L’univers serait né du bing bang initial et de ce jaillissement confus auraient surgi au fil du temps (notion aux définitions variées !) des systèmes solaires organisés avec des lois de fonctionnement. Ce mystère de la nature donne à réfléchir à la Franc-maçonnerie depuis son origine, au point que les loges ont intégré le ciel et les astres, donnés à voir dans leur décoration. Elle en a même fait, à partir de métaphores élaborées, des sujets de réflexion. La tête dans les étoiles mais les pieds sur terre, les maçons et les maçonnes ont tiré une pensée créative des mouvements célestes. En quoi et comment la fascinante marche de l’univers influence-t-elle leur proche démarche ?
L’idée d’un « ordre du monde » intervenu après ce « big-bang » – ce tohu-bohu du commencement, décrit par les astrophysiciens – est très ancienne et universelle. La Bible y fait allusion dès ses premières lignes et les philosophes grecs de l’Antiquité y adhèrent, notamment sur la base des quatre éléments.
Platon illustre parfaitement la formule en écrivant dans « Timée », l’une de ses œuvres : « Lorsque Dieu entreprit d’ordonner le tout au début, le feu, l’eau, la terre, l’air, portaient des traces de leur propre nature, mais ils étaient tout à fait dans l’état où tout se trouve naturellement en l’absence de Dieu. C’est dans cet état qu’il les prit et commença par leur donner une configuration distincte au moyen des idées et des nombres. Qu’il les ait tirés de leur désordre pour les assembler de la manière la plus belle et la meilleure possible, c’est là le principe qui doit nous guider constamment… »
La loge, à l’image du monde
Ce thème du monde désordonné que l’homme doit précisément ordonner, a été entretenu par le « constructivisme », un courant artistique d’origine russe dans les années 1920 qui considère tout objet de pensée comme « construit ». Une même signification, si l’on peut dire « d’organisation post-anarchique » est donnée en franc-maçonnerie où sous la devise latine « Ordo ab chao », s’est définitivement créé le Rite Ecossais Ancien et Accepté. Nous savons que celui-ci a entrepris au 18ème siècle de « requalifier » les degrés maçonniques de l’Ecossisme (en référence à la franc- maçonnerie spéculative écossaise…née en France !). Partant, dans ce qui été appelé « le fouillis des Hauts-Grades » – après leur multiplication, suite au discours du Chevalier Ramsay du 26 décembre 1736 dans une loge parisienne – le Rite Ecossais Ancien et Accepté s’est imposé de « remettre de l’ordre dans la maison ».
Comme toute définition symbolique, la formule « Ordo ab chao » demande à être étudiée dans le contexte spécifique où elle prend sens et partant, ses mots sont à même de recouvrir une signification différente, selon le temps et le lieu, selon que nous nous plaçons dans le monde de « l’inanimé » ou du « vivant ».
Choisissant avec le philosophe de voir « l’homme au centre de toute chose », je préfère entendre « Ordo ab Chao » comme une clé de vie. De fait, que nous dit-elle sur le plan du vivant ? Puisque, par nature, l’esprit humain a besoin d’un début, d’un point de départ, rappelons que tout aurait commencé selon la moderne chronologie radioactive, dix milliards d’années après la naissance de l’univers, avec le fameux big bang précité. Ce dernier, nous l’avons dit, a lui-même généré le système solaire et son cortège de planètes, lesquelles se sont formées – et semble-t-il, le processus de vie après elles – il y a quelque cinq milliards d’années.
L’homme, lui, est apparu sur terre, il y a quatre ou cinq millions d’années seulement, après plus de soixante-dix millions de mutations biologiques successives, nous indiquent les sciences concernées. Peut-on qualifier pour autant de « désordre » cette période de transformations qui, à partir du primate, a abouti à l’homo sapiens sapiens, lequel représenterait l’ordre conséquent ?!
Il est tout de même plus juste de parler « d’évolution », selon la théorie chère à Charles Darwin, et qui nous a vus, en devenant « matière pensante », perdre notre fourrure au profit d’un cerveau de plus en plus riche en neurones. Cette théorie, à défaut d’être totalement expliquée mais aujourd’hui démontrée, nous devons donc rester modestes en tant qu’êtres inachevés, opérant dans un système évolutif en marche !
