sam 14 décembre 2024 - 02:12

Les 99 rues maçonniques de Naples

De notre confrère italien genteeterritorio.it – Par Pietro Spirito

Depuis quelques décennies seulement, le grand public découvre le charme de la « Naples souterraine », le territoire d’origine grecque habité par la sirène Parthénope. Mais il reste encore une Naples sous le soleil qui n’a pas encore été découverte et portée à la connaissance, non seulement des touristes, mais aussi de ses concitoyens eux-mêmes.

Antonio Emanuele Piedimonte se consacre désormais à cette opération, avec le livre « Les 99 rues maçonniques de Naples. La ville des frères. L’histoire de la franc-maçonnerie méridionale en toponymie”, Edizioni Sub Rosa. Après avoir ouvert la voie à l’émergence d’une Naples souterraine, Piedimonte regarde désormais les horizons qui s’ouvrent à la surface de la ville, non moins cachés aux yeux distraits de ceux qui la traversent en ne regardant que les panoramas de la nature.

Pendant longtemps, Naples a été une ville ésotérique : un croisement entre philosophie, magie, religion et politique a traversé l’histoire de ce qui était alors, au XVIIIe siècle, la troisième plus grande ville européenne en termes de population.

Espace frontière entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, le pays des volcans a toujours représenté la ligne de faille de la Méditerranée, depuis le mythe de la sirène Parthénope, quand tout a commencé.

Sur les chemins de l’histoire et de la connaissance ésotérique, les destins de Frédéric II, Stupor Mundi, les influences de la Tolède magique apportées par Alfonso pour arriver ensuite à l’explosion de pensées et de mystères qui s’est produite au XVIIIe siècle napolitain. Dans ce climat, la culture et l’organisation maçonniques se sont développées dans la ville napolitaine.

Née à Londres en 1707, la Franc-maçonnerie eut ses premières traces sur notre territoire en 1728, lorsque, selon certaines sources, une demande d’établissement d’une Loge régulière à Naples parvint à la Loge anglaise. Quoi qu’il en soit, vers 1730, une organisation maçonnique opérait à Naples. D’autres attribuent la primauté de la première Loge italienne à celle de Girifalco, fondée du côté ionien. Quoi qu’il en soit, Naples et le Sud possèdent certainement un palmarès en matière d’initiation au rite maçonnique.

Le conflit avec les institutions ecclésiastiques a commencé immédiatement et a constitué l’un des traits caractéristiques de l’histoire de la franc-maçonnerie italienne et méridionale, fortement conditionnée par le pouvoir temporel de l’Église, ainsi que par son opposition idéologique aux valeurs de la franc-maçonnerie.

Pour nous guider dans ce voyage à la découverte de nos origines perdues, Piedimonte utilise la toponymie, qui aide à reconstituer ces fragments d’histoires qui se succèdent au sein des lieux qui contiennent des traces de l’histoire vécue. Piedimonte le fait en suivant les instructions de Raimondo di Sangro, le prince de Sansevero, et du prince Antonio De Curtis, alias Totò, tous deux grands maîtres de la franc-maçonnerie italienne.

Nous partons de la rue emblématique de la ville napolitaine, Via Caracciolo, la fantastique promenade des cartes postales, qui tire son nom de l’amiral qui dirigea d’abord la marine des Bourbons puis celle de la Naples révolutionnaire de 1799. Entre la via Chiatamone et la via Parthenope se trouve la via Venanzio D’Aquino, prince de Caramanico et vice-roi de Sicile, ainsi qu’un maître maçonnique faisant autorité. L’empoisonnement du prince en 1795 était probablement dû aux travaux de réforme auxquels s’opposaient les barons de l’île.

La rue dédiée à Giovanni Pascoli serpente le long de la colline de Posillipo : le grand poète, bien qu’il ait cessé de fréquenter assidûment la loge maçonnique Rizzoli à Bologne, a toujours représenté les valeurs de cette association qui, au XIXe siècle, a animé la lutte pour la libération du peuple, comme le démontre en Italie l’adhésion de Giosuè Carducci et surtout de Giuseppe Garibaldi.

