sam 27 avril 2024 - 21:04

Révolution, franc-maçonnerie et Vatican : la dynamique d’une question ouverte

De notre confrère radiospada.org – par Andrea Giacobazzi

Deux livres publiés à quelques jours d’intervalle constituent un tableau digne d’attention pour quiconque s’intéresse à la révolution qui touche l’Église depuis longtemps.

La franc-maçonnerie vaticane , de Don Charles T. Murr (Faith&Culture), et  Coup d’État dans l’Église , de Don Andrea Mancinella (Edizioni Radio Spada), racontent des histoires différentes mais qui s’entrelacent sur plusieurs points.

Cadre des publications

Le premier est le témoignage personnel des principaux événements liés à l’ enquête Gagnon , ou visite apostolique à la Curie romaine et aux infiltrations maçonniques qui la concernaient, confiée à l’évêque canadien (plus tard archevêque et cardinal) Édouard Gagnon dans les dernières années du règne de Paul VI (1975-1978). Le livre, très ludique et brillant, reprend l’expérience personnelle de Don Murr, vécue en contact direct et en trio serré avec Mgr Mario Marini et Gagnon lui-même, au cours de ces années tumultueuses. Il n’y a aucun détail sur le résultat de l’enquête, qui est très vaste selon ce que l’on peut comprendre, et dans le même volume (p. 33) un appel à publication est lancé : « Saint-Père, dans un souci de transparence, à encourager davantage les réformes indispensables à Rome, et pour la vitalité même de l’Église du Christ, je vous implore de rendre publics les documents sur lesquels mon ami a travaillé si assidûment et qu’il a fournis à vos prédécesseurs.

De l’œuvre du Visiteur Apostolique, le volume ne peut faire connaître que ce qui est défini, sur la même page, comme la  pointe de l’iceberg . Il s’agit principalement du cas du cardinal Sebastiano Baggio et de l’archevêque Annibale Bugnini, soupçonnés d’être affiliés à la franc-maçonnerie. Ce sont deux personnages clés : le premier en tant que préfet de la Congrégation des Évêques, a apporté une contribution décisive à la nomination des Ordinaires (y compris les sièges de cardinaux, évidemment) du monde entier et le second a été le  grand architecte de la révolution liturgique. .

Un passage est révélateur (p. 160-161) où est reconstitué le dialogue entre le Visiteur canadien et Jean-Paul Ier : « « Aussi terrible soit-il, Saint-Père », intervient Mgr Gagnon, « les dégâts qu’ont causés ces deux hommes pour l’Église de Dieu, c’est bien pire. L’archevêque Bugnini a dirigé le travail de réforme liturgique après le Concile, allant bien au-delà du mandat reçu des Pères conciliaires, créant effectivement de nouveaux rites liturgiques et sacramentels. Il a invité les érudits protestants à participer à son  renouveau de la liturgie romaine, un renouveau qui s’apparente plutôt à une réinvention. Il y a eu  une expérimentation liturgique effrénée qui a réduit les rites les plus solennels de l’Église à un jeu. Et c’est lui qui a présidé cette révolution. » « Nous en sommes conscients », a déclaré calmement le pape. “Mais Mgr Bugnini a été démis de ses fonctions”, a-t-il ajouté faiblement.

C’est dans ces quelques lignes que réside le nœud du problème, qui nous offre l’occasion de faire un pas en avant. L’archevêque Bugnini a été démis de ses fonctions (envoyé en mission en Iran), mais la révolution liturgique qu’il a mise en œuvre n’a pas été supprimée. Même la carte. Baggio (très tard, en 1984) a été affecté à un autre rôle, mais les erreurs qu’il avait promues n’ont pas été éradiquées.

