Il convient d’appréhender prudemment les symboles et de toujours avoir conscience des vagabondages imaginaires qu’ils peuvent entraîner, hors d’un contexte donné. S’il est un animal à même d’enflammer l’intellect, c’est bien le serpent ! Pour mieux aborder et comprendre les légendes centrées sur le serpent, il est judicieux d’aller à sa rencontre dans la Bible : celle-ci nous offre en même temps, l’histoire poétisée de notre origine ! En attendant que de son côté, la science nous en dise plus sur l’irruption du vivant…
Après le fruit défendu…
Depuis le temps biblique où le serpent symbolise l’incarnation du démon et tente Eve au Paradis terrestre, cet animal rampant et zigzagant sur le sol, fait peur. Pourtant, dans d’autres cultures, il lui est attribué des pouvoirs bénéfiques. De la sorte, il symbolise aussi le Bien et le Mal.
Le serpent est désigné sous le terme hébreu de « Nahash » dans ce livre saint qu’est la Bible. Il y fait même l’objet d’une trentaine de citations. Incontestablement, le serpent évoque une double ambivalence, outre les précités Bien et Mal, à la fois également la Vie et la Mort.
Dans la Genèse, tout commence avec ce serpent, blotti dans un buisson du jardin d’Eden. Doué de la parole, il y séduit donc Eve, la première femme, en l’incitant à cueillir sur l’arbre de la connaissance – arbre précisément du Bien et du Mal – le « fruit défendu » parmi les autres, et à le manger. Eve, non seulement le mange mais le partage avec Adam.
Résultat : Ils sont tous les deux expulsés du jardin d’Eden et le serpent lui-même est également puni. Des pattes devaient lui venir, mais il en est privé pour sa faute : il est ainsi condamné à se mouvoir sur le ventre et à se nourrir de poussière toute sa vie ! Et exposé à avoir la tête écrasée par le pied de l’homme en permanence…qu’il peut toutefois mordre au talon pour se défendre. Et lui inoculer son venin mortel !
Privés de l’arbre de vie, errant sur la terre sans protection divine, Adam et Eve sont rendus mortels. Le fruit défendu qu’ils ont absorbé n’est pas désigné dans les textes : c’est le plus souvent la pomme qui a été choisie en Europe parce que le pommier y est un arbre fruitier très répandu. Mais selon les régions, une poire, une figue ou une grenade (en Arménie) figurent sur les illustrations bibliques.
A noter qu’en latin, le terme malus désigne aussi bien un pommier aux beaux fruits qu’un arbre toxique, donc interdit. Une métaphore s’est construite sur cette confusion : la pomme est devenue à la fois le fruit tentateur (l’acte sexuel) mais qu’il ne faut pas consommer, en tant que symbole même du péché de chair !
Pourtant dans ce texte de la Genèse, Dieu marie Adam et Eve et leur ordonne de se multiplier. Ce qui signifie que l’acte sexuel est donc réservé uniquement aux époux. Et que le péché de chair désigne l’acte adultère. Reste que la faute première d’Eve continue d’être portée par Adam : le morceau de pomme qu’elle lui a fait croquer …est resté coincé dans sa gorge (cartilage thyroïde) sous le nom de pomme d’Adam !
Longtemps après ces descriptions poétiques de la Bible, la science s’interroge toujours sur l’origine du Vivant ! Et pour ce qui est de l’Homme, dernier arrivé dans la chaîne animale, la tentation est grande, par le biais de l’évolution, et après moult mutations, de le faire surgir du serpent !
Jusqu’à nous doter d’un cerveau reptilien enfoui dans notre boite crânienne. Il signerait ainsi notre parenté avec cet animal rampant, et du même coup, un premier statut horizontal pour le genre humain.
Que représente d’ailleurs ce serpent, imagination aidant, sinon effectivement, à nos pieds d’européens, au hasard d’un chemin de campagne, l’irruption et la vision glaçante de notre commencement d’homme, au début du processus génétique ?!
Couleuvre ou vipère, cette créature étirée et froide, molle et horizontale, ce cylindre d’écaille, apparemment inachevé, sans patte, sans poil, sans plume, qui ondule, qui se tortille sur le sol, c’est moi, c’est toi, mon Frère, ma Soeur !!
Cette petite tête triangulaire, à la langue rétractile et fourchue, c’est la mienne, c’est la tienne, à l’origine des temps. Cette sorte de forme excrémentielle vivante condamnée à ramper, qui cherche à mordre, qui porte la mort au bout de ses crochets, ces yeux fixes, n’est-ce pas finalement le miroir qui entre en résonance avec mon « moi profond », qui reflète cette part archaïque de mon Etre, et qu’on n’appelle pas précisément « cerveau reptilien », par hasard dans le langage populaire ?!
