L’initiation maçonnique apparaît comme un casse-tête chinois !
De nombreuses pièces dans un désordre apparent qu’il faut savoir ajuster à la bonne place pour trouver la forme la plus belle que l’on peut créer en utilisant la totalité !
On arrive souvent à réaliser de belles choses mais c’est en laissant plusieurs pièces sur le côté !
C’est ce qui explique toutes les approches que, depuis plus trois siècles, des penseurs francs-maçons ont imaginé.
Mais à ce jour, le « tangram » maçonnique n’a pas encore été trouvé !
Mais tout d’abord affirmer que l’initiation maçonnique est un jeu pourrait paraître réducteur ; ami lecteur/ amie lectrice, j’imagine votre réaction !
« Nous francs-maçons, ne sommes-nous pas des gens sérieux qui parlons sérieusement de choses sérieuses ?
La vie, la mort, la renaissance çà c’est sérieux !
La révolution, la laïcité, voilà ce dont on doit parler !
Mais considérer l’initiation maçonnique comme un Jeu, quelle outrecuidance ! Ce n’est pas sérieux ! »
Tout d’abord, il faut reconnaître que le mot « jeu » n’est pas facile à définir ; on le dit polysémique ; il est très souvent associé au mot « jouer ».
Nous pouvons retrouver beaucoup d’affinités entre la démarche maçonnique et le jeu.
Tout d’abord que cela soit dans le jeu ou en loge, nous utilisons la même pensée symbolique !
En réalité, si le jeu a plusieurs sens, l’une des définitions officielles définit le jeu comme une « activité divertissante, soumise ou non à des règles, pratiquée par les enfants de manière désintéressée et par les adultes à des fins parfois lucratives !”. (source CNRTL)
Retenons que ce qui justifie le nominatif de jeu c’est le plaisir que l’on y trouve !
Quoiqu’on dise de la franc-maçonnerie, il est clair qu’elle a un côté divertissant même si ce n’est pas toujours le cas ; on verra plus loin les conséquences que cela peut entraîner !
En dehors de l’amusement, le jeu est le plus souvent associé à l’éducation mais aussi à l’ennui et au désœuvrement !
Une approche philosophique
Si pour le plus grand nombre, le jeu est un amusement, il n’en demeure pas moins que c’est aussi un sujet de réflexion philosophique ; plusieurs philosophes et chercheurs se sont intéressés au jeu ; citons en particulier et sans être exhaustif :
- Friedrich von Schiller (1759-1805) qui en 1795 écrivit dans « Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » que « L’homme ne joue que là où, dans la pleine acceptation de ce mot, il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue ! ».
- Un peu plus tard Sigmund Freud (1856-1939) « s’est à de multiples reprises intéressé au jeu, le situant aussi bien par rapport au principe de plaisir, à l’épreuve de réalité, qu’aux avancées successives dans sa théorie des pulsions » (source : Steven Wainrib – revue française de psychanalyse)
- Et plus récemment Mathieu Triclot, philosophe français, spécialisé dans l’épistémologie et l’histoire des sciences et des techniques, qui affirme : « Aucune société, à ma connaissance, n’a fait du jeu son phénomène central. Jouer reste une activité sociale secondaire, résiduelle, logée dans les interstices. Et pourtant, le jeu est une grande manière d’être et de devenir humain, une conduite anthropologique fondamentale. »
- Et aussi Colas Duflo, professeur de littérature française et d’histoire des idées du XVIIIe siècle à l’Université Paris Nanterre, auteur d’un ouvrage intitulé « Le Jeu. De Pascal à Schiller » ; il définit le jeu comme une « invention d’une liberté dans et par une légalité ».
Philosophiquement parlant, le jeu peut être abordé sous six angles :
- L’Esthétique : Le jeu vu comme une forme d’expression artistique ou comme un moyen d’explorer des thèmes et des idées complexes.
- L’Éthique : Les jeux, en particulier les jeux vidéos, soulèvent des dilemmes moraux et éthiques.
