Il travaille sur les questions d’articulation entre histoire et mémoire des génocides et des conflits contemporains. Il est membre de la commission enseignement de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Nous lui devons « Antisionisme et antisémitisme », le premier chapitre.

Dans celui-ci, Alexandre Bande examine les complexités et les nuances entre antisionisme et antisémitisme, deux concepts souvent confondus mais qui méritent d’être distinctement analysés.

L’antisionisme est défini comme l’opposition au sionisme, c’est-à-dire à l’idéologie et au mouvement politique qui prône l’établissement et le soutien d’un État juif en Palestine, aujourd’hui Israël. L’antisionisme peut se manifester de plusieurs façons, allant des critiques légitimes de la politique israélienne aux appels à la dissolution de l’État d’Israël. Il est important de noter que tous les antisionistes ne sont pas antisémites ; certains peuvent critiquer Israël sans nourrir de haine envers les Juifs.

L’antisémitisme, en revanche, est une forme de racisme spécifiquement dirigée contre les Juifs. Il englobe une gamme d’attitudes et de comportements allant de la discrimination et des préjugés à la violence et aux persécutions historiques. L’antisémitisme est une idéologie de haine et de déshumanisation qui a conduit à des événements tragiques comme l’Holocauste.

Alexandre Bande explore comment, malgré leurs différences théoriques, l’antisionisme et l’antisémitisme peuvent parfois se chevaucher. Par exemple, certains discours antisionistes peuvent véhiculer des stéréotypes antisémites ou minimiser la souffrance des Juifs. De plus, l’antisionisme radical, qui nie le droit à l’existence de l’État d’Israël, peut être perçu comme une forme d’antisémitisme, car il remet en question la légitimité de l’autodétermination juive.

Le chapitre met également en lumière comment certains militants et groupes utilisent l’antisionisme comme couverture pour des sentiments antisémites. Par ailleurs, Bande insiste sur la nécessité de reconnaître les critiques légitimes d’Israël sans les confondre automatiquement avec l’antisémitisme, afin de préserver la liberté d’expression et le débat politique.

Ce chapitre offre une analyse claire et nuancée des liens et distinctions entre antisionisme et antisémitisme, soulignant l’importance de différencier les critiques politiques des préjugés racistes. En clarifiant ces concepts, Alexandre Bande appelle à une vigilance accrue contre l’antisémitisme tout en défendant la légitimité des débats critiques autour des politiques israéliennes.

Valerie Igounet

Puis, contexte oblige, nous nous sommes intéressés au deuxième chapitre sur « Le Front national et le Rassemblement national face à l’antisémitisme » que nous devons à Valérie Igounet, historienne et chercheuse associée à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP). Elle est une experte reconnue du négationnisme et de l’extrême droite en France. Dans ce chapitre, Valérie Igounet explore l’évolution de l’antisémitisme au sein du Front national (FN), devenu le Rassemblement national (RN). Elle analyse comment ces partis d’extrême droite en France ont abordé la question de l’antisémitisme depuis leur création.

Le Pen, en 2012

Le FN, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, a longtemps été associé à des positions antisémites, notamment à travers les déclarations provocatrices de son leader. Jean-Marie Le Pen a plusieurs fois minimisé l’Holocauste et tenu des propos antisémites, ce qui a valu au parti une réputation de refuge pour les antisémites. Durant les années 1980 et 1990, le FN attirait une frange de militants aux discours antisémites, et certains cadres du parti ont été impliqués dans des actes et des déclarations antisémites.

Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011, le FN a tenté de se « dédiaboliser » pour élargir sa base électorale. Marine Le Pen a cherché à distancer le parti de l’antisémitisme, en condamnant publiquement les propos de son père et en excluant certains membres associés à des positions antisémites. Elle a aussi tenté de repositionner le parti sur des questions de souveraineté et d’identité nationale, tout en adoptant un discours plus acceptable pour le grand public.

Marine Le Pen

Malgré ces efforts, le RN reste marqué par des ambiguïtés. Des déclarations controversées et des associations douteuses continuent de surgir de temps en temps, révélant les tensions internes sur la question de l’antisémitisme. Valérie Igounet souligne que, bien que le RN ait pris des mesures pour améliorer son image, les racines historiques et certaines positions persistantes suscitent encore la méfiance.

