dim 05 mai 2024 - 09:05

04/02/24 : 230e anniversaire de la première abolition de l’esclavage. Quel rôle a joué la franc-maçonnerie ?

Le 230e anniversaire de la première abolition de l’esclavage en France – le 16 pluviôse An II, soit le 4 février 1794 – représente une date historique importante. Cette abolition, qui a eu lieu durant la Révolution française, a marqué une étape cruciale dans la lutte contre l’esclavage et pour les droits de l’homme.

« Ne suis-je pas un homme ? Un frère ? » Médaillon abolitionniste, en porcelaine tendre, Musée national Adrien-Dubouché

En 1794, la Convention nationale, sous l’influence des révolutionnaires et des militants antiesclavagistes, a déclaré l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

Décret du 16 pluviôse an II/ 4 février 1794, Nicolas André Monsiau, © Photo RMN, musée Carnavalet

Cet acte a été un événement majeur, bien qu’il ait été révoqué par Napoléon Bonaparte en 1802 pour des raisons économiques, politiques, stratégiques et idéologiques dont essentielles : l’économie des colonies françaises, notamment celles des Antilles, était fortement dépendante de la main-d’œuvre esclave pour la production de sucre, de café et d’autres biens et le fait que le rétablissement de l’esclavage semblait être nécessaire pour maintenir l’ordre et la stabilité dans les colonies, notamment après les révoltes d’esclaves et les conflits sociaux qui avaient suivi l’abolition initiale.

L’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies françaises n’est intervenue qu’en 1848, sous la Deuxième République, dirigée à cette époque par Victor Schoelcher (1804-1893) journaliste et homme politique, initié au sein de la loge parisienne « Les Amis de la Vérité » au Grand Orient de France. Mais ceci est une autre histoire…

Victor Schœlcher, par Étienne_Carjat.

Le 230e anniversaire est l’occasion de commémorer cette décision historique, de réfléchir à l’histoire de l’esclavage et à son héritage, ainsi qu’à la lutte continue contre toutes les formes de discrimination et d’oppression. C’est aussi un moment pour éduquer les générations actuelles et futures sur l’importance des droits de l’homme et de la dignité humaine. C’est aussi l’action que le maçon doit conduire au dehors du temple. Une façon, à sa manière, de le reconstruire !

Le mardi 4 février 1794 est donc une date historiquement importante.

L’abolition de l’esclavage en 1794 par la France fut l’une des premières abolitions légales de l’esclavage dans un grand empire colonial. Cela représentait une avancée significative dans la compréhension et la mise en œuvre des droits de l’homme à une échelle globale.

L’abolition est survenue dans le contexte de la Révolution française, qui a propagé des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, si chers à la franc-maçonnerie. Ces idéaux ont eu un impact profond non seulement en France mais aussi dans le monde entier, influençant les mouvements pour la démocratie et les droits humains dans d’autres pays.

L’abolition a été en partie le résultat des révoltes d’esclaves, en particulier celle de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) qui a débuté en 1791. Cette révolte a démontré la force et la détermination des esclaves, acteurs actifs, à lutter pour leur liberté.

Les acteurs de cette première abolition

En premier lieu, la Société des Amis des Noirs, organisation abolitionniste française fondée en 1788. Elle joua un rôle crucial dans la lutte contre la traite des esclaves et l’esclavage dans les colonies françaises. Cette Société a été influencée par des mouvements abolitionnistes similaires dans d’autres pays, notamment la Société pour l’Abolition de la Traite des Esclaves, fondée en Grande-Bretagne en 1787.

Brissot, défenseur des hommes de couleur.

La Société des Amis des Noirs comprenait des intellectuels, des politiciens et des écrivains. Parmi ses membres les plus éminents figuraient Jacques-Pierre Brissot, qui en fut un des fondateurs et leaders, et Maximilien Robespierre. D’autres personnalités notables comme le marquis de Condorcet et le plus grand orateur de la Révolution, le comte de Mirabeau – dont on suppose qu’il a reçu la lumière puisqu’affilié aux « Neuf Sœurs » le 22 décembre 1783 – étaient également impliquées.

Les principaux objectifs de la Société étaient l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage. Ils cherchaient également à améliorer les conditions de vie des Noirs dans les colonies françaises et à promouvoir l’égalité des droits. Pour cela, elle utilisait divers moyens pour atteindre lesdits objectifs, notamment la publication de pamphlets, l’organisation de réunions et de débats, ainsi que le lobbying auprès des responsables politiques. Elle tentait de sensibiliser le public et les législateurs aux injustices de l’esclavage et de la traite des esclaves.

Léger-Félicité Sonthonax.

