Penser neuf, parler neuf : Nombre de Francs-maçons, de Franc-maçonnes, formés à la tradition orale, n’ont de cesse de cajoler cette idée excitante, prometteuse d’un autre regard sur les êtres et les choses…. et en même temps ne peuvent guère s’empêcher de penser ou de parler sans se référer constamment ” à la chose écrite” : textes de l’Evangile de Chose, bouquins de Machin, citations de Truc. Comme si lesdits Frères et Soeurs ne s’autorisaient pas à penser et à créer par eux-mêmes, ici et maintenant ; comme si tout était mieux autrefois et ailleurs, bref, comme si tout était dit et écrit depuis longtemps y compris la Vérité, majusculée bien sûr ! Alors, déjà sur ce simple constat, surgit d’évidence la question : A quoi servons-nous ?!
Ce n’est pas offenser notre mouvement, ni montrer quelque trivialité que de poser cette question vitale, qui en entraine plusieurs autres en forme de faits observables : Quand cesserons-nous, par retenue, timidité, déférence, obséquiosité, par goût morbide du secret aussi, de jouer au Bernard-L’hermite, ce crustacé qui se réfugie dans la coquille des autres ? Quand perdrons-nous l’habitude (inconsciente) de nous autodévaloriser ? Quand nous débarrasserons-nous de notre culpabilité générationnelle ? Quand aurons-nous enfin confiance en nous, adultes devenus, après trois siècles d’existence de la franc-maçonnerie spéculative ?
Le temps du bilan, n’est-il pas venu, au moment où nous est annoncé – indication vraie ou fausse – une baisse de 30% des effectifs maçonniques, opportunément mise sur le compte de l’épidémie de Covid ?!
Changer est certes difficile, mais possible ! Et, après tout, nos mythes et nos légendes, nos allégories et nos symboles, en valent bien d’autres !
Deux mille ans d’une civilisation de la « faute originelle imaginaire » ont laissé des traces ! Soyons fiers d’être francs-maçons et franc-maçonnes. Tant que l’Art Royal existera dans un pays, y vivra ce trésor précieux pour chacune et chacun, qu’est la liberté, d’être, de dire et de faire le Bien.
Nous voulons devenir meilleurs et rendre les autres meilleurs. Très bien, mais qui le sait vraiment, qui le dit vraiment, à l’extérieur de nos temples ? Et d’ailleurs nous-mêmes, prenons-nous vraiment le chemin de cette amélioration, au début de ce siècle, si nous nous contentons seulement d’ouvrir et de lire les livres, anciens et récents, des philosophes réputés ou des penseurs référencés par la télé et les hebdomadaires ? Si nous nous limitons, en d’interminables débats par écrans d’ordinateurs interposés, à commenter les commentateurs, à désigner, si je puis dire, les écrits vains d’écrivains, à nos yeux bons ou mauvais ?!
Les “profanes” peuvent aussi se poser ces questions en lisant nos échanges électroniques qui reviennent trop souvent à faire de l’analyse de textes ! Je me désigne aussi, bien entendu, dans ce jeu de tennis informatique !
Le pouvoir d’indignation
Au vrai, nous souffrons du défaut de notre qualité : le généreux syncrétisme dont est issue la franc-maçonnerie, nous positionne en crise permanente d’identité. Et, à mon avis, nous n’occupons pas la place, où nous devrions être reconnus aujourd’hui. Les livres de nos auteurs maçonniques sont encore souvent classés en librairie, au rayon des pratiques « parallèles », quand ils devraient apparaître sur l’étagère des sciences humaines et sociales !
Avant la seconde guerre mondiale, de l’abolition de l’esclavage au travail des femmes et des enfants, de la Sécurité sociale au contrôle des naissances, de l’essor du syndicalisme aux congés payés, nos aînés ont apporté en y contribuant activement, autant que des pierres, des clés de voûte à l’édifice. Et à ce titre, par secteurs d’activités, la maçonnerie s’est tout à fait inscrite hier et aujourd’hui plus que jamais, dans le progrès de la condition humaine. Notamment en se rapprochant – nos planches en témoignent – outre de la littérature et la philosophie, des disciplines positives : sociologie, psychologie, psychanalyse, Analyse Transactionnelle, Programmation Neurolinguistique, et aussi anthropologie,
De nos jours, à l’image des cathédrales toutes achevées (ou en restauration avancée telle Notre Dame de Paris après son récent et dramatique incendie) les grandes institutions sociales et caritatives sont largement ancrées et opérationnelles. Des millions de bénévoles agissent. Notre Ordre, qui est très intégré dans le vaste mouvement associatif – par le biais de beaucoup de ses membres – ne ferait guère mieux à lui seul, en matière d’aide matérielle et morale aux démunis, que les structures existantes. Nous n’avons d’ailleurs pas forcément vocation d’assistanat.
En revanche, à défaut de cathédrales, il reste l’homme de demain à bâtir. Un homme respectueux de lui-même et de son alter ego. Un homme qui aime d’amour, son Frère Homme. Nous avons montré – avec des colloques réussis notamment sur la Dignité, puis beaucoup d’autres – la capacité des maçons français à s’unir pour afficher à l’extérieur leur pouvoir d’indignation et affirmer que l’être humain n’est pas un produit jetable.
