ven 13 décembre 2024 - 13:12

Les « catéchismes » maçonniques

Le titre de « catéchisme maçonnique » peut laisser perplexe ; c’est pourtant celui qui est communément employé pour désigner ce qu’on appelle aussi « Instruction », un échange de questions-réponses inclus dans tous les rituels. Parfois intégré à la Tenue, comme dans le Rite Français traditionnel, il doit, dans tous les cas, être appris par cœur, en tout ou partie, pour tout changement de grade. On constate d’ailleurs que les variations d’un rituel à l’autre ne sont pas substantielles et l’essentiel des références demeure. Voici quelques exemples de ces catéchismes :

  • « – Qu’est-ce qu’un Maçon ? – C’est un homme libre, également ami du pauvre et du riche, s’ils sont vertueux. » (Rite Français traditionnel) ;
  • « – Comment faut-il être pour se rendre digne d’être Maçon ? – Juste, droit, né libre, être majeur, d’un jugement sain et de bonnes mœurs. » (Rite Émulation) ;
  • « – Que venez-vous faire en Loge ? – Vaincre mes passions, soumettre ma volonté (à mes devoirs) et faire de nouveaux progrès en maçonnerie. » (Rite Écossais Ancien et Accepté).

En fait la méthode du catéchisme, en tant que procédé d’enseignement par échange de brèves questions-réponses qui en appellent à la mémoire, avait été instaurée par Calvin en 1541 dans son fameux Formulaire (Formulaire d’instruire les enfants en la Chrétienté). Les catholiques reprennent l’idée en 1555 avec le Catechismus minor de Pierre Canisius, tandis qu’en 1566 le Pape Pie V donne un statut au genre en accompagnant d’un motu proprio la parution du Catéchisme romain.

C’est néanmoins la fameuse Bibliothèque Bleue de Troyes qui donnera sa popularité à cette forme dialoguée.

Robert Mandrou nous en explique la création dans son ouvrage De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles, (Paris, 1975) : « C’est dans les premières années du XVIIe siècle qu’un certain Nicolas Oudot a l’idée d’utiliser des caractères fatigués et des bois défraîchis pour éditer aux moindres frais des contes, quelques romans médiévaux déjà récrits au cours du XVIe siècle et un certain nombre de vies de saints ; les textes sont repris, simplifiés pour ainsi dire, par des ouvriers typographes, et publiés sans nom d’auteur ni d’autre indication que le titre et le nom de l’éditeur. La formule ainsi définie réussit assez bien pour qu’à sa mort, en 1636, l’opération se soit déjà étendue à une centaine de titres. » Le nom de Bibliothèque Bleue lui viendra de la couverture bon marché des livres, un carton souple de couleur bleu foncé. L’idée sera, bien entendu, copiée par d’autres éditeurs du XVIIIe siècle et on la retrouve aujourd’hui actualisée dans Le livre de poche et autres collections de même type…

Or, parmi les ouvrages de cette collection, il en est un dont le succès ne s’est pas démenti durant plus d’un siècle, c’est L’enfant sage à trois ans, contenant les demandes que lui fit l’empereur Adrien et les réponses de l’enfant. Il s’agissait d’un texte du début du XVIe siècle qui empruntait au catéchisme de Calvin le mode d’expression par demandes et réponses. Il est clair qu’autant l’empereur que l’enfant sont des personnages fictifs, le prestige du premier servant de faire-valoir au second, un enfant n’ayant pas « l’âge de raison » et dont, pourtant, les réponses, très doctes, ne peuvent qu’émerveiller le lecteur. Voici le début de leur dialogue.

« D. L’Empereur. Comment est fait le Ciel ?

R. L’Enfant. S’il eût été fait par main d’homme, il seroit déjà tombé, et s’il eût été né, il seroit mort depuis long-temps.

D. Qu’est-ce que Dieu fit premièrement ?

R. Lumière et clarté en tout temps.

D. Comment peut-on entendre que la Trinité soit en un seul Dieu régnant en trois personnes ?

R. Par le soleil auquel tu trouveras touts choses, c’est à savoir substance, splendeur et chaleur, qui sont inséparables ; car l’une ne peut être sans l’autre. » Etc.[1]

Or on retrouve ce même procédé dans les Old Charges britanniques du XVIIe et du début du XVIIIe siècles. Mais l’intention en est sensiblement différente : il ne s’agit plus d’un simple procédé mnémotechnique de connaissances, mais s’y ajoute un but de reconnaissance, de « tuilage », qui permet de vérifier si celui qui est questionné est réellement franc-maçon.

