jeu 12 décembre 2024 - 03:12

Il fallait qu’Hiram meure de mort violente !

Une des caractéristiques essentielles de la franc-maçonnerie est le recours au symbolisme, faisant appel à des représentations, à des archétypes, pour accompagner l’initié sur les voies de la connaissance, connaissance de lui-même, de ses rapports à l’Autre et au monde qui l’entoure.

C’est ainsi que, degré après degré, les rituels proposent une formidable galerie de personnages représentant pour l’initié les figurations de vertus ou de vices, de valeurs ou de faiblesses.

Certains de ces personnages ont une historicité indiscutable, même si l’image que retient d’eux la geste maçonnique est fragmentaire, redessinée à dessein, pour mieux servir le propos pédagogique du degré auquel ils interviennent.

D’autres sont de pures créations des fondateurs de nos rites et rituels, façonnés de toutes pièces même s’ils ont leur origine dans un personnage historique ou culturellement connu. Les attributs de ces personnages, leurs traits de caractère, comme leurs actes, faits et gestes sont de pure invention. Ils sont ainsi les héros symboliques de notre geste initiatique, qui donnent un support, une figure humaine, aux attitudes et aux comportements que nous voulons explorer en nous, au fur et à mesure que nous progressons dans ce cheminement à la fois exigeant et exaltant.

Il est dans cette galerie de portraits un personnage singulier, commun aux divers Rites, reconnu par les Anciens autant que par les Modernes, les réguliers tout comme ceux qui ne le sont pas, les déistes, les théistes, autant que les athées et les agnostiques. Il s’agit d’Hiram, le Maître Architecte chargé par le Roi Salomon de bâtir non pas un temple quelconque, ni même le plus grand ou le plus beau des temples, mais Le Temple, celui qui devait être la demeure de l’Eternel, celui où la parole de l’Eternel gravée sur les tables de pierre enfermées dans le Tabernacle devait être abritée et vénérée.

Hiram, le personnage clé de la Franc-maçonnerie, celui dont la mère, veuve, est aussi notre mère puisque nous sommes ses Enfants, n’est-il donc qu’un héros imaginaire ?

Pas tout à fait, bien sûr, puisque la Bible fait mention spécifiquement d’un Hiram parmi les artisans réunis par le Roi Salomon pour construire et orner le Temple et ses abords.

La question se pose dès lors de l’appropriation par la franc-maçonnerie de ce personnage, afin d’en comprendre le sens et la portée.

En d’autres termes, de réfléchir à la construction d’un mythe, du mythe central de la Franc-maçonnerie spéculative.

Un mythe, pour Mircea Eliade, est construit pour être exemplaire. L’adhésion au mythe est l’acte de foi initial, le pré-requis indispensable à l’intégration parmi les adeptes. Pour Raoul Berteaux, « le mythe est historiquement faux, mais psychologiquement réel. Il n’y a pas réalité historique, mais réalité psychologique ».

Hiram dans cercueil
Hiram sortant du cercueil

Se pose donc bien la question de l’intrusion d’Hiram dans le corpus maçonnique.

Le mythe d’Hiram est un mythe d’identité. Il devient véridique dès lors qu’il est répété par les membres du groupe qui se reconnaissent en lui et se réclament de sa postérité.

A la vérité, une légende autour de ce personnage se développa dès l’Antiquité. Mais en dehors de la mention dans l’Ancien Testament, et de la liste des pièces de bronze poli fondues par l’artisan, aucun détail n’est donné sur la vie d’Hiram, et pas davantage sur les conditions de sa mort.

image en provenance de la page legende-hiram.blogspot.com/2017/10/1949-les-armes-outils-du-meurtre-dhiram.html

Pour s’en tenir à ce qui est sérieusement documenté, on retrouve la première mention connue du mythe d’Hiram dans la divulgation « Masonry dissected » de Samuel Pritchard publiée en 1730.

Il n’existe aucun document connu à ce jour nous éclairant sur la genèse de la référence hiramique et son introduction dans le corpus fixé depuis longtemps de la maçonnerie de métier. Tout au plus quelques écrits légitimant l’adjonction au cadre maçonnique traditionnel de la thématique de la mort et de la résurrection.

Philippe Langlet, dans son livre Sources chrétiennes de la légende d’Hiram a recherché la trace d’Hiram à travers plus de cinquante versions différentes, afin d’en trouver le fil conducteur, la trame unificatrice.

Il présente la suite des enrichissements légendaires qui, progressivement, vont façonner le mythe initiatique qui inspire nos rituels et nos Rites. Car s’il existe des variantes d’un Rite à l’autre, les constantes invariantes dominent.

On peut évoquer la mort et la résurrection du Christ, celles d’Osiris, ou encore de Maître Jacques, que la mythologie compagnonnique fait mourir sous les coups de cinq compagnons. Le fond du mythe est bien un archétype, que l’on retrouve dans de nombreuses traditions, à de nombreuses époques : un homme instruit des mystères, un homme éclairé, meurt sous des coups portés avec une violence aveugle.