Bref, le serpent, pour le gréco-judéo-chrétien contemporain, c’est avant tout la répulsion et pour tout dire, la peur, voire la terreur !
Le serpent, source de vie
Or, au plus loin que remonte l’étude des civilisations, il apparaît que le serpent symbolise, par sa forme phallique même, non pas la mort, mais tout au contraire le principe, la source de la vie, le vivant et le vivifiant dans nombre de contes et légendes. Surgissant de l’ombre pour y retourner, être glissant entre les doigts et à travers le temps, il a pu même représenter au fil des générations un grand serpent initial, dieu premier des ténèbres, dont tous les serpents terrestres seraient l’incarnation.
Du fait qu’il siffle, se redresse et se raidit, il indique la montée du désir et le renouvellement constant de ce qui anime et maintient, c’est à dire le mouvement et la pérennité. Partant, pour nos aînés des millénaires passés, le serpent a certainement suscité davantage l’interrogation et le mystère, que la culpabilité et la terreur, répandues ensuite par les religions du Livre.
Les latins que nous sommes, avons généralement de ce fait une conception du monde se réduisant bien trop souvent au bassin méditerranéen et à sa culture ! Un peu de curiosité pour les civilisations passées nous indique pourtant qu’il n’y a guère de continents, où la contemplation et le vécu du serpent n’aient un jour fait sens et continue de le faire aujourd’hui. Et qui plus est, un sens positif, je l’ai dit plus haut ! Un petit tour du monde s’impose donc autour du serpent !
Il est d’ailleurs troublant de constater en effet, que l’image du serpent se mordant la queue, le fameux « Ouroboros » des alchimistes, indiquant l’éternel retour des choses, existe aussi bien dans la tradition du mythique Hermès Trismégiste que dans les fonds allégoriques arabes, scandinaves, bouddhistes ou chinois. Dès lors, convenons-en, l’idée du mouvement perpétuel, la chaîne sans fin de la mort et de la renaissance, est bien un concept universel ! Nous vérifions ici au passage la thèse de Jung, quand il nous parle des archétypes immémoriaux, véhiculés par l’inconscient collectif.
Le fait que le serpent dessine un cercle en se mordant la queue, et tourne indéfiniment sur lui-même nous offre le symbole de l’anneau qui, en Asie du sud, signifie qu’il soutient le monde. On retrouve cette idée en Afrique noire, où il est dit que le serpent encercle les océans, au milieu desquels flotte la terre. Même évocation avec l’arc en ciel qui figure un serpent se désaltérant dans la mer, selon les Peaux-rouges du Nevada, les Indiens d’Amérique du Sud et les populations d’Inde et de Malaisie. Ces considérations ont une même origine : l’eau et la pluie fertilisante, toujours attendue.
De la sorte, s’il secrète un venin dispensateur de mort dont il faut se garder, le serpent est aussi et surtout fantasmé ici comme un tuyau porteur d’eau, de sève, donc de substance de vie. Je ne veux pas manquer de rappeler, dans cet ordre d’idée, que le serpent apparaît depuis des lustres comme le « maître de la fécondité » dans la plupart des pays du monde, même christianisés. De l’Inde au Brésil, du Togo à la Grèce, de l’Australie à Madagascar, de la Nouvelle Guinée à l’Europe, que ce soit en France, en Allemagne, au Portugal, encore de nos jours.
Il n’est donc pas étonnant qu’avec près de 3000 variétés recensées, et une telle puissance mythique, le serpent figure en bonne place dans la Bible. Les Hébreux, nous dit-elle – sur la route de l’Exode – furent très souvent confrontés aux serpents. Dégoûtés de manger de la manne, cet exsudat de plantes du désert, sans pain ni eau, ils reprochent sévèrement à Dieu et à Moïse de leur avoir fait quitter l’Egypte pour cette nourriture de misère et une interminable traversée vers la terre promise.
Une seconde version biblique indique qu’au lieu de la peste – afin de les punir de leur effronterie – Dieu envoie contre eux des milliers de serpents qui les mordent et en tuent un grand nombre. Effrayé, Moïse supplie Dieu de pardonner au reste du peuple, qui se prosterne, conscient de sa faute. On sait que le Seigneur, ému, lui répond de façonner un serpent d’airain fixé sur une perche. Et que tout Hébreu mordu n’aura qu’à lever les yeux vers la reproduction pour être guéri.