Près de Marechiaro se trouve la petite rue Franco Alfano, qui rappelle le musicien napolitain, connu surtout pour avoir achevé, à l’invitation d’Arturo Toscanini, Turandot, laissé inachevé à sa mort par Giacomo Puccini.

Pour trouver via Carducci, il faut se rendre à Chiaia : le prix Nobel de poésie séjourna à Naples en 1891, tout en exerçant le rôle de superviseur des commissions de fin d’études secondaires. Les idéaux du Risorgimento étaient étroitement liés aux valeurs maçonniques et les frontières étaient parfois difficiles à tracer.

Toujours à Chiaia, nous traversons ensuite la Via Giovanni Amendola, un Napolitain d’origine salernoise, un journaliste pur-sang, un homme politique libéral, un antifasciste courageux : c’est lui qui a proposé à Benedetto Croce d’écrire un document qui unirait les hommes de culture contre le dictature. A Nievole, une bande de 15 fascistes l’a massacré à coups de bâton. Réfugié en France, il est opéré dans un hôpital de Vannes, mais meurt des suites des blessures subies lors de l’embuscade fasciste.

À l’intersection de deux rues qui portent le nom de deux francs-maçons, Via Francesco Crispi et Via Giuseppe Martucci, se forme la Piazza Amedeo, un carrefour entre Chiaia, Vomero et Mergellina. Le nom a été donné en souvenir d’Amedeo Ferdinando Maria de Savoie. Après une brève expérience sur le trône d’Espagne, il s’installe à Naples et fait preuve d’un courage exceptionnel en apportant son aide lors de l’épidémie de choléra de 1884.

Via Gaetano Filangieri se souvient de l’un des plus grands représentants de la culture mondiale de cette époque, ami de Benjamin Franklin : auteur de la Science de la Législation, il a influencé la pensée et l’action de nombreux intellectuels et hommes politiques dans cette période de transition de l’ancien régime à la révolution et à l’affirmation ultérieure des démocraties bourgeoises.

La Piazza dei Martiri se souvient des citoyens qui ont lutté pour la liberté, en sacrifiant leur vie, lors du passage de la révolution napolitaine de 1799, l’un des moments les plus élevés de la saison qui entend transférer les lumières de la pensée dans la vie politique et sociale de la nation. Gennaro Serra di Cassano, Eleonora Pimentel Fonseca, Mario Pagano et tous les autres protagonistes de cette courte page.

Le livre continue avec la radiographie toponymique des figures maçonniques auxquelles les rues et places de notre ville ont été dédiées, dans le centre historique, dans le périmètre entre Foria, Borgo et Vasto, au Musée, Avvocata et Montesanto, à la zone ouest (entre Fuorigrotta et Soccavo), dans la zone nord (Scampia, Piscinola, San Pietro a Patierno), dans la zone orientale (Gianturco, Poggioreale, Barra, Ponticelli).

Se succèdent des personnages illustres qui ont marqué non seulement la ville, mais aussi la nation. Il suffit de feuilleter les pages de la liste des noms mentionnés dans l’ouvrage pour comprendre le Panthéon que l’on retrouve ensuite inscrit sur les plaques des rues et des places de la ville.

Cette Naples ésotérique qui a foulé la scène de la grande histoire surtout pendant deux siècles – entre le XVIIIe et le XIXe siècle – constitue l’une des racines fortes de l’identité napolitaine. Nous les avons laissés trop longtemps au sous-sol de notre mémoire.

Pour regarder vers notre avenir, nous devrions mieux connaître notre passé. Piedimonte nous y aide, avec un très beau livre, très riche en suggestions, qui traverse des histoires individuelles et collectives : des destins qui sont encore à l’intérieur de notre présent, inconsciemment.

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