Les ténèbres semblent triompher de la lumière.

Naturellement, les commentateurs ne manquent pas de relever que si Hiram, son œuvre achevée, était mort dans son lit longtemps avoir été fêté et récompensé par Salomon, il n’aurait pu devenir le héros de la dramaturgie maçonnique.

Il faut au mythe une dimension sacrificielle. La mort, brutale, violente, cruelle, est nécessaire, pour sublimer l’individu. Osiris sera déchiqueté par Typhon, le Phénix se consume face au Soleil dans une agonie atroce. Il faut qu’il y ait un crime rituel pour qu’Hiram accède à sa véritable dimension.

On pourrait au demeurant dire la même chose du Christ, de Jésus flagellé et crucifié.

Ainsi, la mort d’Hiram paraphrase la mort du Christ qui elle-même apparaît selon les plus antiques civilisations dans le trépas d’un dieu. Hiram est ainsi l’archétype de l’initié qui accepte de mourir, qui fait le choix de mourir, pour pouvoir renaître.

On trouve une brève évocation d’Hiram dans les Constitutions d’Anderson dans leur édition première de 1723, où il est simplement mentionné comme l’homonyme du roi de Tyr et le maçon le plus parfait de la Terre. Rien de plus dans l’édition de 1738, qui évoque pour la première fois un troisième degré établi à Londres en 1726.

En 1726, précisément, est rédigé le manuscrit Graham. Le cadavre d’Hiram et ce qu’il en advint y figurent explicitement.

Le célèbre Discours du chevalier de Ramsay de 1736 évoque l’« illustre sacrifice » d’Hiram, « premier martyr de notre Ordre ».

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Le rituel dit « Three Distinct Knocks » de 1760 fait la même référence dans la description d’une cérémonie d’initiation au 3ème degré et en fait remonter la pratique aux Loges des Antients, donc probablement avant 1717. On peut citer encore l’une des versions les plus anciennes de ce récit, qui apparaît dans L’ordre des francs-maçons trahi et leur secret révélé (1744).

Dans diverses traditions, la mort violente du héros mythique est une mort libératrice, qui en quelque sorte va condamner les disciples à la liberté. Et l’on pourrait ajouter que les assassins, qui représentent la transgression, la révolte, la désobéissance, ont par là-même un rôle symbolique que l’on retrouve lui aussi dans de très nombreuses cultures.

Ainsi, dans le « Voyage en Orient », écrit en 1850, Gérard de Nerval offre un récit où se retrouvent toutes les passions, tous les sentiments, qui vont nourrir les degrés successifs proposés à l’initié pour lui permettre de les reconnaître en lui et de les contrôler.

Branche d'acacia dans les mains sur tissu rouge
Branche d’acacia dans les mains sur tissu rouge

Grâce à la mort du Maître, qui est la condition nécessaire pour qu’il puisse être transcendé par la grâce de la résurrection ou plutôt de la renaissance, la construction de notre édifice vertueux peut se poursuivre. Hiram doit mourir, il doit mourir tragiquement. Hiram doit être assassiné !

Le mythe d’Hiram est dans notre tradition le vecteur de son enjeu essentiel, la lutte du Bien contre le Mal. Hiram a été choisi, construit, pour être le héros mythique dont le Rite a besoin pour prendre son sens.

2 Commentaires

  1. Surtout, ma TCS Solange, si l’assassiné n’a pas plus existé que les assassins ! Hiram et les “trois mauvais Compagnons” ne sont que (ou plutôt ont pour raison d’être) des archétypes, des sujets de réflexion et de questionnement, sur nous-même d’abord. Que penser de meurtriers qui signent leur crime en laissant leurs outils, aisément identifiables, sur les lieux du meurtre et qui, une fois leur forfait accompli, ensevelissent leur victime sous un tumulus de terre qu’ils rendent visible des lieues à la ronde en y plantant un rameau d’acacia ?
    Pensaient-ils vraiment échapper aux poursuivants que ne manqyerat pa

  2. On peut se demander, en effet, en quoi un acte de trahison peut n’être, tout compte fait, qu’un acte au service du destin de l’assassiné. Pour en lire quelques suggestions de réponses : 450.fm/2021/06/07/y-a-t-il-de-mauvais-compagnons/

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Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski, initié en 1984, a occupé divers plateaux, au GODF puis à la GLDF, dont il a été député puis Grand Chancelier, et Grand- Maître honoris causa. Membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, admis au 33ème degré en 2014, il a présidé divers ateliers, jusqu’au 31°, avant d’adhérer à la GLCS. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le symbolisme, l’histoire, la spiritualité et la philosophie maçonniques. Médecin, spécialiste hospitalier en médecine interne, enseignant à l’Université Paris-Saclay après avoir complété ses formations en sciences politiques, en économie et en informatique, il est conseiller d’instances publiques et privées du secteur de la santé, tant françaises qu’européennes et internationales.

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