Cet épisode n’est pas sans lien avec les mines de cuivre existant dans cette région au XIIIème siècle avant Jésus-Christ. L’histoire rapporte qu’ont été en effet retrouvés sur le Mont Sinaï, des serpents de cuivre vraisemblablement considérés à l’époque comme talismans, contre les morsures de serpents venimeux.
Les rituels maçonniques nous disent par ailleurs que la transmission des vertus de la mystérieuse plante guérisseuse et la coutume du serpent d’airain en emblème, s’est perpétuée parmi les Israélites jusqu’à la première Croisade…et au-delà ! Il est d’ailleurs attesté que les Chevaliers chrétiens qui ont fondé l’Ordre du Temple, se sont donné pour mission de confectionner des remèdes, pour les voyageurs, dans le couvent construit sur le Mont Sinaï.
A partir des « simples » et des plantes curatives cueillis sur ses pentes, la légende (ou le commerce ?) reprend ici sa place puisqu’elle dit que les moines qui s’y trouvent aujourd’hui ont retrouvé la plante guérisseuse. Et qu’en plus des morsures de serpents, son précieux suc, mélangé à d’autres extraits de plantes, guérit beaucoup d’autres maladies courantes !
Les mythes – comme celui-ci – sont faits pour donner de l’ampleur à la pensée. Pour expliquer nos comportements, nos désirs, nos choix. Pour ajouter de la vie à la vie. Bref, pour nous guider et permettre de mieux vivre et de faire mieux vivre les autres.
Dès lors, quel symbolisme en extraire, que le serpent soit vu à la lumière biblique ou maçonnique ? Il est clair que ce reptile – symbole doublement dualiste, du Bien et du Mal, de la Vie et de la Mort – lorsqu’il est élevé à hauteur d’homme, s’élève avec lui, devient Homme avec lui, et devrait cesser de faire peur. Porté au-dessus de sa tête, au bout d’une perche, il est alors promu, glorifié, déifié, il devient plus grand, supérieur aux Hommes même, et on lui accorde le pouvoir suprême de guérir !
Une métaphore du désir
Dans cet esprit, un autre mythe apparaîtra plus tard en Grèce avec Asclépios, dieu de la médecine, cheminant précisément avec un serpent enroulé autour d’un haut bâton, appelé « caducée » en latin. Celui-ci est aujourd’hui encore le symbole du corps médical, surmonté du miroir de la prudence, pouvant évoquer le reflet d’une plaque de cuivre. Citons également Hermès, le dieu des voyageurs, qui séparait les couples de serpents belliqueux, en les soulevant du sol avec sa longue baguette ailée.
Autant d’images qui nous montrent le serpent, comme arraché à l’attraction terrestre par la main de l’homme, donc grandi et de la sorte, gratifié ! En ce sens, nombre de symbolistes voient dans la représentation du serpent de Moïse, et sa montée du sol, la préfiguration du Christ porté en croix, de ce Jésus prophète, qui sauve ceux qui le regardent, avec la ferveur et les yeux de la foi. Saint-Jean opère lui-même ce rapprochement dans son Evangile, ainsi que nous le rappelle le rituel.
Mon propos n’est pas ici de vouloir opposer le rationnel au surnaturel, la raison à la fable, l’athéisme à la croyance. Il me paraît plus intéressant en revanche de remonter à nos origines et de suivre la progression de l’esprit humain. Que de chemin parcouru depuis la pensée magique et ses diverses formes !
Imaginons le cadre de la magie dite homéopathique ou imitative des premiers hommes, les bras levés vers les forces célestes supposées : posséder l’image du serpent au bout d’un bâton, c’est posséder le serpent lui-même ! Figurons-nous le contexte de la magie dite contagieuse : exposer une outre d’eau c’est attirer l’eau, donc la pluie, si précieuse. De la même manière, montrer la représentation d’un serpent, c’est les dominer tous. Ces actes naïfs peuvent faire sourire. Ils ont pourtant constitué longtemps la pensée primordiale de l’homme dans la nature, puis par paliers, de mythes en légendes, d’allégories en symboles, ils ont donné naissance, avec une réflexion de plus en plus affinée, à la technique, aux arts, à l’alchimie, à la chimie et à la science contemporaine. Encore faut-il bien les utiliser, dans l’intérêt commun et le respect de l’autre !
