dim 06 octobre 2024 - 23:10

Vers l’unité et la modernité : Le pari de la mixité en franc-maçonnerie

La phrase « La femme est l’avenir de l’homme » est souvent citée pour souligner l’importance de l’égalité des genres et le rôle crucial que les femmes jouent dans le développement de la société.

Cette affirmation, rendue célèbre par le poète et chanteur français Louis Aragon dans son poème « Le Fou d’Elsa » publié en 1963, a été popularisée dans la chanson de Jean Ferrat « La Femme est l’avenir de l’Homme » en 1975. Elle exprime l’idée que le progrès de l’humanité est intrinsèquement lié à la reconnaissance des droits des femmes et à leur pleine participation à tous les aspects de la vie sociale, économique, politique et culturelle. C’est un appel à l’égalité de genre, suggérant que l’avenir de l’homme dépend de sa capacité à valoriser et intégrer les contributions des femmes dans tous les domaines de la société.

Concernant la franc-maçonnerie, deux femmes, l’auteure Cécile Révauger et Renée Fregosi, la préfacière, s’intéresse ouvertement, avec justesse et perfection, au fait que, pendant longtemps – trop sans doute –, les femmes ont été écartées de la pratique de l’art royal.

Fort heureusement, de nos jours, l’expression “sexe faible” pour désigner les femmes est une conception désuète et discriminatoire qui a longtemps servi à justifier des inégalités de genre et à perpétuer des stéréotypes sexistes…

Cécile Revauger

Revenons sur le parcours de l’auteure. Cécile Révauger est une historienne et universitaire française, reconnue pour ses recherches approfondies et ses contributions à l’étude de la franc-maçonnerie, notamment dans le contexte de son histoire, de son idéologie et de son influence en France et ailleurs (Grande-Bretagne et États-Unis d’Amérique). Son travail explore souvent les rôles et les perceptions de la franc-maçonnerie dans la société, y compris son impact sur les développements politiques, sociaux et culturels. Cécile Révauger a publié de nombreux livres et articles sur le sujet, contribuant de manière significative à la compréhension académique et publique de l’importance historique et contemporaine de la franc-maçonnerie. Elle est remarquée pour ses analyses détaillées et sa capacité à relier la franc-maçonnerie à des récits et débats historiques plus larges.

Renée Fregosi, en 2022. Source Wikimedia Commons.

Quant à celui de Renée Fregosi, rappelons qu’elle est une universitaire et politologue française, spécialisée dans les questions de démocratie, de totalitarisme, et des idéologies politiques. Elle s’intéresse particulièrement à l’analyse des régimes politiques, des mouvements totalitaires et autoritaires, ainsi qu’à la critique des idéologies contemporaines qui menacent les principes démocratiques. Renée Fregosi est également connue pour ses travaux sur l’Amérique latine, en particulier sur les transitions démocratiques dans cette région. Elle a écrit plusieurs ouvrages et articles scientifiques qui explorent ces thématiques, contribuant à enrichir le débat académique et public sur la vitalité des démocraties et les défis qu’elles rencontrent. Son travail est apprécié pour sa profondeur analytique et son engagement en faveur de la défense des valeurs démocratiques. Le titre de sa préface dont le ton, immédiatement : « Féminisme et laïcité : même combat ! »

Elizabeth Aldworth (1693-1773)

La question de la mixité en franc-maçonnerie, abordée par Cécile Révauger dans son ouvrage illustre un débat toujours vivant au sein de cette institution. Historiquement, la franc-maçonnerie a connu des périodes variées en ce qui concerne l’accueil des femmes au sein de ses loges. Dès le XVIIIe siècle, les loges d’adoption sous l’égide du Grand Orient de France permettaient aux femmes de participer à certaines formes de maçonnerie, une pratique qui s’est interrompue avec la Révolution française. Le XIXe siècle a vu un recul de la mixité, mais cette dernière a regagné du terrain avec la création du Droit Humain à la fin du siècle, marquant le début de la maçonnerie mixte. L’auteure note d’ailleurs quelques timides avancées vers la mixité en Angleterre et aux USA.

