jeu 31 octobre 2024 - 09:10

Le concept de « moi autonome » et la question de l’éthique

(à la frontière entre psychanalyse et philosophie)

La psychanalyse, comme toute science, est divisée par des courants où sont confrontés la « science pure et dure » à des courants qui seraient plus sensibles à l’application d’une éthique dans leur pratique, qui en feraient même la base de leur engagement au service des analysants.

« L’éthique m’est étrangère et vous êtes pasteur d’âmes. Je ne me casse pas beaucoup la tête au sujet du bien et du mal, mais, en moyenne, je n’ai découvert que fort peu de « bien » chez les hommes. D’après ce que j’en sais, ils ne sont pour la plupart que de la racaille, qu’ils se réclament de l’éthique de telle ou telle doctrine-ou d’aucune ».

Lacan ne laissera guère de marge de manœuvre supplémentaire en enfermant le sujet dans le langage. Plus intéressé que Freud par la philosophie, il rejoint d’ailleurs Nietzsche sur ce point quand celui-ci dit (4) : « La morale n’est qu’un langage symbolique, qu’une « symptomatologie » : il faut déjà savoir de quoi il s’agit pour en tirer profit ». Pour un grand nombre de philosophes et de psychanalystes l’homme n’a aucun libre-arbitre, pris dans le fonctionnement de systèmes ou celui de l’inconscient, en tout cas dans le désir de l’autre. Ce qui amènera d’ailleurs certains philosophes à vouloir échapper à la philosophie elle-même. Par exemple, Albert Camus, quand répondant à une interview de Servir, le 20 décembre 1945, il dit (5) : « Je ne suis pas un philosophe. Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment il faut se conduire. Et plus précisément comment on peut se conduire quand on ne croit ni en Dieu ni en la raison ».

Certains psychanalystes eux-mêmes vont introduire l’idée que l’homme n’est pas totalement « Le self-arbitre » de leur inconscient pour reprendre une célèbre expression luthérienne. Un courant va voir le jour dans la psychanalyse américaine : « l’ego-psychology » qui aura des partisans en France, bien que critiqué par les partisans d’une psychanalyse classique ou « réformée » par une relecture de Freud, dont Jacques Lacan et ce qu’on appellera le lacanisme par la suite. En faisant toutefois remarquer que Lacan consacrera un séminaire (1959-1960) sur l’éthique de la psychanalyse !

L’ « Ego Psychologie » est l’un des grands courants du freudisme américain et la principale composante de ce qu’on appelle l’Ecole de New-York. Elle a pour point commun, avec tous les autres courants du freudisme américain, d’être fondée sur l’idée d’une possible intégration de l’homme à une « communauté », voire après 1970, à une identité sexuelle, à une différence (la folie ou les marginaux). Si elle vise l’adaptation pragmatique de tout sujet à la société, elle prend aussi en compte de manière critique les déracinements et les différences liés à l’idéal adaptatif américain. Ce courant se veut une éthique pragmatique de l’homme, fondée sur la notion de prophylaxie sociale ou d’hygiène mentale qui tendrait vers le bonheur, la santé mentale et l’intégration au groupe d’appartenance. Le courant de l’Ego Psychologie s’est développé à partir de 1939 à l’intérieur de l’Association internationale de psychanalyse (I.P.A.). Alors que Freud affirme le primat de l’inconscient sur le conscient et qu’il introduit l’idée de la pulsion de mort, les partisans de l’Ego Psychologie soutiennent une position contraire à ce décentrement. Selon eux, le Moi s’autonomise, et devient un Moi autonome en contrôlant ses pulsions primitives, ce qui lui permet d’acquérir son indépendance face à la réalité extérieure. La libido, reversée dans la sublimation assure une désexualisation des pulsions agressives. Plus le Moi est fort, plus il renforce son quantum d’énergie, plus il est faible, et moins la neutralisation agit. Ce courant va être représenté en France, par Sacha Nacht.

Sigmund Freud
Sigmund Freud entouré de ses plus proches partisans (Sandor Ferenczi, Hanns Sachs (debout), Otto Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, et Ernest Jones).

Sacha Nacht (1901-1977), né à Racaciuni en Roumanie, était issu d’une famille de juifs convertis. C’est en 1919 qu’il émigra à Paris pour poursuivre des études médicales déjà commencées dans son pays. En 1922, il découvre l’oeuvre freudienne et fait une analyse à l’âge de 27 ans avec Rudolf Loewenstein, devenant ainsi, au sein de la Société Psychanalytique de Paris (S.P.P.), le plus jeune titulaire de sa génération. Il sera le seul aussi de sa génération, à avoir un contact personnel avec Sigmund Freud. Durant la seconde guerre mondiale, il refusera l’émigration et le port de l’étoile jaune. En 1942, il s’engagera dans un réseau de résistance. Ce fut un remarquable clinicien, toujours soucieux de ce qu’il appelait « l’efficacité thérapeuthique ». Il sera aussi un excellent didacticien. Il va être, en France, celui qui va prendre fait et cause pour la théorie du Moi autonome, dans son livre célèbre : « Guérir avec Freud » (6).

