Le philosophe, politologue et historien des idées Pierre-André Taguieff*, chercheur honoraire au CNRS, dont le vaste champ d’études couvre de nombreux sujets, dont l’analyse du racisme, de l’antisémitisme, du populisme, ainsi que des théories du complot et de l’extrême droite en Europe, nous livre une remarquable analyse de ce faux document qui prétend décrire un complot juif pour dominer le monde que sont Les Protocoles des Sages de Sion.
L’ouvrage s’intitule, très exactement Les Protocoles des Sages de Sion – Des origines à nos jours – Entretien avec Roman Bornstein
Ancien journaliste à France Culture, Roman Bornstein est directeur des études à la Fondation Jean-Jaurés, think tank politique français qui se consacre à l’étude et à la promotion des idées de gauche, à travers la recherche, les débats, et la publication d’analyses sur divers sujets tels que la politique, l’économie, la société, et l’éducation.
Nous relevons aussi que l’expression « Des origines à nos jours » est utilisée à dessein pour justifier une exploration exhaustive de ce toujours mystérieux sujet à travers l’histoire, dès son apparition,
des Protocoles des Sages de Sion. Une analyse détaillée et chronologique, offrant aux lecteurs une perspective globale sur son évolution.
Et de commencer par définir ce que sont Les Protocoles des Sages de Sion.
Les Protocoles des Sages de Sion est un faux document qui prétend décrire un complot juif pour dominer le monde. Publié pour la première fois en Russie en 1903 au début du XXe siècle, il a été démasqué comme une fraude peu après. Le texte prétend donc être un plan secret des Juifs pour conquérir le monde et a été utilisé pour justifier la violence et la discrimination et la haine contre les Juifs tout au long du siècle dernier, notamment par les membres du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, les nazis, parti promouvant une idéologie basée sur le nationalisme extrême, le racisme, l’antisémitisme, et l’anticommunisme, combinés à une volonté de réviser l’ordre mondial à travers l’expansion territoriale.
« À l’origine de cet ouvrage se trouve un entretien réalisé par le journaliste Roman Bornstein pour France Culture en juin 2020 : « Les Protocoles des Sages de Sion, le complot centenaire
» (« Mécaniques du complotisme », saison 9), 3 septembre 2020 » nous confie Pierre-André Taguieff
Ce qui, en soi, est déjà une exploration critique de l’histoire et de l’impact durable des Protocoles jusqu’à nos jours. Un travail qui visait déjà à démystifier les origines du document, examiner comment et pourquoi il continue d’être utilisé dans divers contextes politiques et sociaux contemporains, et discuter des moyens de lutter contre de telles formes de désinformation et de préjugés.
Un sujet vraiment sensible, dont il nous faut relater les faits avec un grand soi et prudence, en soulignant la nature fallacieuse des Protocoles et en mettant en lumière les dangers de l’antisémitisme et de toute forme de haine basée sur des mensonges et des stéréotypes.
L’ouvrage explore en profondeur le contexte politique et social de la Russie tsariste au début du XXe siècle, terreau fertile pour l’émergence de l’antisémitisme moderne. Il examine aussi les motivations des auteurs des Protocoles, en s’attardant sur leurs objectifs et les influences idéologiques qui les ont guidés. Pierre-André Taguieff analyse le lien entre les Protocoles et les mouvements nationalistes et anti-modernistes de l’époque, soulignant leur instrumentalisation de l’antijudaïsme pour asseoir leur agenda politique. Le livre décortique en détail, et en 17 chapitres, Les Protocoles, exposant leur structure narrative et les thèmes récurrents qui les traversent. Pierre-André Taguieff analyse les techniques de persuasion employées et les références historiques manipulées pour donner une apparence de crédibilité au faux, tout en mettant en lumière les contradictions et les incohérences du texte, démontrant son caractère fictif et frauduleux.
Quant à la diffusion et l’impact des Protocoles à travers le monde, l’ouvrage en retrace la propagande faite autour des Protocoles dans différents pays et continents, soulignant leur influence sur les mouvements d’extrême droite et antisémites. L’auteur offre aux lecteurs un panorama complet de l’utilisation des Protocoles par les nazis et d’autres régimes totalitaires pour justifier la persécution des Juifs et d’autres groupes minoritaires. Par ailleurs, il analyse la résurgence du faux dans le monde contemporain, notamment sur internet et dans les milieux conspirationnistes, et explore les moyens de le combattre. Quant aux enjeux et les implications de la persistance des Protocoles, l’ouvrage met en garde contre les dangers de la propagation de ce faux document, soulignant son potentiel à alimenter l’intolérance, la haine et la violence. Pierre-André Taguieff souligne l’importance de l’éducation et de la recherche pour contrer l’influence des Protocoles et promouvoir le dialogue interreligieux et interculturel et propose des pistes de réflexion pour une meilleure compréhension des mécanismes de l’antisémitisme et des moyens de le combattre efficacement.
En plus de l’analyse approfondie fournie, l’ouvrage propose une très belle bibliographie qualifiée de sommaire – toutefois complète avec ses 35 pages – pour des recherches plus approfondies, en y intégrant une filmographie.