Cette façon de procéder avait des antécédents, non seulement dans les cultes à mystères, en particulier chez les pythagoriciens qui masquaient leurs secrets sous des sentences anodines, mais jusque dans le récit biblique où est évoqué le mot de passe des Galaadites que leurs ennemis, les Ephraïmites, ne savaient pas prononcer, ce qui permettait de les démasquer (Jg 12, 5-6).

Cela étant, ni une formule énigmatique ni un simple mot de reconnaissance ne recouvrent la variété des questions et la longueur des réponses d’un catéchisme. En fait, il était lié à l’« Art de la Mémoire » préconisé par William Schaw (1550-1602) dès le début des Statuts qu’il fit adopter à la Saint-Jean d’hiver de 1598 afin de doter la maçonnerie opérative du royaume d’Écosse de règles communes. Or cet « art » – entendons par là un savoir-faire, une aptitude que chaque Homme porte en soi et qu’il peut développer et optimiser par le travail –, fut développé par de nombreux auteurs de la Renaissance, en particulier par Giordano Bruno[2].

Les premiers catéchismes maçonniques apparaissent à la fin du XVIIe siècle avec la naissance de la Maçonnerie spéculative. L’un des plus anciens est le Manuscrit d’Édimbourg daté de 1696. Sa provenance écossaise renforce indéniablement la thèse actuelle qui situe en Écosse la source de la maçonnerie spéculative[3]. On y retrouve le schéma qui est toujours le nôtre, mais avec certaines étrangetés.

Par exemple :

« – Qu’est-ce qui rend la loge juste et parfaite ?

  • Sept maîtres, cinq apprentis, à une journée de marche de la ville, pour que l’on ne puisse entendre ni l’aboi d’un chien ni le chant du coq.
  • Moins de maçons ne rendent la loge juste et parfaite ?
  • Cinq maçons et trois apprentis reçus.
  • Rien d’autre ?
  • Plus on est et plus il y a de la joie, moins on est meilleure est la chère. […]
  • Quelle est la clef de la loge ?
  • Une langue bien pendue.
  • Où repose cette clef ?
  • Dans une boîte d’os. »[4]

Si dans le Manuscrit d’Édimbourg l’existence du grade de Maître n’est pas certaine, elle l’est en revanche dans le manuscrit « Sloane 3329 » daté de quatre ans plus tard, 1700, qui décrit en outre les mots et les signes des Francs-maçons et éclaire certaines énigmes du manuscrit précédent :

« – Qu’est-ce qu’une loge juste et parfaite, ou juste et légitime ?

  • Une loge juste et parfaite, c’est deux apprentis entrés, deux compagnons et deux maîtres, plus ou moins. Plus on est, plus on rit. Moins on est, meilleure est la chère. En cas de nécessité, cinq suffiront : deux apprentis, deux compagnons et un maître. Tous réunis sur la plus haute colline ou la vallée la plus profonde dans le monde, là où l’on n’entend ni le coq chanter ni le chien aboyer. […]
  • En quoi est faite la clef de la porte de la loge ?
  • Ni de bois, ni de pierre, ni de fer, ni d’acier, ni d’aucun autre métal. C’est la langue de bonne renommée qui peut parler devant un frère aussi bien que dans son dos. […]
  • Combien y a-t-il de lumières dans la loge ?
  • Trois : le soleil, la lune et l’équerre. »

Dans ce même manuscrit, très riche, on trouve aussi quelques indications précieuses comme « la poignée de main, pour les compagnons [qui] consiste à se saisir mutuellement la main droite en pressant avec le bout du pouce la troisième jointure de l’index. » De même la griffe de maître est révélée et le texte ajoute qu’« il est un mot, qu’ils appellent “Mot de maître, qui est Mahabyn, et qu’ils divisent toujours en deux. Ils sont debout l’un contre l’autre, poitrine contre poitrine, pied droit contre pied droit, faisant de leur main droite la poignée de maître, la main gauche appuyant fortement sur le dos de l’autre. Ils restent ainsi le temps de se murmurer à l’oreille l’un Maha, l’autre Byn. » 3

Car le catéchisme n’est pas isolé ; il vient après des explications dont il est le couronnement. Il remplit, en fait, une triple fonction : d’explication de la doctrine du grade, de « tuilage » qui unit les initiés, et de résumé à retenir, comme dans les manuels scolaires de l’époque. Il révèle aussi le Mot de Maçon, « the Mason word », qui n’est pas qu’un mot, mais la façon de le communiquer, tant il est vrai que « l’art n’est pas dans la lettre, mais dans sa manière », dans la façon de dire bien plus que dans ce qu’on dit, comme le savaient bien les maîtres de la magie, eux qui connaissaient les liens tissés entre l’homme, la nature, l’univers et Dieu, eux qui avaient perçu le mystère de l’Un.

