mar 15 octobre 2024 - 01:10

Reconstruire le Temple ?

(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)

Dans la tradition judéo-chrétienne, le Temple est, en tout premier lieu, le Temple de Jérusalem, la Demeure de Yahweh, l’édifice bâti par Salomon au Xe siècle avant notre ère, pour abriter l’arche d’alliance. Le mot a aussi connu une fortune remarquable – j’emploie la formule à dessein – avec les Templiers, renvoyant ainsi à leur maison, à leur monastère.

Dans la généralité de la langue, le temple désigne tout lieu de célébration d’un culte où se réunissent des fidèles, quoique aujourd’hui l’usage le réserve plutôt au bâtiment du culte de l’Église réformée, sans plus guère de référence à l’église, à la mosquée ou à la synagogue, tandis qu’il se comprend encore du lieu de réunion d’une loge maçonnique, autrement dénommé atelier, le terme loge supplantant, toutefois, lato sensu, dans la conversation courante, celui de temple : ne dit-on pas plus communément « je vais à la loge » ?

Temple ? Ce mot résonne avec solennité ! J’entends l’écho qu’il soulevait en moi il y a plus d’un demi-siècle quand j’appris comment les Romains, soucieux du puissant avantage que leur procurerait la connaissance des dispositions célestes à leur égard, chargeaient les haruspices, ces devins hérités des Étrusques, de prendre les auspices, c’est-à-dire littéralement d’observer le vol des oiseaux (en latin auspicium ou avispicium), afin d’interpréter l’état d’esprit des Dieux. Les haruspices, pour ce faire, découpaient dans l’espace, à l’aide de leur bâton (lituus), un invisible et large quadrilatère qu’ils appelaient templum où, dans la secrète combinaison des phénomènes naturels et des comportements de la faune volatile, ils lisaient les volontés divines. Ainsi, de proche en proche, chez les Latins, aucune affaire publique ne se déterminait sans un  battement d’aile ou un chant d’oiseau. N’eût été une certaine gravité, la poésie l’aurait emporté… Ne nous en moquons pas, cependant : dans les croyances religieuses qui nous sont plus familières, la colombe, par exemple, ne fut-elle pas longtemps porteuse des signes de la Providence ?

Toujours est-il que le mot temple, probablement issu de l’indo-européen temp (« étendue, espace », que l’on retrouve dans le sens étymologique de templum), est aussi souvent rapproché – tant la tentation est grande – du grec τέμενος (du verbe τέμνω, « découper »), ce qui rend plus manifeste encore la coupure entre le profane et le sacré.

Par métonymie, le nom de temple fut donné au bâtiment abritant la représentation d’une divinité et le culte qu’on lui voue, avant que, plus tard, le sacré puisse s’y refléter, en donnant lieu à des rituels sans lien avec aucun dogme religieux, comme un sanctuaire universel, un séjour protégé et privilégié de la conscience, un refuge consacré à l’examen le plus complet et le plus rigoureux possible des questions essentielles qu’on rencontre chaque jour, en ouvrant les yeux, mais sans s’y arrêter, et qui butent sur l’inconnu voire touchent à l’Inconnaissable.

Le temple maçonnique veut être ainsi un temple de la Raison et plus encore de l’Esprit où l’on célèbre les immortelles valeurs de la libre conscience, celles-là mêmes qui, par les vertus de la méthode symbolique, conduisent chaque Frère ou chaque Sœur à poursuivre, en son for intérieur, non seulement le chemin de son émancipation  mais concomitamment celui de son accomplissement, en se frottant également à la diversité des témoignages apportés par les autres. On notera qu’à l’instar des anciennes pratiques romaines, les cérémonies s’y déroulent sous la voûte étoilée, c’est-à-dire, par l’imagination, à ciel ouvert, mais sans autres présages que ceux déployés par les métamorphoses intimes de tout temple vivant. Qu’il s’agisse du temple où l’on se réunit ou du temple que l’on cherche à édifier en soi-même, on y forge un sens sacré de la fraternité où les hostilités sont abolies ou devraient l’être jusqu’aux plus latentes et aux plus muettes. Ce temple ne se résume pas à un lieu de prières. Ce que le Franc-maçon, par la symbolique qu’il vise à intégrer et à maîtriser, est constamment incité à mettre en œuvre, ce sont des actes concourant à la concorde, à l’harmonie, au progrès. Mais agir n’est pas agir tous azimuts, c’est aussi savoir laisser advenir, permettre que se produise ce que d’autres portent. C’est à cela que servent, dans un souci permanent de liberté, et la vigilance et la tempérance. C’est ainsi que se trouve préservé et promu le sens du bien et de la pérennité.  

