ven 03 mai 2024 - 01:05

L’acacia, axe du monde

Selon la légende, le patriarche biblique Mathusalem, qui vécut 969 ans, ne consommait que du miel d’acacia. On perçoit immédiatement dans cette fable combien est importante pour l’homme, la question de sa longévité et par conséquent, sa crainte de la mort et son désir d’en repousser la venue, par tous les moyens à sa disposition, matériels et même symboliques.

Il n’est donc pas étonnant que, taraudé par le mystère de ce temps impalpable qui s’écoule, il ait très tôt intégré dans son imaginaire, l’idée que l’abeille, cet insecte venu du fond des âges – bien avant l’humanité – produise une substance dotée de pouvoirs vivifiants, prélevée sur un arbre, lui-même réputé comme l’une des premières plantes du règne végétal. Sur ce même principe de valorisation, voire de vénération de l’ancienneté des choses, la franc-maçonnerie spéculative n’a pas manqué de repérer les vertus de l’acacia, – bois estimé imputrescible qui donc traverse le temps – pour le rattacher à la légende d’Hiram.

L’étude du symbolisme de l’acacia impose d’entrée de distinguer, parmi les quelques quatre cents variétés existantes, les deux espèces auxquelles s’est attachée l’imagerie maçonnique.

  1. ACACIA VULGARIS (Robinier)

Alors que des soldats anglais et irlandais constituaient à Saint-Germain en Laye, la première loge maçonnique sur notre territoire, dans les années 1660/1670 – donc bien avant la création de la Grande Loge de Londres en 1717- un botaniste français, Vespasien Robin, introduisait au Jardin des Plantes à Paris, un acacia vulgaris, rapporté d’Amérique, qui prit le nom d’acacia americana robini, puis de « robinier » dans la langage populaire. C’est un acacia à fleurs blanches ou jaunes de la famille des papilionnacées, encore appelé « faux acacia ». Cet acacia « occidental » est celui qui est entré dans la symbolique maçonnique française.

  • ACACIA HETEROPHYLA

Le véritable acacia est une légumineuse mimosée (d’où le nom de sa fleur jaune odorante disposée en grappes, le mimosa) que l’on trouve en Australie et au Moyen Orient. Il est plus ou moins abondant en Egypte, en Arabie, en Syrie, en Palestine et en Israël. En dehors de son bois résistant utilisé en ébénisterie, cet acacia dit encore « xerophyle », produit la gomme arabique et le cachou. Son feuillage, composé de petites lames pointues, nervurées et vernies, est coriace, persistant généralement toute l’année et comme son écorce, repousse les insectes. A noter que ces feuilles s’inclinent la nuit et se redressent au lever du soleil. Le symbole de mort et de renaissance, attaché à l’acacia, commence à l’évidence, avec cette caractéristique particulière. C’est bien entendu à cet acacia du Moyen-Orient que la légende d’Hiram, née vers 1720, fait allusion, sur le territoire même où elle se situe.

L’étymologie du mot « acacia » renvoie à diverses interprétations. Dérivé du mot grec « akakia », il signifie ainsi une pointe, une extrémité aigue. Quand on sait que la fleur de l’acacia représente un cercle d’où jaillissent des pointes végétales, le rapprochement est possible. La boule jaune du mimosa et lesdites pointes ne sont pas sans rappeler le soleil et ses rayons. Voire une roue et ses rayons. Nous sommes ramenés ici au cercle et centre du cercle, partant au symbole même de la maîtrise maçonnique.

Si l’on considère que le mot grec « akakia » comporte un « a » privatif, nous revenons à la racine « kakos » signifiant « le mal ». De la sorte, l’acacia serait un arbre symboliquement dépourvu de tout ce qui est opposé au bien. Il deviendrait ainsi l’arbre de l’innocence, pouvant s’opposer à l’arbre biblique du fruit défendu, transformé lui en arbre du mal, après que l’homme en eut croqué ce fruit.

Toujours sur ce plan étymologique, il est intéressant de remarquer que les rituels de la maçonnerie allemande ont choisi pour leur part l’acacia farnesiana, en tant que symbole de la maîtrise, s’inscrivant dans la légende d’Hiram. Il s’agit d’une variété d’acacia de type « cannelle », le canier en français, mot venant du grec kassia. Quand on sait que l’Egypte pharaonique utilisait cette plante pour l’embaumement des morts, leur assurant ainsi une conservation voulue éternelle, on retrouve bien l’idée de « vie prolongée » dans la mort, et en quelque sorte le symbole de la renaissance, grâce à l’acacia. De son côté, « l’Art Royal » anglais, père du concept de franc-maçonnerie, a évoqué dès 1765, le rameau de « kassia » odoriférant pour oindre les morts.

