jeu 02 mai 2024 - 19:05

Sans son bâton de marche, on se sent infirme

(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent les 1er et 15 de chaque mois.)

Je me demande, parfois, si mon idéal est bien différent de celui de ma mère, par exemple, qui ne fut jamais maçonne, malgré les propositions qui lui en avaient été faites, et – même – si les valeurs sur lesquelles je me suis quotidiennement efforcé de régler ma conduite s’écartent un tant soit peu des « principes » (elle tenait beaucoup à ce mot) qui ont constamment inspiré son comportement.

Quoique d’une opinion politique différente de la sienne, j’ai toujours nourri pour la République un immense attachement et les notions de Justice et d’équité ont été tout aussi ancrées en moi qu’elles se sont incarnées en elle. Nous distinguaient également son sens du Service public dans lequel elle s’était engagée et ma foi en la liberté d’entreprendre qui m’a souvent rendu sceptique face aux errements voire aux errances de l’Administration. Ne commençant pas devant vous une psychanalyse, j’arrêterai ici cette évocation… Je souhaitais seulement relever, pour l’avoir constaté de près depuis l’enfance puis à de multiples reprises chez de nombreuses personnes, que la franc-maçonnerie ne détient aucune supériorité dans la défense et l’illustration des vertus dont elle se donne pour ambition d’élever la pratique, chez ses adeptes. Qui pis est, il arrive que les vanités, les indélicatesses et les lâchetés de certains de ses membres rendent des points à l’État, quand la superbe de celui-ci n’a d’égal que son insuffisance.

Mes proches connaissant mes opinions m’ont souvent demandé, non point pourquoi je suis demeuré franc-maçon, quasiment quatre décennies durant (il y a beau temps qu’ils savent que j’y trouve « le meilleur rendement humain à l’hectare »), mais en quoi je pouvais bien en avoir besoin. Au-delà d’un petit péché de gourmandise que je confesse volontiers, ma réponse est modeste : pour me sentir moins idiot face aux questions existentielles, pour progresser grâce au frottement respectueux des différences, pour affronter avec courage, à ma petite échelle, les vicissitudes de la vie voire plus largement celles du monde.  J’ajouterai encore que l’initiation m’a permis de tisser des fils sous-jacents de compréhension auxquels je n’aurais sans doute prêté ni la même attention ni la même importance, au gré des êtres et des circonstances. Enfin, j’y ai acquis une ouverture et une discipline spirituelles, en toute indépendance, espérant avoir pu manifester, dans des situations délicates, une intuition bienvenue, c’est-à-dire, selon la fulgurante expression d’Henry Bernstein, cet « excès de vitesse de l’intelligence », entendue ici comme la double affaire de la raison et du cœur.

Finalement, pour aller un peu plus haut, un peu plus loin et, l’entraînement aidant, un peu plus vite aussi, la maçonnerie nous aide à intégrer une certaine lenteur. C’est un de ses paradoxes : sans son bâton de marche, on se sent infirme.

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Christian Roblin
Christian Roblin
Christian Roblin est le directeur d'édition de 450.fm. Il a exercé, pendant trente ans, des fonctions de direction générale dans le secteur culturel (édition, presse, galerie d’art). Après avoir bénévolement dirigé la rédaction du Journal de la Grande Loge de France pendant, au total, une quinzaine d'années, il est aujourd'hui président du Collège maçonnique, association culturelle regroupant les Académies maçonniques et l’Université maçonnique. Son activité au sein de 450.fm est strictement personnelle et indépendante de ses autres engagements.

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