Pour peu que cette chronique ait titillé la réflexion de celles et de ceux qui l’auront lue, j’augure volontiers qu’ils auront profit à explorer les traditions qui alimentent la notion de temple dans l’univers maçonnique, en cherchant, avec Yonnel Ghernaouti[1], à percer cette énigme : Pourquoi les francs-maçons veulent-ils reconstruire le Temple ?


[1] Yonnel Ghernaouti, Pourquoi les francs-maçons veulent-ils reconstruire le Temple ?, Paris : éditions Dervy (coll. : Les outils maçonniques du XXIe siècle), juin 2023, 101 p., 9,90 €. Yonnel Ghernaouti est directeur de la Rédaction de 450.fm.

3 Commentaires

  1. Curieusement, comme le font remarquer des protestants, les catholiques se rendent dans un temple (id est la demeure du dieu) pour y rendre un culte (une liturgie d’adoraton de ce dieu) face à ce dieu (“transubstitué dans des espèces saintes”). Les protestants se rassemblent à l’église (ecclesia : assemblée) pour y entendre le message de Dieu (le pasteur y lit la Bible) !!! J’ai développé ce thême dans mon dernier essai (https://www.simply-crowd.com/produit/lessence-du-christianisme-et-du-judaisme/).
    En ce sens les franc-maçons ne devraient pas appeller l’atelier le temple, car ils y pratiquent un rite qui n’est pas une liturgie (rituel religieux), et n’y adorent personne, même ceux travaillant À L.G.D.G.A.A.D.L’U.

    • Très Cher Lecteur,
      Je comprends cette réserve mais précisément l’étymologie du mot temple comme son premier usage ne renvoient pas à une réunion de fidèles d’une religion particulière mais à un espace sacré découpé dans le vide, comme je l’ai rappelé. En cela, avec les adaptations nécessaires, le mot temple me semble convenir au lieu de réunion d’une loge maçonnique et cet emploi est pleinement attesté par les meilleurs dictionnaires (Trésor de la Langue Française, s.v. Temple, B.-2.b).
      La persistance d’une opinion différente sur ce point relève d’ailleurs davantage d’un ressenti ancré dans des pratiques religieuses, que vous relevez, et me semble parfaitement légitime pour le sujet qui l’éprouve : c’est donc pleinement votre droit d’adopter cette restriction.
      Pour ma part, je la fais pour le terme d’église, alors qu’à la source, elle ne se justifie pas non plus mais la rapide évolution du sens en a strictement cantonné l’acception. En effet, église provient du latin vulgaire eclěsia (v. Thesaurus linguae Latinae, s.v., 32, 63 sqq), le latin chrétien désignant par ecclēsia une « assemblée de Chrétiens », alors que le mot est emprunté au grec ἐκκλησία qui ne veut jamais dire que « assemblée de citoyens ». Toutefois, l’attribution sémantique à laquelle a conduit le Nouveau Testament l’a, sans discussion, emporté dans la langue.
      Merci, en tous cas, de votre lecture attentive et de vos observations circonstanciées.

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Christian Roblin
Christian Roblin
Christian Roblin est le directeur d'édition et l'éditorialiste de 450.fm. Il a exercé, pendant trente ans, des fonctions de direction générale dans le secteur culturel (édition, presse, galerie d’art). Après avoir bénévolement dirigé la rédaction du Journal de la Grande Loge de France pendant, au total, une quinzaine d'années, il est aujourd'hui président du Collège maçonnique, association culturelle regroupant les Académies maçonniques et l’Université maçonnique. Son activité au sein de 450.fm est strictement personnelle et indépendante de ses autres engagements.

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