Ces catéchismes ont été des divulgations, mi-documents diffusés entre initiés mi-diatribes antimaçonniques. On en trouve jusqu’en 1760, avec Les Trois coups distincts, et ils sont à la source de notre histoire maçonnique…

ENCARTS :

Dans le chapitre 21 du Protreptique, le grand philosophe néo-platonicien Jamblique (environ 250-330 apr. J.-C.), auteur d’une Vie de Pythagore, révèle les mystères des pythagoriciens.

Voici, à titre d’exemple, son explication de l’un de ces préceptes « cachant sous des symboles les entretiens et les écrits qu’ils échangeaient ».

Symbole n° 12 : « Ne parle pas sans lumière des préceptes de Pythagore. » Le commentaire de Jamblique est le suivant : « Mais surtout “ ne parle sans lumière des préceptes de Pythagore ” est une invitation à l’intellect selon la sagesse. Il ressemble, en effet, à la lumière de l’âme, et elle qui est indéterminée il la détermine, et il la tourne comme des ténèbres vers la lumière. Ainsi, dans toutes les belles circonstances de la vie il convient de leur préposer l’intellect comme guide, surtout à propos des dogmes de Pythagore ; ceux-ci, en effet, sans lumière ne se peuvent connaître. »

On ne saurait mieux dire de la Franc-Maçonnerie !

« À Édimbourg, le 28e jour de décembre, en l’an de Dieu mille cinq cent quatre-vingt-dix-huit.

Statuts et ordonnances qui doivent être observés par tous les maîtres maçons du royaume, arrêtés par William Schaw, Maître des ouvrages de Sa Majesté et Surveillant Général du Métier, avec l’approbation des maîtres après désignés.

Premièrement, ils observeront et conserveront toutes les ordonnances arrêtées dans le passé, qui concernent les privilèges du métier, par leurs anciens de fort bonne mémoire. »

Comment mieux se référer à la tradition et à sa transmission orale ?


[1] In François LEBRUN, Croyances et cultures dans la France d’Ancien Régime, Éditions du Seuil, collection Points Histoire N° H 283, Paris, 2001.

[2] On ne peut ici que recommander l’étude exceptionnelle de Frances A. YATES, L’art de la mémoire, Gallimard, 1987.

[3] Cf. les ouvrages du professeur David STEVENSON.

[4] In Jean FERRÉ, Histoire de la franc-maçonnerie par les textes (1248-1782), Éd. du Rocher, 2001. La dernière partie des réponses se réfère au secret qui ne doit pas sortir de la tête (crâne).

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Jean François Maury
Jean François Maury
Agrégé d'Espagnol, concours externe (1969). Inspecteur d'Académie (depuis le 01/06/1977), hors-classe.Inspection Générale de l’Éducation Nationale. Parcours maçonnique sommaire : 5e Ordre du Rite Français, 33e Degré du REAA Initié à la GLNF en 1985 au Rite Français (R⸫L⸫ Charles d’Orléans N°250 à l’O⸫ d’Orléans). - 33e degré du R⸫E⸫A⸫A⸫ - Grand Orateur Provincial de 3 Provinces de la GLNF : Val-de-Loire, Grande Couronne, Paris. Rédacteur en Chef : Cahiers de Villard de Honnecourt ; Initiations Magazine ; Points de vue Initiatiques (P.V.I). conférences en France (Cercle Condorcet-Brossolette, Royaumont, Lyon, Lille, Grenoble, etc.) et à l’étranger (2 en Suisse invité par le Groupe de Recherche Alpina). Membre de la GLCS (Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité), Obédience Mixte, Laïque et Théiste qui travaille au REAA du 1er au 33e degrés, et qui se caractérise par son esprit de bienveillance.

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