Valérie Igounet conclut que, bien que le FN/RN ait évolué sur la question de l’antisémitisme, passant d’une tolérance implicite à une condamnation officielle, des éléments antisémites subsistent en périphérie du parti. Le processus de « dédiabolisation » a permis au RN de gagner en respectabilité, mais il n’a pas complètement effacé les suspicions d’antisémitisme héritées de son passé. Cette étude met en lumière la complexité de l’évolution d’un parti d’extrême droite confronté à son histoire tout en tentant de s’adapter à un contexte politique changeant.

Milo Lévy-Bruhl

Puis, toujours les mêmes raisons, c’est avec Milo Lévy-Bruhl, politologue et chercheur, spécialisé dans les études de la gauche radicale et des mouvements sociaux. Que nous aborderons « La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon et l’antisémitisme ».

Dans ce dixième chapitre, Milo Lévy-Bruhl analyse les attitudes et discours de la France insoumise (LFI) et de son leader, Jean-Luc Mélenchon, vis-à-vis de l’antisémitisme. Il s’agit d’examiner comment ce mouvement politique de gauche radicale aborde cette question sensible dans le contexte français actuel.

LFI, depuis sa création, se positionne comme un parti anti-raciste et progressiste, revendiquant une lutte contre toutes les formes de discrimination, y compris l’antisémitisme. Toutefois, certains comportements et déclarations de ses membres ont soulevé des controverses. Milo Lévy-Bruhl étudie les cas où des membres ou des sympathisants de LFI ont été accusés d’antisémitisme, ainsi que la réaction du parti face à ces accusations.

Jean-Luc Mélenchon, figure centrale de LFI, a été impliqué dans plusieurs polémiques liées à l’antisémitisme. Milo Lévy-Bruhl analyse les discours et les déclarations de Mélenchon, en distinguant ses critiques de la politique israélienne de potentielles manifestations d’antisémitisme. Mélenchon se défend généralement en affirmant que ses critiques sont dirigées contre le gouvernement israélien et non contre les Juifs en tant que communauté.

Jean-Luc Mélenchon en 2017

Le chapitre explore les ambiguïtés dans les positions de LFI et de Mélenchon, notamment lorsqu’ils abordent des sujets sensibles comme le sionisme ou les conflits au Moyen-Orient. Milo Lévy-Bruhl souligne que, bien que le parti condamne officiellement l’antisémitisme, certaines déclarations peuvent être perçues comme floues ou ambivalentes, laissant place à des interprétations diverses. Cette situation a alimenté les critiques de ceux qui voient dans ces ambiguïtés une tolérance implicite de l’antisémitisme.

Le chapitre examine également les réactions de LFI aux accusations d’antisémitisme, incluant les condamnations publiques et les actions disciplinaires contre des membres fautifs. Milo Lévy-Bruhl discute de l’efficacité de ces mesures et de l’impact sur l’image publique du parti.

Milo Lévy-Bruhl conclut que la France insoumise, tout en se déclarant fermement anti-raciste et anti-antisémite, doit gérer des ambiguïtés et des perceptions contradictoires dans son discours et ses actions. Le leadership de Jean-Luc Mélenchon joue un rôle crucial dans ce contexte, et ses déclarations nécessitent souvent des clarifications pour éviter les malentendus. Ce chapitre met en lumière les défis auxquels LFI est confrontée pour maintenir une position cohérente et crédible sur l’antisémitisme dans le paysage politique complexe de la France. En fin d’article, nous trouvons une brève bibliographiée afin d’aller plus loin.

Bien sûr que ce livre, imprimé en décembre 2023 et publié le 18 janvier dernier, ne traite pas du 7 octobre 2023 où Israël a subi une attaque terroriste majeure perpétrée par le groupe Hamas. Cette attaque a ravivé les discussions sur l’antisémitisme et la sécurité des Juifs non seulement en Israël, mais aussi dans d’autres parties du monde, y compris en France.

Cet ouvrage constitue une référence inédite pour comprendre la place de l’antisémitisme dans la politique française contemporaine. En abordant la question sous divers angles et à travers une multitude de partis politiques, il offre une vision d’ensemble essentielle pour les chercheurs, les étudiants, et toute personne intéressée par les dynamiques politiques et sociales en France.

L’approche rigoureuse et la diversité des contributeurs, incluant des historiens, politologues, et spécialistes de la mémoire, garantissent la profondeur et la pertinence des analyses présentées. Ce livre vient combler un vide dans la bibliographie existante en fournissant une synthèse indispensable sur un sujet toujours d’actualité et de plus en plus prégnant dans le débat public français.

