Le succès des populistes tient entre autres à leur comportement lors des débats publics, face à ceux qui « ne savent qu’argumenter ». Cela se retrouve aussi en loge.
Ces dernières années ont vu l’explosion du nombre de politiciens affublés du label « populiste ». Si l’on cherche une caractéristique commune, notons d’abord l’écrasante majorité d’hommes, mais il y autre chose. On peut mentionner aussi la présence fréquente de coiffures sortant de l’ordinaire : Beppe Grillo, Geert Wilders, Boris Johnson, Javier Milei, et bien sûr Donald Trump. Derrière, on comprend bien que chaque politicien cherche à marquer les mémoires afin d’augmenter ses chances électorales. Dans le cas des populistes il s’agit en plus de passer une image de différence personnelle par rapport au « système » . Bref, cela dit qu’ils sont de gros rebelles.
Par opposition à ces populistes, on trouve des hommes et femmes, à l’aspect bien moins révolutionnaire, que l’on qualifie plus volontiers de réformistes. Parmi les exemples type on peut citer Hillary Clinton ou Angela Merkel. Pour ces hommes ou femmes, le fond est largement plus important que la forme. Ils s’attacheront à maîtriser parfaitement les sujets, dossiers et argumentaires chiffrés. Ils respectent leurs interlocuteurs mais forment des débatteurs redoutables …pour autant que l’on débatte du contenu des dossiers, et de manière honnête.
En 2016 il s’est avéré que Trump avait en fait remporté les trois débats télévisés qui l’opposaient à Clinton.
Et cela alors qu’elle avait une supériorité écrasante en richesse argumentaire. Ce phénomène a été décortiqué par nombre d’analystes. En question aussi, comment se fait-il que l’équipe Clinton n’ait pas redressé la barre après le premier puis le second échec ? Eh bien, parce que l’équipe Clinton était quasiment entièrement composée d’amoureux des dossiers. Ils n’ont pas souhaité s’abaisser au niveau de leur adversaire, avec les conséquences que l’on sait.
Le conseiller Peter Modler en a tiré un livre résumant l’analyse effectuée et les leçons apprises : « mit Ignoranten sprechen », ou « l’art de parler avec des crétins ». Le sous-titre contient la substantifique moëlle : « si vous ne savez qu’argumenter, vous perdrez ». Le populiste se met résolument du côté de ceux qui souffrent de la condescendance des élites, qui transparaît inévitablement au travers de leurs paroles et comportements. Son objectif est de déstabiliser l’adversaire. On se souvient de Trump trouvant et balayant des pellicules sur le veston de Macron. Notre Macron avait résisté au mieux en partant d’un grand éclat de rire ; s’’offusquer l’aurait fait perdre bien plus d’aura.
Les argumenteurs classiques comme décrits ci-avant, Modler les appelle les « horizontaux » . Ils sont en effet dans le principe d’égalité de l’interlocuteur. Les autres par contre, ne perdent jamais de vue les statuts et pouvoirs respectifs. Très fréquemment la rencontre doit donc débuter par une clarification à ce propos. Un « vertical », qui est en position supérieure, le soulignera sans vergogne tout au long des échanges. Il pourra même s’en servir pour refuser d’échanger . Le doux intellectuel horizontal qui tombe pour la première fois face à un tel interlocuteur se fait balayer sans comprendre.
Les clarifications de pouvoir incluent les titres mais aussi les domaines, donc les questions de territoire. Le tout est à comprendre comme une scène théâtrale où se joue une confrontation de force et une conquête possible de territoire. Cela se déroule devant les téléspectateurs qu’il s’agit de convaincre. Lorsque Clinton se déplaçait vers l’avant pour mieux écouter une question du public, Trump se déplaçait derrière, grimaçant, ce qui signifiait sa domination sur tout l’espace arrière de la scène. Ce message était reçu par tous les électeurs peu sensibles au fond débattu.
En fait, les échanges peuvent être classés selon trois niveaux.
Le premier est le niveau classique du débat d’un sujet, à l’aide d’arguments : c’est le high talk. High parce que le contenu est très riche et repose sur des raisonnements, des statistiques, etc. Puis vient le basic talk . Là, les phrases se font courtes, volontairement pauvres en contenu . Exemple : « c’est faux ». Mais la puissance est là : l’argumenteur est stoppé dans son élan démonstratif, dont le contenu devient instantanément caduc. Le troisième niveau, encore plus violent et par conséquent puissant : le move talk. Ici le mouvement ou le geste capte tous les regards. Le mouvement est associé à la conquête territoriale et sa symbolique théâtrale.
Pour que les questions politiques progressent vers une solution, il faut néanmoins que le fond des sujets soit abordé. Il est donc important que les horizontaux aient une certaine pratique des techniques verticales. L’entraînement est indispensable. Les phases verticales de l’échange précèdent généralement les phases horizontales, pourvu que l’interlocuteur horizontal n’aie pas perdu la partie avant de réussir à amener la phase argumentative des échanges.
Chers lecteurs, un petit plaisir : lors de vos prochaines tenues ou conférences, repérez ceux qui usent des techniques évoquées ci-dessus . Voyez le timide horizontal qui lance ses arguments, rêvant toutefois de damer le pion aux autres débatteurs. Il parle trop vite, perdant ainsi plusieurs auditeurs. Voyez là l’ancien qui se lève, regarde lentement autour de lui, puis s’exprime sans hâte d’une voix forte. Cela signifie-t-il « pas question de me contredire ? » Tentera-t-il de prendre la parole 4 fois ? Le vénérable se comporte-t-il comme maître ou comme animateur ? Et s’il est animateur, prend il néanmoins la posture de puissance quand il s’agit de stopper une dérive style combat de coqs ? Ou quand le plus érudit est en train de gloser dans la durée sans qu’on n’en voie la fin ?
Car oui, en franc-maçonnerie nous avons une méthode, qui inclut un cadrage qui fonctionne depuis des siècles : le rituel d’abord, et ensuite l’organisation des officiers. Encore faut-il savoir s’en servir à bon escient.
Je vous le souhaite !