L’éternel retour

Avec l’acacia, nous sommes par définition, renvoyés à la symbolique de l’arbre en général, qu’il n’est pas inutile d’aborder succintement. L’homme est depuis toujours fasciné par l’arbre (du latin arbor, oris, se lever, se dresser, surgir) dans lequel il se reconnaît comme plante lui-même et établit des correspondances avec la nature. Il voit dans cette verticalité, un lien « terre-ciel » – ne serait-ce que par leurs échanges répondant aux lois physiques – et bien entendu, il voit aussi, à la fois la figure du pouvoir féminin originaire, comme l’image phallique par excellence. La longévité de la plupart des arbres, en fait d’évidence, le symbole de choix d’une forme d’éternité, d’autant que leur vie est rythmée par la circularité des saisons. Le cycle des feuilles qui jaunissent l’automne, chutent l’hiver et sont remplacées par de nouvelles pousses sur des rameaux à nouveau verdoyants au printemps, pour aboutir à une floraison puis au fruit et à sa cueillette nourricière, ce cycle forme un ensemble organisé et répétitif, au bénéfice de l’homme.

Ce « mécanisme » incline à penser à un « éternel retour », l’acacia constituant précisément l’exception par sa permanence foliacée tout au long de l’année. L’arbre est aussi, à travers l’idée de la croix – en bois d’acacia selon les textes – mais en dehors même de toute référence religieuse, une représentation de la vie et de la mort, toujours dans le scenario mort/renaissance. Par extension, l’arbre peut être vu comme un centre, comme l’axe du monde aussi, puisque pour certaines cultures, hindouistes notamment, cet axe tiendrait l’univers ! Nous voyons ici combien l’arbre peut également rendre fructueuse l’imagination poétique, et mettre en route tous les systèmes d’hypothèses, constitutifs du symbolisme, quel que soit le courant de pensées auquel il se rattache.

Cette incursion dans la grande famille des arbres et la richesse des interprétations que l’on peut tirer de cette catégorie végétale du vivant, permet de mieux appréhender le rôle de l’acacia au centre du drame hiramique. Lorsqu’après leur forfait, les trois assassins de l’architecte de Salomon l’enterrent dans un fossé aux abords du Temple, l’un d’eux pique un rameau d’acacia sur le tertre pour repérer la tombe provisoire. Deux éléments informatifs apparaissent ici : il y a un acacia à proximité, symbole de vie, et la branche cassée, sans racine, est un symbole de mort. La dualité est donc immédiatement présente dans la légende. Selon certains auteurs, la sépulture provisoire renvoie à l’idée d’une résurrection possible, rappelant évidement en cela, l’enterrement du Christ et la disparition de son corps ensuite. Il est bon de rappeler ici qu’il n’est pas question de résurrection pour les francs-maçons de Rite Ecossais Ancien et Accepté, mais de « re-naissance », le compagnon devenant maître-maçon « renaissant à lui-même », et permettant du même coup à l’architecte Hiram de connaître l’éternité, en revivant à travers chaque initié de par le monde. Ainsi, sa qualité de maître-maçon lui permettra de poursuivre la construction de son temple intérieur. Ainsi, il participera en même temps, à la construction du temple de l’humanité, loin d’être achevée !

L ‘acacia m’est connu

Nous pourrions nous étonner qu’à la question rituelle « Etes-vous maître ? » posée en loge par le Vénérable Maître lors de la cérémonie d’augmentation de salaire, la réponse du nouveau maître se limite à « L’acacia m’est connu ! ». Comme il peut paraître surprenant que dans la description de la légende d’Hiram, l’intervention de l’acacia se résume à une branche d’arbre plantée en terre, sur une tombe, qui plus est provisoire ! Le fait de savoir, selon certains rituels, que le cercueil d’Hiram est en bois d’acacia, et que, d’après la Bible, l’Arche d’Alliance, la table et l’autel des parfums dans le Saint des Saints du Temple sont composés de ce bois, sacralisé par le roi Salomon, ne constitue pas non plus une série d’informations majeures !

C’est donc bien, essentiellement, dans la symbolique de cet acacia et les métaphores correspondantes qu’il faut chercher des réponses utiles à la vie quotidienne du franc-maçon. Déclarer « l’acacia m’est connu ! », équivaut pour le maître-maçon, non seulement à ne rien ignorer du meurtre perpétré par les trois mauvais compagnons, symbolisant l’ignorance, le fanatisme et l’ambition, mais c’est « aller plus loin » dans la réflexion. Partant, que peut-on dire au-delà de l’espoir de la survivance des âmes et de l’indestructibilité de la vie dont l’acacia est le symbole, autant d’idées traditionnelles venant des auteurs maçonniques anciens tels que Plantagenet, Boucher ou Wirtz ?!