Dans le quatrième chapitre – l’ouvrage en comptant 5 – Cécile Révauger passe en revue tous le arguments contre la mixité en franc-maçonnerie. Au XVIII e siècle, ceux de l’Église catholique, apostolique et romaine, du genre : la franc-maçonnerie est une société subversive qui menace l’ordre établi ; la mixité est contraire à la nature et à l’ordre divin ; les femmes sont trop émotives et influençables pour être admises dans une société initiatique ; la présence des femmes dans les loges détournerait les hommes de leur spiritualité.

Puis, ensuite les arguments politiques, du style : la franc-maçonnerie est un foyer de conspiration et de subversion politique, la mixité fragiliserait la cohésion des loges et les rendrait plus vulnérables aux infiltrations, les femmes ne sont pas aptes à participer aux discussions politiques et philosophiques.

Sceau de la Grande Loge Symbolique Écossaise (GLSE).

Puis au XXe siècle, des arguments tels que la franc-maçonnerie est une société masculine qui a ses propres traditions et rituels ou encore que la mixité dénaturerait le caractère symbolique et initiatique de la franc-maçonnerie et plus pernicieux que les femmes n’ont pas besoin de la franc-maçonnerie pour accéder à l’émancipation et à l’égalité. Mais les arguments contre la mixité d’aujourd’hui, encore employés ou entendus, restent que la mixité n’a pas permis d’atteindre l’égalité hommes-femmes au sein de la franc-maçonnerie, les loges mixtes ne sont pas toujours exemptes de sexisme et de discrimination, la mixité peut créer des tensions et des divisions au sein des loges ou encore que certains francs-maçons et franc-maçonnes préfèrent travailler dans des loges non mixtes pour des raisons de confort et d’affinité… Fort heureusement, notons que ces arguments ne sont pas nécessairement partagés par tous les francs-maçons et franc-maçonnes.

Nous voyons bien que les arguments contre la mixité en franc-maçonnerie ont évolué au fil du temps. Ils s’appuyaient initialement sur des préjugés religieux et sexistes, puis sur des arguments politiques et symboliques. Aujourd’hui, les arguments contre la mixité se focalisent sur les difficultés de mise en œuvre et les risques de dérives.

Depuis 2010, le Grand Orient de France, une des plus grandes obédiences maçonniques de France, a ouvert ses portes aux femmes, marquant un tournant dans la reconnaissance de la mixité au sein de la fraternité. Avec les femmes représentant près de 10 % de ses membres, la question se pose : la mixité est-elle pleinement intégrée et acceptée au sein de la franc-maçonnerie, ou demeure-t-elle un défi à relever ?

Cécile Révauger interroge cette dynamique en soulignant l’importance de l’universalisme dans la franc-maçonnerie. Si l’organisation prône l’universalité de ses valeurs, comment justifier une séparation basée sur le genre ? La mixité, selon l’auteure, pourrait bien être non seulement l’avenir de la franc-maçonnerie mais aussi une garantie de sa modernité et de sa pertinence dans un monde qui évolue vers plus d’égalité et d’inclusion.

L’ouvrage propose donc une réflexion profonde sur les enjeux de la mixité en franc-maçonnerie, en interrogeant ses fondements historiques, ses évolutions récentes, et les défis qu’elle continue de poser. En faisant dialoguer l’histoire et les perspectives contemporaines sur la question, Cécile Révauger offre un éclairage essentiel sur un sujet qui, au-delà de la franc-maçonnerie, touche à des questions plus larges d’égalité, de diversité et de coexistence dans la société.

En fin d’ouvrage, la bibliographie, juste à la suite de la liste des obédiences citées, prend en compte des articles et des conférences en ligne, consultables gratuitement.

La mixité en franc-maçonnerie. Toujours un défi ?

Cécile Révauger – Préface de Renée Fregosi

Conform édition, Coll. Pollen maçonnique, N° 29, 2023, 110 pages, 12 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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