Ici, l’autre livre vient à notre aide, à savoir  Golpe nella Chiesa , de Don Andrea Mancinella, qui, non sans références à la  partie visible de l’iceberg,  parle aussi beaucoup de la  partie sous-marine : le coup d’État doctrinal-néomoderniste du Concile Vatican II. (1962-1965). Par exemple, juste pour mieux expliquer un passage qui vient d’être cité, au chapitre VIII –  Jean-Paul Ier : l’incompréhension du sourire  (p. 169), on se souvient comment le patriarche de Venise d’alors Luciani, avant d’être élu au trône, était un fier opposant de la messe habituelle, célébrée dans la Lagune par Don Siro Cisilino, et exécutant zélé des normes liturgiques montiniennes-bugniniennes. Le futur Jean-Paul Ier, homme affable et par son histoire personnelle certainement hostile au style maçonnique, avait une approche clairement conciliaire .

Aldo Maria Valli écrit dans la postface de  Golpe nella Chiesa : « Il y a des noms et des prénoms. Il y a les dates et les circonstances. Il y a des responsabilités. » Le plan incliné de la subversion est en outre expliqué par un solide appareil de notes (plus de 400) qui certifient comment, en un temps relativement court, la vie des catholiques a été bouleversée par une nouvelle ecclésiologie, un nouveau rapport au monde , une nouvelle liturgie, avec finalement les grandes lignes d’une  nouvelle religion  compatible avec les idées de la révolution.
Mais avant d’aller plus loin, il est bon d’établir quelques principes qui peuvent être utiles pour rendre l’analyse de ce sujet plus fructueuse.

Dynamiques de subversion et franc-maçonnerie : notes générales et cas concrets

Concernant la dynamique en question, on peut certainement dire que :

1. La franc-maçonnerie n’est pas seulement l’agent de la révolution : elle en représente certes un rôle important et très propulseur mais pas le seul. Il y eut, notamment dans l’après-guerre, des francs-maçons très ardents anticommunistes et de féroces communistes anti-maçonniques (les loges étaient formellement interdites en Union soviétique), sans que cela n’exclue l’un des deux partis du processus révolutionnaire.

2. La franc-maçonnerie est entièrement condamnée par l’Église mais n’est pas toujours unie en son sein, les divisions ont même parfois été aiguës. La même chose s’applique aux forces révolutionnaires en général. L’unité parle de perfection et est propre au bien et non au mal (qui est une privation).

3. On peut agir en faveur de la révolution en général et de la franc-maçonnerie en particulier, même de bonne foi, sans savoir en pleine conscience qu’on est utile à l’avancement des idéaux révolutionnaires ou maçonniques. Il peut donc y avoir des personnes, de par leur histoire et leur formation, hostiles aux modes d’action et aux attitudes propres aux loges, qui portent pourtant des idées bienvenues dans le milieu maçonnique.

4. Les contradictions entre hommes dépassent souvent la sphère idéale. On peut avoir des idées identiques au sein d’une loge, voire au sein d’une association anti-maçonnique, et s’affronter pour des raisons personnelles. Cela se produit également dans le monde de la Tradition catholique, où malheureusement le tentateur , ne pouvant opérer selon la Doctrine, agit souvent sur la haine entre les gens. Ce point est important car le niveau d’analyse d’un conflit ne peut pas toujours être réduit à l’apparent conflit d’idées et de positions, mais doit être étendu à d’autres facteurs.

