De notre confrère Laurent Ridel et son excellent site decoder-eglises-chateaux.fr
La télé se penche parfois sur le monde des cathédrales. Ce fut le cas de l’émission de vulgarisation C’est pas sorcier. Jamy et son équipe s’en sont-ils tirés sans graves erreurs historiques ?
Tournée certainement dans les années 1995-2000, cette émission diffusée sur France 3 est aujourd’hui en ligne. C’est avec un peu de crainte que je la revisionne aujourd’hui avec vous.
Il n’est pas facile de vulgariser, surtout pour un public jeune, cible principale de l’émission. En simplifiant leur discours, les deux animateurs Jamy (alias Jamy Gourmaud) et Fred (Frédéric Courant) couraient le risque de déformer la réalité. Une pente d’autant plus glissante que, journalistes touche-à-tout, ils n’étaient pas spécialistes du sujet.
Or, visionnée plus d’un million de fois, la vidéo de C’est pas sorcier bénéficie d’une grande portée. Des professeurs d’école primaire et de collège la soumettent à leurs élèves pour leurs cours. À nos chères têtes blondes, il ne faudrait pas leur faire avaler n’importe quoi (aux adultes aussi). J’ai donc voulu vérifier si l’émission n’est pas l’épicentre d’idées fausses sur les cathédrales.
Premier arrêt : la cathédrale d’Amiens
Pour démarrer l’émission, l’équipe a choisi un monument incontournable. Longue de 145 m et haute de 43 m sous voûte, Notre-Dame d’Amiens est la plus volumineuse cathédrale de France. Comme le précise le coanimateur Fred, il a pourtant fallu seulement 68 ans pour la terminer. Un temps bref, en comparaison de certains chantiers étalés sur plusieurs siècles et parfois jamais terminés (je dénonce les derniers de la classe : les cathédrales de Beauvais et de Narbonne notamment).
Traversant la cathédrale, Fred énumère au passage les différentes parties : nef, transept puis chœur. Là, il nous fait prendre conscience d’une réalité méconnue du fonctionnement quotidien des cathédrales au Moyen Âge. Dans ce vaste chœur se regroupaient les chanoines qui y célébraient des offices religieux à raison de 14 heures par jour. Oui, 14 h, du lundi au dimanche ! Être chanoine était donc un « travail » à plein temps. Il dédiait sa vie à la cathédrale.
Lunettes rondes et chemise verte fluo, Jamy enchaîne sur les différents styles architecturaux. “Toutes les cathédrales ne se rassemblent pas : tout dépend de l’époque où elles ont été construites”, prévient-il. S’appuyant sur des maquettes, il arrive à résumer le style roman et les variantes du style gothique en moins d’une minute. Je ne saurais pas faire (mais je le fais en quelques diapos). Ses explications tiennent debout… à quelques détails près, comme faire commencer l’architecture romane au Ve siècle (au Xe siècle en vérité). Un tel écart, c’est comme placer Napoléon à l’époque de la guerre de Cent Ans. Ce genre d’erreur chagrine toujours un historien. Mais je m’en remettrai.
Le goût des maquettes
À la sixième minute, Fred s’amuse à suivre les méandres du labyrinthe d’Amiens. Ici l’animateur répète un cliché : avançant à genoux, les pèlerins l’utilisaient comme alternative au pèlerinage à Jérusalem. La ville sainte, destination la plus glorieuse pour un chrétien, était aussi la plus inaccessible à cause de son éloignement. Comme je l’écrivais dans un article encore chaud, aucun texte médiéval ne confirme cette fonction pénitentielle attribuée aux labyrinthes et le cheminement agenouillé.