Histoire politique de l’antisémitisme en France-De 1967 à nos jours

Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat, Rudy Reichstadt (dous la direction de)

Robert Laffont, 2024, ‎ 384 pages, 22 €

5 Commentaires

  1. Sujet polémique bien entendu.
    C’est sur que certaines paroles à gauche peuvent être mal interprétées, quand au RN il faudrait avoir de sacrés oeillères pour ne pas voir de racisme au sein d’une bonne partie de ses membres.
    De plus ce qui se passe actuellement au moyen-orient, dans la bande de Gaza et alentours, donne des arguments aux 2 “camps”.
    Le terrorisme sous tout ses formes doit être combattu et la discussion peut être ouverte pour, en ce qui concerne l’actualité, des attaques violentes ou un expan(sionisme) qui mène au rejet voir même la haine de l’autre …
    Sujet qui n’a pas de solution, à minima à court terme.

  2. Merci Yonnel de cette présentation raisonnée; historique et argumentée sur le thème de l’antisémitisme.
    Il convient de se procurer expressément cet ouvrage avant l’arrivée du RN au ” pouvoir” . Car sur ces questions là nous ne saurions ignorer l’ignominie des rapports de dominations et de duplicité pouvant être à l’oeuvre.

    Peut-être nous aidera t-il à regarder avec plus de nuances et de subtilités notre société divisée dans laquelle règne colères; violences prêtes à se déverser dans chaque prise de parole; d’actes et de positions.

  3. Ce texte de la Fondation Jean Jaurès est un bon exemple de la pauvreté argumentative sur le côté antisémite du RN.
    Si votre grand père a été collabo en 40, donc, 80 ans plus tard, sans le moindre exemple à fournir, vous êtes collabo.
    Bizarrement, cette dialectique n’est jamais opposé au Parti Communiste qui a en héritage 100 millions de morts.

  4. Dommage que des réflexes pavloviens persistent à parler d’antisemitisme au RN alors qu’il n’y a plus aucun texte ou déclaration de ce parti qui porte la moindre trace d’antisemitisme.

    • Y-a-t-il encore des traces d’antisémitisme au Rassemblement National (RN) ?
      Depuis sa fondation, le Front National (devenu Rassemblement National, RN) a souvent été associé à des accusations d’antisémitisme. Jean-Marie Le Pen, le fondateur du FN, a fait de nombreuses déclarations controversées qui ont alimenté cette image. Sa fille, Marine Le Pen, qui a pris la direction du parti en 2011, a entrepris une stratégie de “dédiabolisation” pour atténuer ces accusations et rendre le parti plus acceptable aux yeux du grand public.
      Malgré les efforts de Marine Le Pen, des traces d’antisémitisme subsistent au sein du RN, souvent révélées par des déclarations et des comportements de certains membres du parti. Une enquête menée par la Fondation Jean Jaurès et l’Observatoire du conspirationnisme montre que les électeurs du RN sont parmi les plus perméables aux thèses complotistes, souvent liées à l’antisémitisme.
      La participation du RN à des événements contre l’antisémitisme, comme la marche du 12 novembre 2023, a suscité des débats. Bien que Marine Le Pen et d’autres membres du RN aient marché contre l’antisémitisme, cette participation a été critiquée comme une tentative de redéfinition de l’image du parti sans pour autant rompre totalement avec ses origines.
      Deux cas notables :
      Jean-Marie Le Pen
      Connu pour ses déclarations controversées, telles que qualifier les chambres à gaz de “détail” de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
      Bruno Gollnisch
      Un autre membre influent du parti, souvent accusé d’antisémitisme.
      Marine Le Pen a tenté de réformer l’image du parti en excluant certains membres et en modifiant la rhétorique publique du RN. Toutefois, les critiques soutiennent que ces efforts sont principalement cosmétiques et que les fondements idéologiques n’ont pas suffisamment changé pour éliminer complètement les éléments antisémites.
      Pour conclure, bien que Marine Le Pen ait pris des mesures pour réduire l’antisémitisme au sein du RN et améliorer son image publique, des éléments et perceptions antisémites persistent. Cela reste un sujet de débat et de controverse, reflétant la complexité et les défis de la transformation idéologique d’un parti politique avec une longue histoire d’extrême droite.
      Sources : Fondation Jean Jaurès et Observatoire du conspirationnisme ; déclarations et participations du RN aux manifestations récentes

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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