Il faut compter aussi sur les Commissaires de la République en mission à Saint-Domingue. Au premier chef, Léger-Félicité Sonthonax (1763—1813), révolutionnaire girondin et premier législateur abolitionniste français en promulguant, le 29 août 1793, l’abolition générale de l’esclavage dans la province du Nord de Saint-Domingue, plusieurs mois avant que la Convention ne décide, à Paris, l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies, le 4 février 1794.

Et Étienne Polverel (1738-1795) qui fut aussi, avec Léger-Félicité Sonthonax, un des premiers abolitionnistes de l’esclavage en France, copubliant le 29 août 1793, l’abolition générale de l’esclavage dans la province du Nord de Saint-Domingue.

Sous la pression des événements aux colonies et des mouvements abolitionnistes en métropole, la Convention nationale a voté l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises le 4 février 1794

Bien que cette abolition ait été révoquée en 1802, elle a posé un précédent et a contribué à des mouvements abolitionnistes plus larges. L’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies françaises en 1848 a été influencée par ces premières mesures.

GODF, grand temple Arthur Groussier, détail – Photo YG.

La commémoration, en 2024, de cette abolition aide à sensibiliser aux impacts historiques et actuels de l’esclavage, ainsi qu’à la nécessité continue de lutter contre le racisme et la discrimination. Cela rappelle également l’importance de reconnaître et de respecter les droits humains universels.

Ce 230e anniversaire est une occasion, pour le ‘’bâtisseur de cathédrale’’ qu’est le maçon du XXIe siècle, de réfléchir sur les progrès réalisés dans la lutte contre l’esclavage et les inégalités, tout en reconnaissant qu’il reste encore beaucoup à faire pour éradiquer les formes modernes de servitude et de discrimination.

Mais, en 1794, que fut l’implication des maçons dans cette première abolition de l’esclavage ?

Historiquement, il y a eu des liens entre certains francs-maçons et les mouvements abolitionnistes, mais attribuer l’abolition de l’esclavage uniquement à l’action des francs-maçons serait réducteur.    L’art royal, influencée par les idéaux des Lumières, promouvait des valeurs telles que la liberté, l’égalité et la fraternité, qui étaient également des principes centraux de la Révolution française. Ces valeurs ont influencé la pensée et les actions de nombreux révolutionnaires, y compris dans leur position vis-à-vis de l’esclavage.

Plusieurs membres éminents de la franc-maçonnerie étaient également des partisans de l’abolition de l’esclavage. Bien que certains francs-maçons aient pu influencer le discours sur l’abolition de l’esclavage, il n’existe pas de preuve directe que la franc-maçonnerie en tant qu’ordre initiatique ait joué un rôle déterminant dans l’abolition de l’esclavage en 1794. L’abolition était le résultat d’une multitude de facteurs, y compris les révoltes d’esclaves, les pressions politiques et les idéaux révolutionnaires.

Proclamation de Léger-Félicité Sonthonax en créole.

À l’époque, les sociétés secrètes, nous dirions discrètes et à secrets de nos jours, y compris la franc-maçonnerie, étaient souvent suspectées d’influencer la politique. Cependant, il est difficile de tracer des liens directs et concrets entre les actions de ces sociétés et des événements politiques spécifiques comme l’abolition de l’esclavage. Ladite abolition résulte d’un ensemble de facteurs sociaux, politiques et idéologiques. Dont des esprits favorables ont été le réceptacle.

Pour le maçon, l’abolition de l’esclavage est perçue comme une étape fondamentale dans le développement et la maturation de notre civilisation. C’est, tout d’abord, la reconnaissance que tous les êtres humains possèdent une dignité intrinsèque et des droits inaliénables. L’abolition est vue aussi comme une avancée significative sur le plan moral et éthique. Elle contribue à la promotion et à l’adoption de principes de droits humains universels, posant des bases pour d’autres mouvements de libération et de droits civiques, renforçant l’importance de la justice sociale et de l’égalité.

Marianne, grand temple Arthur Groussier – Photo YG.

Par ailleurs, en promouvant l’égalité et en éliminant une source majeure de conflit et d’oppression, l’abolition de l’esclavage a contribué à la création de sociétés plus stables et pacifiques.

Jalon crucial dans l’histoire de l’humanité, symbolisant un rejet des pratiques oppressives et un engagement envers des valeurs de justice, d’égalité et de respect de la dignité humaine, l’abolition est un premier pas important pour une société plus équilibrée et plus humaine. À nous de faire le second. Au travail !

En 2024, il reste encore des Bastilles à faire tomber, notamment concernant les esclavages invisibles de l’islam – à quand l’heure de vérité…

En France, il y a plus de vingt ans, le 10 mai 2001, était adoptée la « loi Taubira », qui reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Perspectives » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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