Ayant posé ces principes, on comprend mieux pourquoi un homme probablement de bonne foi, mais totalement engagé dans la révolution néo-moderniste – au point d’aller jusqu’à utiliser l’expression d’  Église conciliaire  – comme le Cardinal Benelli, fut un grand partisan de la plutôt malvenue enquête Gagnon. On comprend aussi pourquoi dans  La Rivista maçonnique , à l’occasion de la mort de Paul VI, le Grand Maître Gamberini allait jusqu’à déclarer : « C’est la première fois – dans l’histoire de la Franc-maçonnerie moderne – que le Chef de la La plus grande religion occidentale ne meurt pas en état d’hostilité envers les francs-maçons. […] Pour la première fois dans l’histoire, les francs-maçons peuvent rendre hommage au tombeau d’un pape, sans ambiguïté ni contradiction » ( Coup d’État dans l’Église , chapitre III). Ou parce que, sans que chaque participant ait besoin d’être  initié , la liesse maçonnique pour la journée œcuménique d’Assise 1986 – avec Jean-Paul II comme hôte – a été publique, perturbatrice et manifestée par écrit ( Coup d’État dans l’Église , Introduction). Ou encore parce que, sur une initiative maçonnique, on a tenté de remettre le prix Galileo Galilei au pape polonais dix ans plus tard, en 1996, qui a refusé ( Coup d’État dans l’Église , chapitre IX).

Une fois de plus, dans l’arène où s’affrontent les prélats néo-modernistes, nous assistons à un affrontement entre de fausses alternatives, filles et promoteurs, quoique avec des degrés et des attitudes différents (parfois même en conflit) de la même révolution. Ce fait, comme nous l’avons mentionné, découle de la  désunité  du front subversif et représente d’une part son point faible, de l’autre un point fort dans la tromperie qu’il peut facilement générer : c’est-à-dire faire croire que l’une des fausses oppositions qui s’affrontent représentent une véritable alternative à la révolution elle-même. C’est également pour ces raisons que la chasse à une affiliation maçonnique unique risque de devenir une arme involontaire de distraction massive, ainsi qu’une opération souvent risquée car rarement dotée de preuves irréfutables, de plus facilement polluée par des stratégies de diversion, y compris la publication de fausses affiliations. listes.

Tout cela permet de comprendre pourquoi le résultat de la visite apostolique effectuée par Gagnon dans les années 1970 reste si entouré de mystère et avec des fruits si limités, des décennies plus tard.

Édouard Gagnon : une mention distincte et les consécrations de Mgr Lefebvre en 1988

Le prélat canadien mérite sans aucun doute une mention à part. Homme largement reconnu comme sage, dévoué et équilibré, il a été victime de perquisitions et de menaces de mort au cours de son enquête. Déçu par l’accueil réservé à son minutieux travail d’investigation, il revient exercer son ministère auprès des pauvres de Colombie. Il fut rappelé à Rome par Jean-Paul II à la suite de l’attentat de 1981 (dont Gagnon lui-même l’avait prévenu) et créé cardinal. Un prélat de sensibilité conservatrice a été nommé pour visiter les séminaires de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie de l’ idéologie conciliaire.

À ce sujet, Don Murr a fourni (FSSPX-News, 25 avril 2023) une révélation importante qui, à certains égards, « boucle la boucle » sur de nombreux points évoqués précédemment. Gagnon, dans son rapport officiel, fait l’éloge du Saint Pie «Le système dont ils disposent mérite d’être reproduit dans tous les séminaires du monde. C’est exemplaire.” Don Murr poursuit avec une confiance du cardinal : « J’ai trouvé surprenante l’opinion du cardinal sur Mgr Lefebvre, l’homme lui-même. Il ne fait pas confiance au Vatican. Et qui peut le blâmer? Le ferait-elle ? Pendant des années, il essaya de traiter avec Villot et Garrone. Et pendant des années, ils ont seulement bloqué ses tentatives de parler et de raisonner directement avec le Saint-Père. Elle aussi se méfierait du Vatican. »

Et il termine en le citant encore : « Non, même si je ne peux pas approuver ce qu’il a fait [consacrer quatre évêques au lieu d’un], je peux comprendre pourquoi il l’a fait. Ils lui permettent de consacrer un évêque. Un seul évêque. Il [Lefebvre] meurt. Puis son unique évêque meurt également. Le Vatican envoie alors un remplaçant moderniste à la FSSPX – et, d’un coup [claquement de doigts], c’est fini !

Le reste appartient à l’histoire.

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