Que serait C’est pas sorcier sans ses maquettes ? En regardant cette émission, j’ai toujours une pensée pour l’équipe d’artisans et de bricoleurs qui créaient ces maquettes avec du bois, du polystyrène et des bouts de ficelle. J’imagine Jamy commander la maquette, tantôt d’une cathédrale gothique, tantôt d’un volcan en éruption, tantôt du système digestif de la vache. Un défi permanent pour son équipe. Justement Jamy emploie une maquette pour expliquer l’avantage des arcs brisés (propre au style gothique) sur les arcs en plein cintre (propre au style roman). Tout arc, à cause de son poids, génère des forces déstabilisatrices. Dans le cas des arcs brisés, elles sont mieux canalisées vers le sol et donc moins menaçantes pour la structure du monument. Démonstration très claire.
Jamy recourt encore à une maquette pour expliquer le secret des églises gothiques, ce pour quoi elles sont si hautes et si lumineuses. Les architectes gothiques utilisent des voûtes en croisée d’ogives. Ce type de voûte répartit le poids sur ses piliers et non sur les murs. De là, la possibilité de les ouvrir davantage par de grandes baies vitrées. Je valide aussi.
Un animateur mieux loti que l’autre
Dans le duo d’animateurs, Fred est toujours celui qui est sur le terrain tandis que Jamy reste dans le camion (en fait le studio). J’envie le premier : il a le privilège de marcher au-dessus des voûtes et d’observer de là-haut (43 m tout de même) tout l’intérieur de la cathédrale par une trappe. En prime, il a le droit de marcher à l’extérieur, à hauteur des arcs-boutants.
À 12 minutes, surgit à l’écran la tête d’Alain Erlande-Brandenburg. Je ne me souvenais pas que l’émission faisait de temps en temps intervenir des intellectuels. Mort récemment, Alain Erlande-Brandenburg était le spécialiste des cathédrales et précisément de l’architecture gothique. Avec raison, il explique que ce sont les évêques qui finançaient principalement ces grands monuments. Contrairement à ce que propageaient Victor Hugo et Viollet-le-Duc, l’argent du peuple était peu sollicité.
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Après avoir consacré le début de l’émission à Amiens, l’équipe de C’est pas sorcier débarque devant Notre-Dame de Paris. Du moins Fred. Car Jamy reste enfermé dans son camion-studio.
Au moment du tournage de l’émission, Notre-Dame est, comme de nos jours, couverte d’échafaudages. Et en partie pour la même raison : les restaurateurs nettoient la façade noircie, autrefois par la pollution, aujourd’hui par l’incendie de 2019.
L’émission dérape
Dans Notre-Dame de Paris, Fred a pris rendez-vous avec un autre spécialiste, Renaud Beffeyte.
Commence la partie de l’émission où j’ai les plus grandes réserves. Vous connaissez peut-être Renaud Beffeyte pour son livre L’Art de la guerre au Moyen-Âge. Compagnon charpentier, il est réputé à juste titre pour concevoir des répliques des armes de jet médiévales comme les trébuchets. Dans l’émission, il intervient pour expliquer comment les architectes de la cathédrale font pour fabriquer les plans. Malheureusement, le charpentier met dans leurs mains des outils non attestés au Moyen-Âge :
- la canne (une sorte de règle dont les mesures sont basées sur des parties du corps)
- la corde à 13 nœuds.
Ces idées fausses circulent malheureusement sur les chantiers de vulgarisation et parmi les tailleurs de pierre. Il me faudra en parler dans un prochain article.
- Lire aussi : Les secrets des bâtisseurs du Moyen Âge
Renaud Beffeyte poursuit avec un autre concept qui me fait grimacer comme un enfant à qui on présente des tripes à la mode de Caen : pour tracer le plan de la cathédrale Notre-Dame de Paris, les bâtisseurs ont utilisé le nombre d’or. Je n’en suis pas si sûr. Là encore, développer ma contre-argumentation nécessiterait tout un article. Au moins celui-là existe déjà. Je vous invite à le lire et en débattre.
