Le franc-maçon, la franc-maçonne que nous sommes ne font pas de politique. Mais ils ne peuvent ignorer la politis, au sens grec, « la vie de la cité » dans laquelle ils sont impliqués. Comme tout citoyen, comme toute citoyenne. L’heure est, plus que jamais, à l’observation, au raisonnement, à l’échange, à l’action altruiste éventuelle.
L’école nous l’a appris dès la première récréation et nous vivons avec eux depuis au quotidien : un méchant et un gentil habitent en nous ! Tel un miroir, notre téléviseur, cet œil perçant sur le monde, nous confirme une dualité qui devient une alternance, par écrans interposés. Nous pouvons d’ailleurs l’observer : C’est un fait, la France est affectée, en ce moment même, par des violences urbaines juvéniles d’une rare gravité, depuis une interpellation mortelle. Et en même temps, curieux paradoxe, il suffit d’un coup de pouce sur la télécommande pour changer de décor et d’ambiance. « L’étrange lucarne », nous présente maintenant, parce que c’est la saison, une foule enthousiaste acclamant les vaillants cyclistes qui participent à la « grande boucle » ! Ainsi se succèdent des images « contraires » sur l’écran. Elles reflètent notre singularité.
La nuit venue, devant nos yeux effarés, y surgissent en meute de sinistres silhouettes noires qui défoncent rageusement édifices publics et commerces, puis incendient d’un jet d’essence voitures et abribus. Spectacle désolant. Et le lendemain, comme par magie télévisuelle, s’étire au bord de la route ensoleillée un joyeux cordon de supporters en short et casquette, qui hurlent des vivats et tendent des bidons d’eau fraîche aux « forçats du bitume » ! Contraste saisissant. Une nouvelle pression sur le bouton et soudain, autre vision terrible cette fois, c’est le tir fracassant des obus d’une guerre fratricide qui zèbre l’écran. Abel contre Caïn, Caïn contre Abel, jours après jours.
Sur une autre chaîne, ô surprise bienfaisante : un hélicoptère survole une montagne pour y « enlever » par un câble tendu un randonneur blessé et immobilisé. La caméra nous offre au passage l’image tranquille d’un berger au milieu de son troupeau, témoin attentif serrant dans ses bras un agnelet comme un enfant ! C’est clair, le fils d’Adam n’est pas tout à fait mauvais. Certes, la « télé » nous le confirme, la haine et l’amour agitent à tour de rôle l’âme humaine. « L’hainamoration », dit le psychanalyste Jacques Lacan, dans un de ces jeux de langage subtils dont il possède le secret. La haine est la doublure du manteau de l’amour !
L’homme inachevé
Dès que les premiers philosophes de l’antiquité grecque – Thalès, Anaximène, Anaximandre, entres autres – ont quitté la nature des yeux pour observer l’Homme, ils ont perçu sa personnalité complexe, mélange alternatif d’agressivité et de douceur. Et compris que la première venait de son angoisse existentielle en effaçant très, trop souvent la seconde. L’Homo Sapiens du XXIème siècle, toujours en manque d’origine et se sachant condamné à terme, est toujours tenaillé par la trilogie questionnante initiale : Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? A laquelle Kant a ajouté la sienne : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que suis-je en droit d’espérer ? ». Autant d’interrogations qui demeurent et traversent le temps avec lui, en le culpabilisant. Parce que, étincelle d’étoile, passant de quelques secondes dans l’immensité, il s’y sent abandonné par un créateur inconnu et muet ! Résultat : Freud nous l’affirme, la peur archaïque que l’inconscient entretient – avec un sentiment d’échec en filigrane – est à même de ruiner l’« estime de soi » des esprits faibles.
L’Homme n’aime pas l’Homme, pourrait-on dire. D’où les « punitions » qu’il s’impose, les destructions vengeresses qu’il commet. Ainsi s’expliqueraient ces écoles et ces crèches dévastées, ces saccages de mairies et de commissariats, ces agressions d’élus et de fonctionnaires. Autant d’actes irréfléchis, autant de façons de nier toute autorité. Mais aussi, en retournant sa peur contre lui-même, autant de manières pour cet Homme « inachevé » de s’auto-agresser et de se nuire au final. Théories acceptables ou fantaisies hasardeuses des sciences humaines ? Nouvelles questions à poser, nouvelles réponses à donner !
Ce tableau pessimiste pourrait nous faire désespérer d’un genre humain si versatile et donc de nous-même, spectateurs si impuissants, devant notre écran de télévision. Jusqu’à accuser notre voyeurisme involontaire ! Ces images sont l’écume d’une bouillante colère adolescente, légitime selon les uns, inévitable selon les autres, inadmissible selon d’autres encore. Ya ka, faut qu’on, on aurait dû, on devrait… Chaque praticien de la psyché a son avis devant cet épouvantable vandalisme. Qui se résume finalement, à une défaite de la pensée.
La valeur-travail
Certes, il convient ici de ne pas généraliser. A côté de cette partie d’une jeunesse cruelle, ivre de rancœurs, minorité manifestement perdue ,à rattraper par tous les moyens éducatifs possibles, une autre existe, la plus importante, qui construit sans bruit son avenir. La « valeur-travail » n’a pas sombré malgré la Covid, malgré l’informatique. Des milliers de gens laborieux y croient, à domicile et à distance. Horrifiés par cette éruption de violence, mais courageux, ils continuent de répondre « présent ! » chaque jour. Tandis que les employeurs innovants s’ingénient à proposer des postes attractifs, précisément à des candidats en recherche de sens et d’épanouissement personnel.
Quant à nous, frères et sœurs, citoyens-maçons, citoyennes maçonnes, nous sommes aussi, des êtres de volontés, de désirs, de soifs. Pour les étancher, nous rejoignons sagement chaque quinzaine le Temple, notre oasis. Sur la route qui y conduit, nous sommes invités à notre devoir de transmission. Il y a des bancs disponibles pour accueillir de nouvelles « têtes pensantes », parrainées, marrainées, en un mot « protégées » par nos soins. A nous de jouer. Au moment même où le tumulte ambiant signifie aussi une demande de spiritualité à combler. C’est à dire d’une réflexion sur l’a-venir : « demain » fait partie des peurs, des appréhensions, qu’expriment aussi, sans aucun doute, la révolte si dommageable en cause.
Nous savons, pour le vérifier à chaque tenue, que les mythes, légendes et symboles que véhiculent nos rites, ne sont pas que des signifiants de morale. Supports de nos échanges, ils désarment, apaisent, concentrent, régulent, disciplinent le corps, réjouissent le cœur et nourrissent l’âme. Autant de précieux « outils mentaux » qui, en ce temps de restrictions affectives, répondent à leur façon aux besoins de cet animal social particulier qu’est l’être humain, avec ses qualités et ses défauts. Autant d’ilots de lumière qui éclairent, mieux qui illuminent et réchauffent notre temple intérieur !
« A la nuit la plus noire succède toujours une aube radieuse » (Proverbe oriental)