Il en faudra encore, des manifestations semblables, sur tous les thèmes bénéfiques à l’humanité, et sur tout le globe, pour atteindre la lumineuse « humanitude » jacquardienne. Partout, à l’occasion de ces rencontres, sont à inventer et diffuser pensées et paroles neuves, que nous sommes capables de générer sous notre enseigne. Partout, où cela est possible, est notre vrai rôle sociétal. Ne sommes-nous, par notre initiation même, des îlots de lumière, prompts à participer à l’éclairement du monde ?
Encore faut-il que nous redéfinissions notre mouvement, avec les mots d’aujourd’hui. Encore faut-il que nous requalifiions parfois nos Temples, confondus par certains : il n’est pas inexact de dire que ce sont des espaces d’expression, et non des lieux de culte, encore moins des relais du créationnisme. Le « principe créateur » en tant que Grand Architecte de l’Univers, postulé par certaines Obédiences respectables est un symbole parmi d’autres, dans son système de références, mais aucunement le dieu imposé d’une confession. Partant, pas de mélange des genres : il est loisible à chacun, à chacune, de fréquenter à part, une église, où il ou elle le veut, quand il ou elle le veut.
Ouvrons donc nos temples, non à tous ceux qui viennent y frapper, mais aux personnes bien dans leur tête, au clair avec des croyances éventuelles estimables, ni esclaves de l’invisible, ni d’elles-mêmes. Au moment où tant d’individus disent éprouver un “vide spirituel”, demandons précisément à nos postulants (tes) ce qu’ils (elles) entendent par spiritualité, ce mot fourre-tout, au final trompeur, voire dangereux quand il est chargé de contre-sens ! Rappelons-nous que le mot Spiritualité appartient à la famille « spir » qui indique avant tout la respiration, donc la Vie !
C’est ainsi, l’homme est souvent dans ce qu’il cache : nous n’avons pas – et plus – à donner l’entrée à ceux, entre autres, qui, rongés par le regret, viennent chercher en maçonnerie une religion privée ou “de substitution”, pour compenser les avatars d’un parcours individuel. La tolérance est limitée par l’intolérable. Ce sont presque toujours ces “dépossédés” qui, insidieusement, au fil des degrés de rites qui ne sont pas religieux, installent ou tentent d’installer un dogmatisme régressif et, attention, parfois au parfum sectaire. Ce sont eux qui, dans leur psychorigidité en matière de croyance, nous feraient croire que la tradition est un système figé, pétrifié, tourné vers un passé idyllique et synonyme à leurs yeux, de vérité. Gare !
Tout au contraire, la véritable tradition maçonnique est bien vivante. Ce n’est pas une mare mais un fleuve, dont le cours se nourrit sans cesse des riches alluvions de ses affluents, pour sa survie même ! Pour que vive, comme l’eau vive, la franc-maçonnerie !
Ainsi cette tradition nous dicte-t-elle, dans sa grande sagesse, de pratiquer un recrutement, à visée de complémentarité permanente. Tant de vigilants gardiens de nos valeurs passées sans être passéistes, c’est nécessaire, que d’hommes et de femmes d’ouverture, novateurs, novatrices par définition, c’est essentiel. Et, partant, ladite tradition nous invite à nous garder de nostalgiques abusifs, amateurs d’occultisme, voire de magie et de sorcellerie qui, à l’évidence, se sont trompés de porte ! Le mystère de l’univers, comme son nom l’indique, doit en rester un ! Les astrophysiciens le savent mieux que quiconque : plus ils avancent dans leurs conquêtes spatiales, plus de nouveaux mondes surgissent ! A donner le vertige aux humbles humains que nous sommes ! A nous ôter toute vanité !
Pour bien vivre présentement sur la terre des Hommes et des Femmes – en écartant l’hubris (la démesure) pointée par les grecs antiques, cinq principes – qui tiennent sur les cinq doigts de la main – s’imposent à eux, donc au Franc-maçon, à la Franc- maçonne : donner, se donner (des satisfactions), demander, recevoir, refuser Dans ce cadre, « A quoi servons-nous ? » dis-je d’entrée : Reconnaissons qu’il nous est surtout demandé et imposé, en divers termes à la fois altruistes et interdictifs lorsque la porte du Temple nous est ouverte, mais les règlements (certes nécessaires) nous disent moins ce que nous y recevrons ! Nous entrons donc en confiance dans cet Ordre.
Or, lors de cette entrée acceptée, qui s’appelle l’initiation, combien de Frères et de Sœurs sont de fait en demande, non spécialement de reconnaissance, mais, nuance, d’attention et de considération, qui ne leur sont pas toujours offertes à l’extérieur. En un mot, tout simple, cette double faveur a pour nom le RESPECT, qui est de l’ordre du sacré. Car oui, l’Homme est sacré, ne l’oublions jamais.
Voilà ce que nous venons, à la fois donner et chercher en loge. Voilà pourquoi, certains, certaines, insatisfaits, s’en vont. La solidarité (ou le solidarisme) est à double sens. Nous sommes certes indépendants par nature, mais dépendants par nécessité :
Je suis parce que tu es, tu es parce que je suis !