sam 27 avril 2024 - 19:04

« Imaginaires prophétiques et barbares – Aux sources du nazisme », le dernier Lauric Guillaud

Lauric Guillaud, né à Nantes le 17 juin 1949, est un essayiste et universitaire français qui a apporté une contribution significative au domaine des études littéraires, notamment dans les sphères de l’imaginaire et du roman d’aventure.

Son expertise est particulièrement reconnue dans le domaine des mondes perdus, thème central de son doctorat d’État qui se concentrait sur les mondes perdus dans la littérature anglo-saxonne. Le parcours académique de Guillaud l’a vu enseigner à l’Université de Nantes avant de rejoindre l’Université d’Angers en 2009, où il a enseigné la littérature anglaise et américaine. Professeur émérite, il coule désormais une paisible retraite en Pays de la Loire.

Lauric Guillaud.

Son travail et ses contributions à la littérature ont été reconnus en 2019, lorsqu’il a reçu le prix littéraire de l’Institut Maçonnique de France (IMF) dans la catégorie « Essais ».

Cette distinction lui a été décernée pour son œuvre Le sacre du noir – Imaginaire gothique, imaginaire maçonnique lors du Salon Maçonnique du Livre de Paris. Ce prix souligne l’exploration impactante de Guillaud des intersections entre les imaginaires gothique et maçonnique, mettant en lumière sa profonde compréhension et son analyse des thèmes littéraires qui plongent dans les sphères complexes et souvent mystiques de la pensée et de la culture humaines.

Guillaume Dreidemie.

Son dernier opus, préfacé par le philosophe, professeur et poète Guillaume Dreidemie qui le qualifie de « bel ouvrage sur les ‘’arrières-fables nazisme’’ », nous transporte dans l’univers sombre de l’occultisme nazi.

En vérité, nous nous posons, d’entrée, la question : pourquoi les sources du nazisme fascinent-elles encore et toujours ? Un domaine d’étude touchant à la fois à l’histoire, la psychologie sociale, la philosophie, et la politique, de la montée du nazisme dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres alimentée par un mélange de facteurs économiques, sociaux, et politiques, l’humiliation du traité de Versailles, la crise économique de 1929, ainsi que le sentiment de désarroi et de recherche d’identité nationale ont créé ce terreau fertile pour l’idéologie nazie.

Sans doute aussi, la culture populaire allemande renforce cet intérêt pour les sources du nazisme se portant sur son esthétique, l’utilisation de symboles, la mythologie, et le recours à l’antiquité pour légitimer ses actions et sa vision du monde. Cette culture populaire englobant un large champ traditionnel, allant de l’art aux goûts, aux préoccupations et aux valeurs de ladite société. Imaginaires prophétiques et barbares – Aux sources du nazisme est une œuvre audacieuse qui se penche sur les racines culturelles et imaginaires du nazisme, un sujet souvent traité sous l’angle des facteurs sociopolitiques et économiques. Lauric Guillaud propose une perspective innovante en explorant comment un imaginaire fantastique et irrationnel a préparé le terrain et influencé la montée du nazisme en Allemagne.

Mythologie germanique, Idunn et les pommes de jouvence.

L’ouvrage se distingue par son approche multidisciplinaire, combinant histoire, littérature, et anthropologie pour dévoiler comment des éléments d’imaginaire fantastique ont pu s’entremêler avec les idéologies politiques et sociales pour former la base idéologique du nazisme. Lauric Guillaud s’appuie sur des travaux de recherche antérieurs, notamment ceux de la critique de cinéma et historienne du cinéma allemande Lotte Eisner (1896-1983),

Nosferatu.

connue pour son livre L’Écran démoniaque (The Haunted Screen), publié pour la première fois en 1952, dans lequel elle explore le cinéma expressionniste allemand, analysant des films comme « Le Cabinet du docteur Caligari » (1920), « Nosferatu » (1922), « Metropolis » (1927), et d’autres œuvres clés de cette époque. Son travail a été fondamental pour comprendre les thèmes, les techniques esthétiques, et l’impact culturel du cinéma expressionniste, mettant en lumière comment ces films reflétaient les angoisses sociales et les tumultes politiques de l’Allemagne d’après-guerre. Ou encore ceux de Georges Mosse (1918-1999), historien renommé, spécialisé dans l’étude de l’Europe moderne, notamment l’Allemagne nazie, le fascisme, et les questions de nationalisme, racisme, et sexualité, ou de l’historien américain spécialisé dans l’histoire de l’Allemagne moderne, avec un intérêt particulier pour le nazisme, l’occultisme et les croyances surnaturelles Éric Kurlander, qui ont établi des liens entre l’essor du nazisme et la montée de l’irrationnel dans la culture populaire allemande.