Lorsque la tradition chrétienne voyait d’abord Satan dans la symbolique du serpent et une Eve fautive croquant la pomme, la Grèce antique, elle, en retirait avec bonheur, hédonisme, philosophie et poésie. Il est loisible à chacune, à chacun, s’il le souhaite, de se servir à sa guise de ces supports de vie, et de les « poétiser » de la même façon. Pour embellir son existence et celle d’autrui. Après notre ancêtre horizontal, le serpent vertical que nous sommes devenus au fil de l’évolution, a encore une mue à effectuer. Parce que l’essence de toute créature vivante progresse, parce que la nature, divinisée ou non, se transforme, il s’agit pour l’espèce humaine, initialement matière flottante, puis rampante, et successivement, matière levante puis pensante, de devenir enfin… matière aimante ! J’ai déjà employé plusieurs fois cette image de notre « progression », je me répète ici à dessein. Nous n’avons pas de centre de l’amour dans le cerveau, alors souhaitons que l’évolution nous en dote !
Chaque degré du Rite écossais ancien et accepté est une invite à l’action. Il nous recommande en filigrane que nous, homo modernus, toute agressivité maîtrisée, tous crochets venimeux rentrés, fassions l’effort de monter sur nos propres épaules, pour en quelque sorte, nous mettre au niveau du serpent d’airain, en soi métaphore du désir, dans ses composantes les plus naturelles.
C’est en faisant avec notre semblable ce pari de l’intelligence, donc de la bonté, autrement dit en prenant de la hauteur sur le quotidien, que nous pourrons mieux découvrir ensemble le même horizon : devant nos yeux, le monde de demain à partager !
De l’humus, l’humilité
Qui dit serpent, dit humus (du latin, sol) son lieu même de vie et de reptation. Et si nous interrogeons un peu plus encore l’étymologie, qui dit humus, dit homme et humilité : en deux mots de la même famille…c’est alors toute la philosophie de ce reptile qui s’exprime.
L’humilité est l’une de ces valeurs essentielles qui, dès sa définition, nous renvoie à nous-mêmes : Elle n’est autre, en effet, que la conscience de soi et de notre petitesse (comme le serpent !) aussi bien devant la masse des autres humains que dans l’univers !
Partant, il s’agit d’avoir la lucidité d’admettre que nous sommes des êtres fragiles, provisoires, en un mot : mortels. La conscience de la mort physique rend humble immédiatement ! L’humilité nous incite certes à lever la tête vers le ciel pour admirer modestement la création et pour mesurer notre petitesse, mais aussi à baisser la tête vers cette même terre, pour ne pas la perdre de vue : nous en venons et nous y retournerons…Il est bon de revenir régulièrement de la verticalité, qui nous est chère, à l’horizontalité du serpent, qui est aussi notre ancêtre, dans la grande chaîne du Vivant.
L’humilité renvoie d’évidence à la durée, à ce minuscule temps de passage, qu’est une vie terrestre. La pâte humaine est de fait une pâte de verre. Et en tant qu’êtres de verre, c’est notre fragilité même qui nous rend transparents et laisse entrer en nous la lumière !
Sur le plan maçonnique, notre échelle de degrés, trop souvent assimilée à une hiérarchie (par l’appellation même « Hauts-Grades » en vieux français) ne facilite certes pas cette humilité. Il faut rapidement (avant d’être atteint de possibles boursouflures de l’ego !) comprendre que notre progression est une ascension personnelle qui ne doit pas être comparée, avec… le tablier du voisin. C’est en fait, soyons francs, la fameuse « cordonite » qui est un combat à mener à chaque tenue – dès lors que notre « avancement » peut s’y mesurer artificiellement – pour qui s’y laisse prendre, à coups de décors ! Rester simple tout en se parant d’enluminures n’est pas évident !
Là est certainement un défaut passé des Hauts Grades Maçonniques, conçus à l’époque des Lumières…avec une évidente volonté nobiliaire affichée d’éblouir le roturier ! Ce n’est heureusement plus le cas aujourd’hui ! Mais la vanité existe toujours, elle est humaine, trop humaine : Laisser nos métaux à la porte du Temple, nous rappellent inlassablement nos rituels ! Transformer les éclats extérieurs trompeurs en lumière intérieure, pour s’auto-éclairer, se connaître, s’accepter en fait : oui, c’est bien tout le travail d’une vie maçonnique…
L’humilité implique que l’on ne se mire pas dans le regard de l’autre – comme Narcisse dans l’eau de la fontaine, jusqu’à la boire – mais que l’on s’y découvre ! Il y a là toute la différence entre voir et regarder. Voir, c’est entrevoir seulement le contour des choses, bien souvent. Regarder, c’est observer, entrer dans le détail, c’est apprécier, goûter, peser, évaluer, pénétrer, pour au final agir le mieux possible, sans prétention.