Nacht est intéressé par le Moi autonome qui se situerait dans une zone non-conflictuelle du psychisme, dépassant ainsi l’idée que l’homme ne serait qu’un champ de bataille où s’affrontent ses conflits internes. Il existerait donc une zone non-conflictuelle qui préexisterait à tous les conflits ou coexisterait avec ceux-ci sans en être affectée, puisque par définition elle est inaccessible à eux. Si le patient devient conscient que « cela existe » en lui, il peut s’amarrer à ce point stable et mieux percevoir la juste proportion de ses conflits, ce qui l’amène à prendre goût d’une stabilité qui lui était inconnue. Il convient donc que le psychanalyste s’emploie à ouvrir l’accès de ce Moi autonome au patient, de façon à lui donner la possibilité d’établir un contact avec cette partie de lui-même qui échappe aux pulsions.

S’il y a en l’homme un Moi autonome, celui-ci devient l’axe central de son être, le moyeu de la roue où, quelque que soit la rapidité du mouvement qui emporte la roue, Il reste immobile (image partagée avec le Bouddhisme !). C’est autour de lui que se construit et s’organise le mouvement de tout le psychisme humain. Un point permanent dans un tourbillon d’impermanence. Ce point existerait de façon innée en tout homme et, par conséquence ne devrait rien au milieu ou aux circonstances. Ce Moi autonome serait donc différent du reste du psychisme. Le résultat en serait que l’aspiration à être l’emporterait sur le besoin d’avoir et permettrait à ce que l’homme porte en lui de meilleur puisse s’épanouir et qu’il acquiert une authentique liberté intérieure, où il abandonne l’attachement complice inconscient pour ses chaînes et rester ainsi l’esclave de lui-même. Cette réflexion sur le Moi autonome nous permet de constater que dans chaque discipline, existent des orientations qui emprisonnent le sujet dans des théories qui sont de l’ordre de la prédestination et d’autres où existent, contre vents et marées, un libre-arbitre, aussi mince soit-il, qui permet au sujet d’échapper à un destin réducteur et lui laisse le choix ou non de l’éthique.

Bien entendu, cette question du Moi autonome ne peut laisser la Franc-Maçonnerie indifférente, car toute sa pratique du rituel la conduit à un constat : Deux fois démoli, le temple de Jérusalem, montre que l’imitation de la gloire du monde dans un édifice ostentatoire est voué à l’échec, et que le temple , pour survivre, ne peut-être qu’autonome dans la liberté intérieure qui s’acquière, en même temps entre travail sur soi et abandon, ayant pour conséquence que notre liberté intérieure devient une lumière pour les autres.

Allez, poursuivons la métaphore du temple de Jérusalem jusqu’au bout : Le Moi autonome ne serait-il pas une sorte de Saint-des-Saints inviolable où, dans le silence, nous reprenons contact avec quelque chose ou quelqu’un qui fait sens ?!

 NOTES.

– (1) Schopenhauer : Le monde comme volonté et comme représentation. Paris. PUF. 1992.

– (2) Nietzsche Friedrich : Crépuscule des idoles-Ou comment philosopher à coups de marteau. Paris. Ed. Gallimard. 1974. (Page 112).

– (3) Freud-Pfister : Correspondance (1909-1939). Paris. Ed. Gallimard. 1966. (Page 103).

– (4) Nietzsche Friedrich : idem (Page 68)

– (5) Camus Albert : L’abécédaire ». Paris. Ed. De l’observatoire. 2020. (Page 160).

– (6) Nacht Sacha : Guérir avec Freud. Paris. Ed. Payot. 1971.

 BIBLIOGRAPHIE

– Hartmann Heinz : La psychologie du moi et le problème de l’adaptation. Paris. PUF. 1968.

– Kris Ernst et Lowenstein Rudolph : Eléments de psychologie psychanalytique ». Paris. PUF. 1975.

– Lacan Jacques : L’éthique de la psychanalyse 1959-1960- Le Séminaire- Livre VII.Paris. Ed. Du Seuil. 1986.

– Nacht Sacha : Le masochisme. Paris. Ed. Payot. 1975.

– Nacht Sacha : De la pratique à la théorie psychanalytique. Paris. PUF. 1950.

– Nacht Sacha : La présence du psychanalyste. Paris. PUF. 1963.

– Roudinesco Elisabeth : Histoire de la psychanalyse en France. (2 volumes). Paris. Ed. Fayard.1994.

– Saada Denise : Sacha Nacht. Paris. Ed. Payot. 1972.

1 COMMENTAIRE

  1. Luther a théorisé le serf-arbitre par opposition au libre arbitre (et à Erasme) et non pas le self-arbitre!
    La psychanalyse n’est pas une science car elle exclut le principe de réfutation potentielle: elle est infalsifiable au sens de Popper.

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Michel Baron
Michel Baron
Michel BARON, est aussi conférencier. C'est un Frère sachant archi diplômé – entre autres, DEA des Sciences Sociales du Travail, DESS de Gestion du Personnel, DEA de Sciences Religieuses, DEA en Psychanalyse, DEA d’études théâtrales et cinématographiques, diplôme d’Études Supérieures en Économie Sociale, certificat de Patristique, certificat de Spiritualité, diplôme Supérieur de Théologie, diplôme postdoctoral en philosophie, etc. Il est membre de la GLMF.

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