Mais revenons avec Jamy. Il nous sort de ses placards une nouvelle maquette. Ce sont des échafaudages gigognes soi-disant employés sur les chantiers élevés des cathédrales. Ils ressemblent à des monte-charge en bois que l’on élève par des cordes. On est séduit par l’ingéniosité du système actionné par Jamy. Prudence cependant : je n’ai jamais entendu parler de ce type d’échafaudages amovibles. Et leur intérêt ne me convainc pas. Sur un chantier, ce n’est pas les hommes qu’on a besoin de faire monter. Ce sont surtout les matériaux. Et pour ça, les bâtisseurs utilisent des grues et autres instruments de levage.
La cathédrale Notre-Dame de Paris n’est pas si authentique
Pendant ce temps, Fred continue sa visite VIP de Notre-Dame. Il a la chance de monter au sommet des échafaudages où il rencontre un tailleur de pierre. Casquette sur la tête, Alain Rembert travaille à la restauration de la cathédrale. Il attire l’attention sur un fait dont les visiteurs comme vous et moi n’avons pas conscience. Nous regardons un monument dont les pierres d’ornementation, abîmées par les intempéries, sont progressivement remplacées. Les pierres d’origine subsistent seulement dans la structure. Notre-Dame de Paris est finalement peu authentique.
La restauration consiste aussi dans le nettoyage des pierres noircies depuis des siècles par la pollution. Tournée dans les années 1990, l’émission rend compte de ce mouvement alors émergeant en France. Dans une séquence, un restaurateur envoie un rayon laser frapper la pierre : le faisceau provoque alors une onde de choc qui décolle la couche sale. J’en rêvais tout à l’heure lorsque je nettoyais la graisse au-dessus des meubles de ma cuisine.
En plus de rajeunir les cathédrales, ce décapage maîtrisé révèle quelques restes de peinture sur les sculptures des portails. Car, on l’oublie parfois, les personnages de pierre étaient animés de couleurs. À ma grande déception, frotter les surfaces de ma cuisine n’a jamais fait surgir de fresques.
Les vitraux
Au moins dans l’art des maîtres-verriers, la couleur est inaltérable.
« Le vitrail c’est pas une invention gothique ; ça existait bien avant », avertit Fred. Je suis tout à fait d’accord puisqu’on a retrouvé en France des vestiges de verre aux confins de l’Antiquité et du Moyen Âge.
En revanche, le documentaire n’échappe pas au cliché habituel sur la fonction du vitrail : « les hommes du Moyen-Âge qui ne savent pas lire apprennent le catéchisme » en les regardant. En vérité beaucoup de ces vitraux, comme ceux de Chartres, sont souvent trop difficiles à décoder pour aider un quelconque illettré. Soit à cause de leur hauteur soit à cause de leur sens complexe. Je développe dans cet article : Les églises : une bible pour les illettrés. Vraiment ?
Heureusement, l’émission compense largement par sa qualité pédagogique. La voix off féminine explique simplement la fabrication du verre avant que Jamy crée ensuite l’ancêtre du tuto internet : manipulant deux morceaux de verre et des baguettes de plomb, il fabrique devant nos yeux un vitrail en 4 étapes. On n’a qu’une envie : s’y mettre.
Verdict
Afin de ne pas simplement paraphraser l’épisode, j’ai surtout insisté ici sur les points critiquables : les deux animateurs n’échappent pas à quelques poncifs sur les cathédrales et font quelques erreurs de vocabulaire par péché de simplification.
Ne vous méprenez cependant pas : je recommande ce numéro de C’est pas sorcier. À la visionner, les spectateurs ne risquent pas une mortelle intoxication informationnelle. En 26 minutes, le spectateur a un panorama du sujet grâce à une écriture très efficace ; des maquettes ou des démonstrations vulgarisent les techniques des bâtisseurs pour les enfants comme pour les adultes. En prime, la dynamique entre les deux animateurs Jamy et Fred assure la fluidité entre les séquences et apporte de l’humour. Difficile de faire mieux. Et vous, que pensez-vous de cette émission ?