mer 08 mai 2024 - 15:05

L’amitié peut-elle émanciper ?

De notre confrère Radio-France

L’amitié peut-elle être investie de telle manière à favoriser des relations égalitaires et bienveillantes, plus que le couple monogame ? Des réseaux affinitaires peuvent-ils supplanter les obligations salariales et familiales qui, parfois, pèsent trop pour certains ?

Avec Alice Raybaud Journaliste éducation au Monde

Il y a dans l’existence deux A majuscules, disent certain. L’amour. Et l’amitié.

Le premier est partout : dans les films et les essais, dans les têtes et dans les rêves. L’autre, l’amitié, semble beaucoup plus absent, en retrait passé un certain âge, moins pensé, pour le moins, par nos écrivaines et nos auteurs et moins raconté, pour sûr, par les sciences sociales. Pourtant : assiste-t-on aujourd’hui a un renouveau des cadres amicaux ? Que se passe-t-il en leur sein ? Sont-ils la voie véritable de l’émancipation ?

Une définition fluctuante de l’amitié

Alice Raybaud, autrice de Nos Puissantes Amitiés, explique : “Je ne me risque pas, au sein de l’ouvrage, à donner une définition très nette de l’amitié parce que ce dont je me suis rendu compte, c’est à quel point le mot ‘ami’ est justement extrêmement mince, extrêmement petit pour définir une quantité de modalités relationnelles qui sont extrêmement différentes. Il y a les amis auxquels on parle tous les jours, les amis d’enfance qu’on connaît depuis des années, ceux qu’on rencontre seulement tous les 2-3 mois pour faire un ciné, pour prendre un café, mais qui sont tous aussi importants. Dans l’ouvrage, je pars plutôt pour définir les amitiés, des pratiques.”

“Je suis allée à la rencontre de nombreuses personnes un peu partout en France qui décident de revendiquer et puis de s’investir pleinement dans leurs liens d’amitié. Et c’est de cette manière-là que je raconte plutôt les relations amicales. C’est à partir de ce qu’eux, ils défrichent aussi une forme d’amour amical et ce qu’eux, ils en font à la fois dans la manière dont ils prennent soin les uns des autres et puis dans tout ce qu’ils découvrent de force aussi dans ces liens intimes“.

“J’ai rencontré des personnes qui ne veulent plus du tout se contenter de cette place secondaire que l’on réserve à nos amitiés, qui décident d’investir, de prendre soin de ces autres liens d’intimité, parfois plus multis, parfois plus émancipateurs aussi, qui décident pour certains par exemple d’habiter entre amis, de repenser à l’échelle du cercle amical le soin aux enfants, ou encore par exemple d’organiser leurs vieux jours ensemble.”

Dans son ouvrage, Nos Puissantes Amitiés, Alice Raybaud note l’envie de plus en plus affirmée par une partie de la jeunesse de faire sauter les hiérarchies relationnelles, d’interroger la prééminence donnée à l’amour romantique, d’assumer un rapport plus distancié avec la sexualité, de repenser la manière de vivre d’autres liens d’intimité.

À lire aussi : Comment naît l’amitié ?

L’amitié au détriment de l’amour

L’amitié, ici, est aussi liée à l’interrogation autour du modèle du couple hétérosexuel classique, avec ce que de nombreuses femmes peuvent aussi avoir à perdre. L’auteure ajoute : “Je crois que toutes ces interrogations-là ont créé de nouvelles aspirations aussi au sein d’une jeune génération, qui reprend à son compte les interrogations qui en sont nées et qui décide de se dire : ‘je ne suis pas forcément obligée d’attendre le grand amour romantique pour commencer à construire des projets de long terme. Je ne suis pas non plus obligée forcément de ne me projeter que dans cette quête de trouver quelqu’un pour être absolument complet. Et je peux m’autoriser à créer des constellations plus vastes autour de moi.'”

Est-ce que les relations amicales ne sont pas elles aussi, imprégnées de relations de pouvoir néanmoins ? “C’est vrai que prendre au sérieux les relations amicales telles que j’appelle à le faire dans l’ouvrage, c’est aussi s’interroger sur les dynamiques néfastes qui peuvent aussi s’y insérer, les dynamiques de domination, tout ce qui peut s’y retrouver aussi, d’une forme de jalousie par exemple qu’on peut avoir intégrée, des dynamiques de pouvoir qui s’y retrouvent aussi. Je pense notamment à ces cellules des boys clubs, telles que l’a étudiée la chercheuse Martine Delvaux, qui sont ces groupes serrés d’amis hommes qui se protègent entre eux, qui montrent aussi que l’amitié n’est pas qu’une source d’émancipation.”

“Mais malgré tout, je pense que l’amitié est un espace qui est beaucoup moins agi et travaillé par une forme de culture de domination, mais aussi de culture de sacrifice de soi côté féminin. C’est aussi un espace qui a un cadre beaucoup moins corseté. Le cadre peut être renégocié en permanence. Il y a des scripts beaucoup moins serrés, ce qui fait qu’on peut être beaucoup plus imaginatif. Et je crois qu’il peut en ressortir quelque chose de vraiment émancipateur.”

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