- La Phénoménologie : réflexions sur l’expérience du jeu.
- La Philosophie de l’esprit : en rapport avec la conscience, l’identité personnelle et la réalité virtuelle.
- La Métaphysique : A propos de l’existence et de la nature du jeu lui-même.
- La Philosophie sociale et politique : Les jeux comme le reflet de la société.
Il est classique de dire qu’une des caractéristiques du jeu est son caractère autotélique, c’est-à-dire qui est improductif ou non lié à une activité de travail mais certains auteurs et en particulier Arwid Lund, enseignant-chercheur au département de philosophie de l’université de Lund (Suède) conteste ce point de vue. La franc-maçonnerie est également autotélique.
Une évidence !
De ce qui précède on peut en déduire un syllogisme :
- En proposition majeure : Le jeu est une activité qui suscite un plaisir et c’est une belle manière d’être humain ;
- En proposition mineure : La pratique maçonnique est une activité qui procure du plaisir et qui travaille à l’amélioration de l’homme et de la société,
- Et en conclusion : La pratique maçonnique est bien un jeu !
Si la franc-maçonnerie est un jeu, il doit exister une finalité qui explique le but du jeu et la manière de gagner !
Mais avant d’en arriver là, examinons la place du jeu dans la vie profane !
Au stade de l’enfance, c’est évident, tout est propice au jeu ! Chez l’enfant, il a été démontré que le jeu est le mode privilégié d’acquisition des connaissances et aussi de la socialisation.
Pour les adultes, dans le monde profane, on pourrait définir quatre formes de jeu :
- Le jeu institutionnalisé : il s’exerce soit seul soit à plusieurs ; cette forme de jeu correspond à tous les jeux ayant un support dédié ; à notre époque les jeux vidéos occupent la première place dans cette catégorie ;
- Le jeu inconscient : il nous concerne tous : cette forme de jeu regroupe en fait plusieurs modalités ; l’exemple typique est la course de voiture lorsqu’un autre véhicule réussit à vous doubler ;
- Le jeu provocateur : c’est la capacité d’attirer l’autre dans une joute verbale ou comportementale ; cela peut prendre la forme de l’humour ou le style dialectique ou d’autres manières encore.
- Le jeu de la représentation : il est très courant et sous-entend le jeu de l’acteur à la recherche de la performance ! C’est le jeu de la séduction mais aussi celui de la dissimulation.
On retrouve dans l’œuvre de Shakespeare l’opinion que le jeu est beaucoup plus important qu’on ne le dit : dans « Comme il vous plaira » il écrit “Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles…” )
Il y a une multitude de jeux avec des règles très différentes d’un jeu à l’autre mais, à la réflexion, dans le monde profane, ne peut-on pas prendre conscience que tous ces jeux se ressemblent dans leur finalité ?
En vérité, tous ces jeux c’est uniquement pour le “Je” !
Cette finalité, dans tous les cas de figure, ne serait-elle pas en rapport avec ce que l’on y gagne ?
Il me semble, et c’est là que le souvenir de la planche sur Raymond Devos me revient en mémoire, que dans un jeu on y gagne ce que l’on pourrait appeler le « Je » J.E ! Ce « Je », J-E, qui prend différents visages en fonction des « jeux » J-E-U-X !
La fonction du jeu est d’abord de nous projeter dans une sorte de combat contre un adversaire et lorsque nous gagnons, nous éprouvons ce plaisir que les joueurs connaissent bien ! Le sentiment d’être le plus fort !
Être plus fort, c’est le leitmotiv de la culture judéo-chrétienne avec ce besoin constant de valoriser le « Moi » ! C’est le modèle christique du héros qui sauve l’humanité ! Chaque être humain est éduqué dans cet objectif : Réussir !
Sans réussite, nous n’existons pas ! La réussite, c’est l’argent, les atours, les diplômes et que sais-je encore ! Sur le plan mystique, réussir c’est tenter d’approcher la déité !