En tant qu’êtres sociaux, nous avons besoin de l’autre pour nous construire, en « frottant » notre intellect à ses pensées, à ses idées, à ses paroles. « Qu’est-ce qui est plus brillant que l’or ? La parole échangée ! » dit notre Frère Goethe ! Autre problème en loge, nous n’échangeons pas vraiment sur le moment, puisque nous prenons la parole à tour de rôle et communiquons avec des monologues croisés, discipline de la saine « triangulation » (Locuteur- Vénérable Maître – Surveillant) oblige.
Il ne s’agit donc pas de pérorer en se mettant à l’ordre pour s’entendre parler, mais d’abord de s’écouter (écouter notre voix intérieure et non notre voix de bouche) avant de décider de prendre la parole et d’écouter les autres. C’est à force de s’écouter … que l’on finit par s’entendre !
L’homme debout
Il faut précisément s’entendre sur l’humilité. C’est une notion d’origine chrétienne dont le sens premier renvoie à l’obéissance : l’Eglise, à travers ses papes et ses princes, a trouvé sa puissance et l’a sans cesse entretenue à travers les siècles, avec des serviteurs à genoux devant elle ! Les fidèles d’aujourd’hui ne sont plus dans cette soumission.
La Franc-maçonnerie aurait pu tomber dans ce travers. Le symbolisme des Hauts Grades maçonniques précités, inspiré par la Chevalerie, met le maçon, la maçonne devant ce problème délicat : Comment, au fil des rituels, être précisément un « Chevalier de l’esprit », porteur des décors de sa fonction, tout en restant humble ?! Historiquement, lorsque le Chevalier guerrier s’agenouillait pour recevoir l’adoubement, certes il se soumettait devant un autre homme, dont il reconnaissait la supériorité. La Chevalerie des rites maçonniques d’aujourd’hui évoque, selon les Juridictions, une obéissance voire une allégeance de ses membres (par reprise du langage fleuri du XVIIIème siècle) qu’il convient évidemment d’entendre comme la fidélité à un Ordre. Tout autre interprétation, notamment dans le sens d’une inféodation, serait inacceptable au XXIème siècle ! On peut être à la fois, légitiment fier de son rang et humble, sans être servile !
Ainsi « maçonniquement », l’humilité est à même d’être abordée, avec bonheur, par le biais du symbole et de la métaphore bien saisis. Pour dépasser avec intelligence cette notion de pouvoir qui caractérise la société des hommes, si prompte à la hiérarchie de dominance. Il est possible d’être humble par rapport à soi-même en ayant une conscience claire de ses compétences et bien entendu, comme tout un chacun, de sa finitude. Il est plus difficile, surtout dans le monde social d’aujourd’hui (où il convient souvent d’écraser l’autre, …ce qui nous renvoie au destin biblique du serpent !) d’être vraiment humble, au sens ancien de l’effacement. S’abaisser n’est plus possible, il faut dignité garder !
Toute forme d’humilité, qui reviendrait à « s’inférioriser », serait aujourd’hui prise pour de la faiblesse, notamment sur le marché de l’emploi, où l’on cherche surtout des « gagnants » ! La marge est donc étroite, subtile : l’affirmation de soi (l’assertivité, pour employer un mot moderne) consiste donc à trouver sa place, son passage, entre l’agressive mégalomanie et la plate servilité. Etre ni hérisson ni paillasson !
Souvenons-nous que nous avons été serpent, avant de nous « dresser ». Au deux sens de ce verbe. Il y a du serpent en nous pendant notre croissance : l’enfant rampe un « certain temps » avant de se lever et marcher. De l’être rampant, l’être pensant. Du « reptilus », l’Homo Sapiens. L’image de l’équerre est dans cette progressive mutation. De l’horizontal au vertical. « Etre d’équerre » exprime à propos ce mouvement, ce passage, à la fois physique et psychique. « L’Homme debout » est bien dans son corps, bien dans sa tête.
Mon service militaire dans l’armée de l’air m’a rappelé en son temps cet « état premier » de l ‘être humain. Dans l’argot des aviateurs, il y a les « rampants » et les « navigants ». Les soldats, reptiliens, qui ne volent pas (rédacteurs, comptables, informaticiens) et ceux, aériens, qui prennent l’avion. (Pilotes, mécaniciens, radios). L’administratif et le technicien sont complémentaires.
Pour qui « reste au sol », à ses compétences indispensables, s’ajoute le rêve et la poésie : « On peut avoir les pieds sur terre et la tête en l’air » n’est pas une expression péjorative dans l’esprit du Petit Prince, merveilleusement présenté par le pilote-écrivain Antoine de Saint Exupéry !