Rappelons que cet ouvrage est publié dans la collection « Questions sensibles », une collection
fondée et dirigée par Céline Masson, Docteur de psychopathologie fondamentale et psychanalyse de l’Université Paris Cité (mention très honorable avec les félicitations du jury), Professeure des universités (Université de Picardie Jules Verne) – psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent -, psychologue au centre médico-social de l’OSE et analyse des pratiques MECS Saint-Germain-en-Laye et par la professeure agrégée de philosophie, Isabelle de Mecquenem, enseignante à l’INSPE de l’université de Champagne-Ardenne et membre du Conseil des sages de la laïcité et référent Laïcité, Racisme et Antisémitisme de l’URCA (Université de Reims Champagne Ardenne).
La collection « Questions sensibles » de l’éditeur Hermann se distingue par son engagement à explorer des sujets complexes et souvent controversés qui touchent à des domaines variés tels que la société, la politique, la philosophie, et l’éthique. Hermann est une maison d’édition reconnue pour son sérieux et sa contribution significative au monde académique et intellectuel, notamment dans les sciences humaines. La collection vise à stimuler la réflexion critique, fournir des analyses approfondies et promouvoir le dialogue. En abordant des sujets sensibles, la collection cherche à ouvrir des espaces de débat, contribuant ainsi à une meilleure compréhension des enjeux sociétaux. Ses points forts sont la diversité des thèmes, la qualité des contributions, mais aussi son accessibilité à un très large public.
Cette collection est une ressource précieuse pour ceux qui s’intéressent à une compréhension approfondie des défis contemporains.
*Né le 4 août 1946 à Paris, Pierre-André Taguieff est une figure éminente dans le champ de la philosophie, de la science politique et de l’histoire des idées en France. Né le 4 août 1946 à Paris, sa carrière s’est principalement développée au sein du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), où il a acquis le statut de chercheur honoraire.
Son travail est vaste et couvre de nombreux sujets, dont l’analyse du racisme, de l’antisémitisme, du populisme, ainsi que des théories du complot et de l’extrême droite en Europe. Pierre-André Taguieff est particulièrement reconnu pour ses contributions à la compréhension des dynamiques du discours raciste et antiraciste, et pour ses analyses critiques sur les politiques de l’identité et le multiculturalisme.
Il a également écrit de manière approfondie sur Les Protocoles des Sages de Sion, démontrant comment ce faux document a été et continue d’être utilisé dans divers contextes pour alimenter l’antisémitisme. Ses recherches sur ce sujet, ainsi que sur d’autres formes de préjugés et de théories du complot, sont considérées comme des références dans le domaine.
Pierre-André Taguieff a publié de nombreux ouvrages influents qui explorent ces thématiques, contribuant significativement au débat intellectuel et public sur ces questions critiques. Sa capacité à analyser des sujets complexes avec clarté et profondeur fait de lui une voix importante dans les études contemporaines sur le racisme, l’antisémitisme et les mouvements politiques extrémistes.
Pierre-André Taguieff a joué un rôle majeur dans l’étude de l’antisémitisme et de la judéophobie, en s’appuyant sur une approche historique et conceptuelle rigoureuse pour analyser leurs manifestations à travers l’histoire. Son œuvre se distingue par une tentative de comprendre et de catégoriser les différentes formes que la haine des Juifs a prises au fil du temps, en partant de l’antijudaïsme antique et médiéval jusqu’à l’antisionisme radical de la fin du XXe siècle. La distinction que Pierre-André Taguieff fait entre différentes formes de judéophobie est cruciale pour comprendre la complexité et l’évolution de l’antisémitisme. En choisissant d’utiliser le terme judéophobie comme un terme générique, il souligne la continuité historique de la haine envers les Juifs, tout en reconnaissant les spécificités de chaque période : l’antijudaïsme antique et médiéval, souvent fondé sur des bases religieuses ; la judéophobie sécularisée des Lumières, où les critiques envers les Juifs commencent à se déplacer vers des arguments plus sociaux et économiques ; la forme nationaliste et raciste de la judéophobie au XIXe siècle, marquée notamment par l’apparition de l’antisémitisme racial ; l’antisionisme radical, qui, vers la fin du XXe siècle, a souvent été critiqué pour son chevauchement avec l’antisémitisme, en particulier lorsque la critique d’Israël sert de couverture à des attitudes antijuives. Dans La Judéophobie des modernes, Pierre-André Taguieff propose une anthologie exhaustive qui explore ces transformations, offrant une perspective éclairée sur les nuances et les complexités de la haine antijuive. Il souligne que, bien que le terme antisémitisme soit souvent utilisé de manière générale, il choisit de l’employer de façon plus restreinte pour désigner spécifiquement la forme racialiste de la judéophobie.
Cette approche permet de mieux saisir la persistance et les mutations de l’antisémitisme, en reconnaissant que, malgré la défaite idéologique du nazisme et la fin officielle des politiques antisémites d’État après la Seconde Guerre mondiale, des formes de judéophobie continuent d’exister et de se manifester dans la société contemporaine, y compris à travers des groupes extrémistes comme les néonazis et les skinheads.
Le travail de Pierre-André Taguieff, en poursuivant celui de son prédécesseur Léon Poliakov, offre ainsi une ressource précieuse pour quiconque cherche à comprendre les racines profondes et les manifestations actuelles de l’antisémitisme, ainsi que les défis que cela représente pour la société moderne.
Les Protocoles des Sages de Sion – Des origines à nos jours – Entretien avec Roman Bornstein
Pierre-André Taguieff – Hermann, 2024, 174 pages, 15 € – Format Kindle 9,99 €