Comme le démontre le dernier opus de Gérald Bronner, une superstition peut nous saisir pour longtemps. Même pour un scientifique la durée du désenchantement se mesure en années.
L’enchantement du monde bénéficie de nombreux défenseurs, ne citons que Michel Maffesoli. Beaucoup vivent cet enchantement dans un cadre collectif, qu’il s’agisse de religions, de sectes (on utilise ce mot si une intention malveillante est suspectée), de groupes d’études ésotériques ou hermétiques, et encore d’autres formes. Nul doute que le narratif socle du mouvement semble se solidifier quand on peut vérifier qu’il est largement partagé et défendu. Michel note l’importance de l’effet tribal associé.
Mais nous savons qu’un autre grand groupe, les « rationalistes », sont vent debout contre plein de croyances, qu’ils attaqueront à coups de sarcasmes, et tamponneront « bullshit » ou autres « théories du complot ». On peut citer Thomas C. Durand et nombre d’autres « zététiciens » , qui se sont souvent donné pour mission de combattre le faux. Afin de lutter ainsi activement contre le relativisme post-moderniste, ils sont producteurs prolifiques de vidéos sur Youtube , toutes avec pour but de « débunker ». Mais que de travail ! Le temps que la vérité chausse ses bottines, le mensonge a fait le tour du monde, dit l’adage.
Pourquoi faut-il tant d’efforts ? Eh bien, hélas, la mode n’est plus trop à la vérité. Les francs-maçons et les zététiciens/rationalistes seront peut-être les derniers intéressés. D’abord, parce qu’elle est souvent complexe, pleine de nuances, et on n’a pas envie de cramer toute notre énergie à peser finement le pour, le contre, le peut-être…Ensuite, et c’est là que l’individuel fait son retour, c’est bien plaisant que ce qu’on a envie de croire soit la Vérité, avec une majuscule pour dire « pas touche » ! Une bonne nouvelle doit être vérifiée deux fois, disait un éminent connaisseur du biais de confirmation, qui nous gangrène tous.
Les rangs des rationalistes comptent un allié de poids : le sociologue Gérald Bronner. Surprise : il vient d’éditer une autobiographie « Exorcisme », où on apprend son long passage par une phase de croyances dures, avant de devenir le rationaliste que nous connaissons. Stéphane Foucart, dans son « les gardiens de la raison », réserve le dernier chapitre à Gérald Bronner, le reconnaissant ainsi comme un des piliers les plus solides parmi les amoureux de la vérité. Mais, dans le livre de Foucart, le jugement préétabli était que les scientifiques se sont fait acheter par les capitalistes. Le conflit d’intérêt fausse-t-il le jugement ? Vaste sujet que nous n’aborderons pas ici.
Ici le sujet c’est : le désir peut il suffire à faire accepter pour vraies des affirmations pourtant contredites par des faits objectifs et largement connus ? Le moteur qu’est l’envie peut il vaincre le freinage imposé par l’éducation et la connaissance ? Bronner répond franchement oui à la question :
« La croyance est cette machinerie extraordinaire qui transforme le désir en prémonition, puis cette prémonition en savoir. »
Exorcisme raconte le lent combat du doute, de la pensée cheminant rationnellement, le système 2 . Combat donc contre le désir fou de voir plus que des coïncidences dans la ville de Nancy, afin de lui trouver un destin extraordinaire.
Notons tout de même que la période au cours de laquelle Bronner se transforme correspond à sa formation de sociologue professionnel. Occasion rêvée pour moi de déclamer mon admiration pour les sciences humaines. Là où les sciences dures, que j’ai pratiquées comme ingénieur, fournissent surtout des faits objectifs , sur lesquels il est facile d’être…objectif, la matière humaine est farcie de d’exceptions et contradictions. Alors, réussir à faire des progrès dans ces sables éternellement mouvants relève de la gageure. Il faut une montagne de précautions contre les biais pour arriver à éliminer tout le « bruit » des mesures . La difficulté d’interprétation est omniprésente, en psychologie, sociologie, médecine, etc. Heureusement, notre Gérald était de par sa formation puissamment armé contre les défauts du système 1.
Ce n’est pas le cas du clampin de base, titillé par ses gènes et de plus assailli en permanence par les promesses fallacieuses des pubs commerciales, et des idéologues ou religieux de tous poils et leurs narratifs éprouvés.
Cela fait repenser aux enfants de Singapour, aux brillants résultats aux épreuves internationales de maths. On se disait, en les voyant trimer, qu’on leur volait leur enfance, et qu’on assèche probablement aussi leur créativité et sens de l’initiative, pour un résultat incertain. Mais, peut-être qu’ils seront plus résistants aux bobards, qu’en pensez-vous ? Bronner note que les rituels ésotériques accompagnent toujours les activités des hommes lorsque celles-ci charrient du désir et de l’incertain.
« La tentation superstitieuse n’est jamais aussi forte que lorsque les individus font face à l’angoisse des possibles. »
Bronner affirme que malgré son brillant moteur, il lui a fallu 8 ans pour se sortir du marasme de ses croyances . Une des difficultés, déjà signalée par Léon Festinger, est l’effet cliquet empêchant le retour en arrière. « J’ai brisé tous les liens, j’ai brûlé tous les ponts, j’ai tourné le dos au monde, alors je ne peux pas me permettre de douter : je dois croire, il n’y a pas d’autre vérité » . Le chemin de sortie de Bronner est passé par la politisation progressive de la pensée. Il en dit tout de même qu’elle agit en quelque sorte comme une contradiction grandissante du merveilleux : « il n’y a pas de modèle de réel qui tolère la présence du merveilleux trop longtemps ».
Ensuite, dans le baroud d’honneur des croyances, il note que « l’effet anxiolytique de ces rituels durait de moins en moins longtemps. Plus tu bois, plus tu as soif. Dieu est une drogue dure ». Cela rejoint ce que nous apprennent les addictologues : l’effet positif tend à s’estomper, poussant à augmenter les doses. Nous savons aussi que le sevrage est douloureux. Il faut en déduire que la prévention devrait être forte, afin de s’épargner les longues souffrances du manque. Encore une injonction pour les parents, éducateurs et les enseignants ?
En tous cas, l’enchantement peut mener à de pénibles désenchantements, sachons le, chers sœurs et frères.
Saluons le moteur et le garde fou de l’auteur ; Chacun trouve son bonheur là où il estime être, mais le bonheur des uns ne fait pas forcément le bonheur des autres : cherche et tu trouveras, tout le reste n’est que baratin !