L’auteur argumente que le nazisme ne peut être pleinement compris sans examiner son substrat culturel et imaginaire. Ce substrat inclut des croyances en des mythes anciens, des théories occultes, et une fascination pour le surnaturel, qui ont contribué à façonner l’identité et les politiques du Troisième Reich. Lauric Guillaud entreprend une archéologie littéraire pour explorer ces influences, mettant en lumière comment divers auteurs, parfois bien avant l’avènement du nazisme, ont capté et exprimé dans leurs œuvres des éléments qui résonneraient plus tard avec l’idéologie nazie.

Le livre met en avant la littérature de l’imaginaire comme un prisme à travers lequel observer les courants sous-jacents qui ont alimenté le nazisme. Des auteurs comme Jules Verne, Jack London, et H.R. Haggard, entre autres, sont cités comme des prospecteurs de l’irréel dont les œuvres, par leur exploration de thèmes fantastiques et prophétiques, ont préfiguré ou même influencé les idéologies et les événements historiques. Cette idée suggère que la fiction peut agir comme un miroir anticipant ou reflétant les mouvements profonds au sein des sociétés.

L’ouvrage de Guillaud invite à une réflexion profonde sur la manière dont les mythes, les croyances irrationnelles, et les imaginaires collectifs façonnent les mouvements politiques et sociaux. En se concentrant sur l’imaginaire lié au nazisme, il révèle comment des idées et des motifs fantastiques ont été intégrés à une idéologie destructrice, soulignant la puissance de l’imaginaire dans la formation des idéologies politiques.

L’ouvrage offre une contribution significative à la compréhension du nazisme en dévoilant ses racines dans l’imaginaire culturel et littéraire. Guillaud nous rappelle que l’histoire est non seulement façonnée par des forces économiques, politiques, et sociales, mais aussi par des courants de pensée et des croyances profondément ancrés dans l’imaginaire collectif. Cette approche enrichit notre compréhension du passé et souligne l’importance de surveiller les imaginaires culturels comme facteurs influençant les directions futures des sociétés.

Horace Vernet, par Nadar, 1858.

Nous avons particulièrement aimé, en début d’ouvrage – ce qui est que très rarement fait –, l’explication symbolique de l’œuvre figurant en première de couverture, « La Ballade de Lénore ou les morts vont vite », tableau d’Horace Vernet (1789-1863), peint en 1839. Il s’agit d’une huile sur toile représentant une scène de la ballade de Gottfried August Bürger Lenore. Le tableau représente une jeune femme, Lénore, chevauchant avec son amant mort, Wilhelm. Wilhelm a été tué au combat et est revenu sur terre pour emmener Lénore avec lui dans l’au-delà. Le tableau est peint dans un style romantique, avec des couleurs sombres et dramatiques.

Lénore est représentée vêtue de blanc, ce qui symbolise sa pureté et son innocence. Wilhelm est vêtu d’une armure noire, ce qui symbolise sa mort. Le couple est entouré de squelettes et d’autres figures macabres, qui symbolisent les dangers de la mort. « La Ballade de Lénore ou les morts vont vite »,  exemple frappant du style romantique et une œuvre importante de l’art français, est un tableau puissant et évocateur qui explore les thèmes de l’amour, de la mort et du surnaturel.

En fin d’ouvrage, la présence d’une bibliographie étendue incluant à la fois des documents critiques et des documents relevant de l’imaginaire souligne la profondeur et la richesse de la recherche effectuée par l’auteur. Pour aller plus loin…

Imaginaires prophétiques et barbares – Aux sources du nazisme

Lauric Guillaud – Préface de Guillaume DreidemieÉditions du Cosmogone, 2024, 274 pages, 28 €. Disponible au Cosmogone.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Perspectives » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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