jeu 12 décembre 2024 - 18:12

France Culture : Fraternité, ce mot le plus obscur de la devise républicaine

De notre confrère radiofrance.fr

“Liberté, égalité, fraternité”. Si nous connaissons par cœur la devise française, sommes-nous vraiment capables d’appréhender ce que recouvre le dernier terme ? Comment faire face aux diverses interprétations qui existent parfois contradictoires ?

Avec

  • Alexandre de Vitry Chercheur en littérature
  • Réjane Sénac Directrice de recherche au CNRS, enseignante à Sciences Po au centre de recherches politiques (Cevipof),autrice de « Radicales et fluides : les mobilisations contemporaines » (Presses de Sciences Po, octobre 2021).
  • Jean-Claude Caron Professeur à l’université de Clermont Ferrand, Membre de l’Institut universitaire de France.

Avec Philosophie consacre cette série d’émissions aux fraternités et sororités. Dans ce deuxième épisode, Géraldine Muhlmann et ses invités analysent la notion de “fraternité”, présente dans notre devise républicaine.

La méfiance envers la fraternité : une vieille préoccupation ?

Si la notion de fraternité est la plus obscure de notre devise française, c’est parce que ce mot apparaît plus tardivement que les autres. Ainsi, “dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ce mot n’apparaît pas”, souligne Jean-Claude Caron. Il ajoute : “on se focalise beaucoup plus sur ce couple antinomique qu’on essaye d’accorder : liberté et égalité”. Il a fallu attendre 1848 pour que “liberté, égalité, fraternité” devienne officiellement la devise de la République française.

Autour de 1830, la notion de fraternité est discutée et débattue. En 1848, “les femmes se sont emparées de cet enjeu” indique Jean-Claude Caron : “cela relève bien d’une volonté de globalisation”. En 1850, Karl Marx dénonce également l’hypocrisie de cette notion ne servant qu’à masquer des injustices sociales.

Une notion excluante dès sa conception

Le droit de vote tardif pour les femmes et l’expérience de la colonisation ne révèlent-ils pas les limites du concept de fraternité ? Pour Réjane Sénac, il y a une exclusion “non dans la mise en œuvre, mais dans la conceptualisation même”. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau, comme d’autres, théorise une “fraternité exclusive d’emblée”.

Il y a eu des tentatives d’inclusion qui n’ont pas pu toujours aboutir du fait d’un rapport de force inégal. “Cet héritage permet de comprendre pourquoi aujourd’hui, il y a autant de discrimination entre les frères et les non-frères” explique Réjane Sénac.

À réécouter : Fraternité : pas si simple

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Désigner un frère, c’est aussi désigner un non-frère

Les limites de ce concept tiennent également de la nature même de ce dernier. Pour Alexandre de Vitry“on ne cesse de faire l’expérience d’abord de la limite qu’on dessine dès qu’on forme un groupe fraternel”. Autrement dit, désigner un frère, c’est aussi désigner un non-frère.

La conception qu’a Baudelaire de la fraternité permet d’illustrer cette contradiction. Le poète plaide pour le “droit de choisir ses frères, contre la fraternité biologique et familiale”, mais également contre la “fraternité universelle”.

Cette frontière entre frères et non-frères est instable. D’ailleurs, Alexandre de Vitry ajoute que “le mot frère aujourd’hui désigne de manière privilégiée le non-frère d’hier ”.

🎧 L’émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.

Pour en parler

Réjane Sénac, directrice de recherche au CNRS et enseignante à Sciences Po au centre de recherches politiques (Cevipof). Parmi ses travaux, on trouve :

  • Les non-frères au pays de l’égalité, Presses de Sciences Po, 2017.

Alexandre de Vitry, maître de conférences en littérature française à La Sorbonne. Il a écrit :

  • Le Droit de choisir ses frères ? Une histoire de la fraternité, Gallimard, 2023.

Jean-Claude Caron, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Clermont-Auvergne. Il est l’auteur de :

  • Frères de sang – La guerre civile en France au XIXe siècle, Champ Vallon, 2009.

Pour aller plus loin

Nous vous conseillons ce livre pour celles et ceux qui veulent aller plus loin :

  • Michel Borgetto, Que sais-je ? La devise “Liberté, Egalité, Fraternité, PUF, 1997.

Références sonores

  • Lecture par Anna Pheulpin d’un extrait de Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’économie politique, 1755.
  • Lecture par Riyad Cairat d’un extrait de Karl Marx, Les luttes de classes en France, 1850.
  • Lecture par Riyad Cairat d’un extrait de Victor Hugo, Les Misérables, Victor Hugo, 1862.
  • Extrait de l’entretien avec Cédric Herrou, dans L’invité du jour, France 24.
  • Chanson en fin d’émission : “Des bisoux” de Philippe Katerine (2010).

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