L’homme, modèle d’adaptation
Dans cette optique, il est probable que la conscience dont nous sommes dotés, faisant de nous des animaux dits « supérieurs », n’a pas atteint le plein développement que devrait connaître un jour un « super-sapiens » à notre suite. En attendant, comme la girafe qui, au fil des âges, (de mutations en mutations) aurait allongé son cou pour attraper les hauts feuillages, il n’est pas interdit d’espérer, dans la pure logique darwinienne : que notre cerveau lui aussi puisse gagner quelques précieux grammes de matière grise et – il le faudrait – de sagesse, à la faveur d’un fonctionnement de l’esprit toujours plus affiné !
Les paléontologues s’accordent pour nous dire que cette conscience qui nous a été donnée, il y a deux ou trois millions d’années, nous a permis très progressivement de nous percevoir nous-mêmes en train d’être et d’agir. Puis, elle nous a offert la réflexion et l’abstraction à partir de notre langage, la capacité d’opérer des représentations symboliques et en plus d’envisager le futur, donc d’anticiper et de concevoir des projets.
Cette créativité en constante perspective – qui nous distingue radicalement des autres animaux – s’est manifestée il y a environ cinq cent mille ans successivement par la découverte du feu, la fabrication de l’arc et des flèches, l’extraction des minerais, l’invention de la roue et tout récemment…de l’électricité, des transistors, de l’avion supersonique, du TGV, de la carte à puces, de l’informatique et de l’ordinateur ! Autant d’actes initiés par notre imagination qui nous ont apporté à la fois le miel et le fiel, l’ordre et le désordre. De la chasse nourricière à la notion égoïste de territoire à conquérir, de la lenteur à la vitesse, de la science novatrice et du confort domestique à la guerre, du développement économique au désespérant chômage actuel qui perdure…
Avec l’apparition de notre conscience est aussi née la fameuse trilogie questionnante : Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Et avec elle, l’angoisse existentielle correspondante, ce désordre intérieur individuel vraisemblablement à l’origine de l’homo religiosus qui – quoi que nous en disions- habite chacun d’entre nous, sous les formes de croyances les plus diverses.
Solidarité et compétition
Si cette idée de « reliance » du vivant à une force ou un être supérieur a pu introduire la notion de sacré dans notre existence et nous inciter au respect et à l’enterrement des morts, ce sur toute la planète, il est observable que nous n’avons pas le même respect pour les vivants, nos frères en humanité ! Certes, contrairement à la plupart des bêtes qui abandonnent leurs congénères défavorisés, un esprit de solidarité propre à notre espèce, nous engage à assister nos plus faibles, enfants et vieillards, à soulager les souffrants et à prendre en charge leurs divers handicaps. Mais en même temps, un esprit de compétition, un désir de suprématie et de possessivité – phénomène justement dénommé « Hiérarchies de dominance » par le biologiste Henri Laborit – pousse les peuples nantis à tenir à distance les populations démunies avec seulement des aides alimentaires ponctuelles et des dons de matériels souvent dépassés !
Autrement dit le nord, géographiquement avantagé, entretient d’une certaine façon la misère du sud, en le maintenant en état de dépendance. Alors qu’ il faudrait opérer des transferts technologiques massifs ! On rétorquera que les « choses seraient en train de bouger ». Si c’est vrai tant mieux. Ce qui bouge pour l’instant encore, semble-t-il, ce sont ces milliers de migrants qui tentent de traverser la méditerranée, et où, malheureusement, beaucoup meurent noyés, suite au chavirage de leurs fragiles embarcations de caoutchouc surchargées.
A l’image de la célèbre parabole christique, et dans trop nombreux cas, le riche préfère toujours au XXIème siècle, donner du poisson au pauvre plutôt que de lui apprendre à pêcher. Nous sommes ici dans la forme perversifiée d’Ordo ab Chao. Un certain ordre est bien obtenu à partir d’un désordre certain. Mais, trop souvent encore, au prix de l’atteinte à la dignité de la personne humaine !