Si l’on y regarde de plus près, au contraire des religions qui apportent des réponses, cette modeste feuille d’arbre, dans le principe maçonnique même, nous apporte des questions ! La symbolique « mort/renaissance », au-delà de la relation hypothétique de l’âme avec les mystères, nous interroge sur le problème de nos origines, de notre fin – et plus généralement, pendant que nous sommes vivants – sur le sens de la vie et de notre vie. Cette vie qui est la mienne, la vôtre !

Ce n’est pas la science ni la magie qui répondront ici, mais précisément notre interprétation personnelle de la méthode symbolique. C’est-à-dire notre capacité à produire du sens et non à reproduire systématiquement du « copier/coller » et du « déjà-dit » depuis trois siècles. Dans cet esprit, l’acacia, en tant que symbole, devient dès lors un médiateur, « ici et maintenant », et non plus seulement « autrefois et ailleurs ». Il est la face visible de l’ invisible auquel il revient à chacun de nous de donner une coloration et une signification personnelles. Avec résolution et courage !

L’ancestromanie

Par rapport à l’animal qui est programmé, l’homme fait évoluer son espèce, grâce à sa conscience d’être et sa créativité. Par la pensée, le langage, l’outillage, la science, l’art, la civilisation, la sexualité, etc, autant d’éléments en constants mouvements – progrès fulgurants ou reculs navrants !- qui constituent et justifient sa « raison d’exister », de lutter. Car la vie est un combat, avant tout pour tenter sans relâche de neutraliser cette part d’ombre en nous-mêmes, qui est le mal. Et partant de valoriser notre côté solaire, cette grappe de mimosa intérieure en forme de cœur rayonnant, qui est le bien.

C’est une image, certes. Mais cette faculté poétique qui nous caractérise est précieuse. La poésie, c’est le symbole même. Poétiser, c’est créer un monde intermédiaire entre moi, fragile homo sapiens, et l’inconnaissable, « ce qui me dépasse », ce que mon cerveau, dans sa forme actuelle, ne peut conceptualiser que par des abstractions.

Pour supporter une situation quasi-carcérale sur notre vaisseau emporté dans l’espace, pour en quelque sorte, « transcender le tragique » de la condition humaine, notre imaginaire a inventé « l’ancestromanie », et avec elle le mythe, cet « avant nous supposé », parfois jusqu’à y croire, sans lequel nous ne pourrions pas vivre. Le mythe d’Hiram et tout ce qu’exprime une simple branche d’acacia, en termes de valeurs humaines à dispenser, répondent, pour les francs-maçons, pour les franc-maçonnes, à ce besoin de récits. Et de héros initiateurs, sinon initiatiques!

Cette fonction symbolique consistant à nous raconter des histoires « pour faire sens », est capitale, pour ne pas dire vitale. Là est notre parcelle de liberté. Et notre survie ! Chacun de nous est un arbre, chacun de nous est un acacia.

5 Commentaires

  1. En Inde les morts sont habituellement enveloppés d’un simple linceul (pas de cercueil)
    les les tombes sont ensuite couvertes de grosses pierres
    afin d’en éloigner les charognards, notamment les porcs qui n’hésitent
    pas à déterrer les cadavres pour s’en nourrir.

    L’usage en Inde de planter de l’acacia sur sur les tombes remonte
    aux temps les plus anciens. Les épines acérées de cet arbuste tres résistant sont mises
    a cet endroit précis dans le but de tenter de décourager le groin fragile de ces bêtes répugnantes …

  2. 1) Bonjour Solange, Ma Très Chère Soeur,
    Merci de nous renvoyer à ton précédent article sur l’acacia. Cet arbre est un trésor de légendes et de réalités!

    2)Bonjour Jacques, Mon Très Cher Frère,
    Merci de ta lecture de mon article et de ce complément d’information intéressant sur l’acacia et son usage particulier en Inde!

    La Franc-Maçonnerie et 450 fm nous permettent ainsi de faire le tour du monde!

    Bien fraternellement

    Gilbert Garibal

  3. J’ai été très impressionné par les vertus et le symbole de l’acacia . Chez moi en Afrique plus précisément en Côte d’Ivoire mon pays depuis ma Naissance Ma mère utilise l’acacia pour soigner des maladie . La fièvre et le paludisme et bien d’autres . Son efficacité pour des soins… Aujourd’hui je viens d’apprendre son utilité pour la vie . . Toutes Mes Salutations Fraternelles 🔺

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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