Jusqu’à présent, l’ordre des choses, ou plus joliment dit en langage de nos savants contemporains – la flèche du temps – a depuis l’origine, jalonné sa trajectoire dans notre univers en passant, en gros, par les trois étapes, matière inerte, matière vivante, matière pensante. Il semble bien que le parcours de la quatrième étape, que j’oserai appeler celle de la matière aimante relève de la responsabilité de l’homme et reste à accomplir par lui, dans le cadre même de sa liberté sur cette planète.
Fût- ce au gré d’un apprentissage, puisque son cerveau ne comporte pas de « centre de l’amour », comme l’a souligné Henri Laborit le biologiste-chirurgien précité. Peut-être en sera-t-il doté plus tard, grâce à une vraie disposition à aimer, dans le cadre même de l’évolution darwinienne. Bien sûr, il convient d’abord pour cela que notre conscience encore embrumée s’éveille enfin et que nous sortions de notre détestable « chacun pour soi » et de nos corporatismes effrénés pour nous intéresser généreusement à l’Autre, cet autre Moi !
De la haine, l’amour
Un effet de mode nous fait beaucoup trop parler en ce moment et à tout propos, de sens et de « quête de sens ». Or le sens même de la vie, n’est-il pas simplement à rechercher dans le respect et l’estime de soi en même temps que dans l’amour de notre prochain ?! C’est-à-dire en l’occurrence, la considération de l’autre et le partage, que nous recommandait déjà – sans idée religieuse mais « reliante » – un prophète nommé Jésus, il y a deux mille ans !
Est-ce une aimable utopie que d’imaginer une communication positive, c’est-à-dire un échange authentique sur tous les sols avec nos semblables – quelle que soit leur ethnie, leur opinion ou leur religion – dans une société humaine actuellement partout entachée de guerres, de violences et d’intolérances ? Ne peut-on espérer pour demain l’ordre après le désordre, la quiétude après l’inquiétude, l’amour après la haine ?
Une prise de conscience mondiale semble en train de naître au regard de l’environnement et des véritables désastres écologiques causés par l’homme, dans ce village et ses jardins, que nous nommons la Terre. Déjà un début d’assainissement y intervient par le jeu de nouveaux comportements industriels plus réfléchis. Lesquels devront être aussi ceux des compagnies maritimes, aériennes et pétrolières qui polluent régulièrement les océans, les airs et les terres sans vergogne !
C’est clair, il s’agit aussi de mieux éclairer notre regard sur le plan des valeurs morales – loin encore d’être universelles ! – pour mieux vivre ensemble. Il est évident, précisément, que l’universalité de ces valeurs, à type de bienveillance et de justice, ne nous sera pas imposée par la biologie ni par un gouvernement. Une éthique, c’est-à-dire l’acceptation individuelle des règles morales d’une société humaniste ne peut provenir, par définition, que du bon vouloir de chacun de nous !
La famille, premier centre de l’union
Partant, au début de ce troisième millénaire, moi, minuscule grain de sable dans l’univers, comment puis-je agir ? Franc-maçon en loge quelques heures par mois, je suis tous les jours à plein temps dans mon cercle familial, première cellule sociale. Moi qui cherche à m’exprimer à bon escient dans le Temple, moi qui observe la discipline, n’ai-je pas à en observer une aussi dans cette structure aimante et protectrice où je retrouve les miens ? N’ai-je pas à y faire un effort de communication en essayant certains soirs de me montrer plus intéressant qu’un mauvais programme de variétés télévisées ?! Ne dois-je pas proposer autour de la table conviviale, une parole circulante et affectueuse, à l’instar de celle de la loge, pour transmettre l’historique, les usages et les principes moraux de mes aïeux ? L’album-photo familial est aussi un livre d’histoires, à ouvrir régulièrement ! Ne dois-je pas là, aux côtés des miens, avant même de partir vers la cité, devenir moi-même, un « centre de l’union » et jouer ce rôle de transmetteur de rituels, de mythes et de « héros ancestraux » ? Sans tomber pour autant dans « l’ancestromanie » !
La transgénéalogie, outil social récent, nous le dit : nous sommes les maillons d’une longue chaîne ! La transmission ne se limite pas à la reproduction !
En bref, n’est-t-il pas judicieux que je tente d’être un guide dans ma cellule familiale, un fil conducteur, une passerelle, autant que le « père-copain » ou le « grand-père permissif ». Pour que mes enfants et petits-enfants se sentent adossés à un passé expliqué et explicable, pour qu’ils rayonnent à leur tour dans leurs espaces d’influence ? Vouloir faire ou refaire du cercle en cause un port d’attache, un lieu de souvenir, mieux qu’une commode « base alimentaire » de passage, paraît une démarche judicieuse d’accompagnement des générations suivantes, donc des francs-maçons de demain, dans la pure tradition de notre Ordre, un mot ici particulièrement signifiant. Parce que l’éducation – c’est-à-dire l’apprentissage de la citoyenneté et la prévention de la délinquance – commence à la maison !
Ainsi, patiemment mais sûrement, peuvent se renouer – à partir de chaque famille et même chaque association comme la franc-maçonnerie – les fils d’un tissu social aujourd’hui déchiré. Ainsi, dans les mouvements même de la vie, perpétuels flux et reflux, peuvent renaître les effets bénéfiques de ce principe « Ordo ab Chao » : du désordre, l’ordre.
La tâche semble insurmontable ? Il est bon de nous rappeler ici la citation célèbre – un brin espiègle – de l’écrivain américain Mark Twain : « Ils ne savaient pas que la chose était impossible, alors ils la firent ! ».
Merci de ce cadeau de Noël…
Si seulement toutes les femmes, touts les hommes, prétendant à ce titre de “franc-maçon” lisaient votre article, nous pourrions du zénith au nadir, répandre la Lumière que nous venons de rallumer dans nos Temples… et ainsi apporter une peu d’ordre à tous les humains… Si le nord est un peu plus nanti économiquement que le sud, peut-être une suggestion… ou plutôt une question… pourquoi la guerre, pourquoi la haine, pourquoi la violence?
J’ai dit!
Cher frère Gilbert, grand coquin, encore une fois tu n’es pas loin de me mouiller les yeux avec tes écrits si purs ! En ces temps de petits et grands discours de vœux, je plébiscite le tien. Juste quelques petites pensées qui me viennent.
D’abord, à propos de l’âge de la matière aimante qu’il serait bon d’atteindre. La preuve indélébile que Darwin avait raison, en tous cas contre les tenants d’une conception de notre monde « clés en main » en 6 « jours » par son concepteur ultra-intelligent, ce sont justement les imperfections de conception que nous traînons. On distingue sous notre crâne le cerveau ancien, que nous partageons avec tous les animaux , et le cortex ; les fonctions sont partagées, parfois à cheval entre les deux parties, ce qui génère des interférences. Nous francs-maçons glosons à l’infini sur les rapports entre le cœur et la raison.
La relative lenteur de l’évolution par rapport à la vitesse des changements sociétaux crée fréquemment de douloureuses tensions.
Ensuite, tu as pleinement raison de citer la famille comme le premier lieu où des progrès sont réalisables. Améliorer la transmission comme tu l’indiques, mais aussi éradiquer les violences qui y sont toujours présentes dans un pourcentage trop élevé de cas. Ces violences, via le manque de sécurité basique qu’ont subi les enfants, perpétuent nos comportements archaïques et freinent le progrès.
Un autre obstacle sur notre avancée vers la matière aimante est que l’amour n’est que trop souvent qu’une conséquence de l’esprit de compétition et de domination. Or la compétition, tous les animaux supérieurs à reproduction sexuée aiment ça : il suffit de voir nos stades pleins à craquer, quel que soit le prix du billet d’entrée.
Bref, mon cher frère, nous sommes bien d’accord que la pierre est à peine dégrossie et que de longs efforts nous attendent.
Merci à toi et meilleurs vœux, Patrick