L’enfant comprend très vite que le jeu permet de s’affirmer comme un chef, un leader !
Si le jeu individuel est motivé par la conquête d’un « Je » J-E, il existe aussi des jeux qui eux sont à la recherche de la victoire d’un « Nous » profane : les sports collectifs, les jeux électoraux, les jeux des Nations entre autres ! C’est aussi le « Nous » du nationalisme, le « Nous » communautaire que l’on retrouve dans le prosélytisme religieux !
Les parents, les copains, les profs, le monde de l’entreprise, confortent la règle : il faut gagner !
Dans ces jeux collectifs tout se passe comme si nous transférions une partie de nous-même à des représentants qui participent à l’action ; leur victoire sera la nôtre !
Nous avons vu le jeu qui conduit à la victoire du « Je » J-E, celui qui mène à la victoire du « Nous » profane et me direz-vous quel rapport avec la franc-maçonnerie ?
Si dans le monde profane, le jeu trouve sa raison d’être dans une valorisation du J-E ou du NOUS communautaire, en franc-maçonnerie, avec cette initiation que j’assimile à un casse-tête chinois, tout se passe comme si la règle du jeu avait été détournée par des joueurs qui, lassés de toujours perdre, en avaient inventé d’autres pour avoir l’illusion de gagner !
L’initiation maçonnique comme un jeu profane
A la vérité, qu’observons nous ?
Au départ, il n’y avait que deux degrés et puis on en a rajouté un troisième puis un quatrième et puis encore plus !
Comme si, le jeu consistait à gagner ces degrés ou grades avec tous les colifichets et salamalecs qui vont avec ?
Au début de la franc-maçonnerie, il n’y avait pas de chef, le maître était un guide avec un savoir, aujourd’hui on a inventé des conseillers de l’ordre et des grandes maîtresses et aussi des grands maîtres qui ont compris que le jeu c’était d’avoir le canari !
Résultat final, à chacun son obédience, à chacun son rite !
Non, le ridicule n’est pas une maladie mortelle !
Soyons sérieux et revenons au jeu initiatique avec ce casse-tête maçonnique à retrouver !
Devant la difficulté, de nombreuses loges pratiquent l’initiation maçonnique comme un jeu profane : on retrouve la valorisation du JE ou du « Nous » communautaire fondé sur la loge en tant que communauté. Pour elles, la démarche maçonnique a pour but de fabriquer des surhommes ou des surfemmes ou parfois des surfemmes déguisées en surhommes, possédant toutes les qualités ; on leur offre à gagner des superlatifs « transcendants », des jeux de rôles où on peut être « chevaliers » (mais surtout pas chevalières), et beaucoup de médailles !
En réalité, cette démarche rentre dans le schéma profane de valorisation du « JE ».
L’initiation maçonnique comme un “Nous” initiatique !
Toutes les analyses du vécu maçonnique concordent pour reconnaître que la démarche maçonnique est géniale dans sa conception mais qu’elle est, dans la réalité, imparfaite !
A mon humble avis, on ne peut qu’en conclure que l’initiation maçonnique reste encore aujourd’hui une énigme !
Comparer l’initiation maçonnique à un casse-tête chinois permet de bien comprendre notre problématique :
- Toutes les pièces sont là ; ce sont tous les éléments de la vie sur notre planète ; depuis le 118ème siècle, de nombreuses pièces se sont rajoutées et d’autres viendront encore ; à la mythologie et aux légendes, on a maintenant des connaissances scientifiques de plus en plus pointues !
- Le dilemme essentiel de l’existence humaine reste le même que celui qu’ont cherché les inventeurs de la franc-maçonnerie : la guerre civile, le besoin de spiritualité, la recherche de la perfection, la quête de l’amour universel !
- En synthétisant, l’initiation maçonnique ne vise-t-elle pas fondamentalement à créer ce « Nous initiatique » qui serait ce « Tangram » maçonnique, objet de notre recherche ?
Ce Nous initiatique, nous le gagnerons que si nous sommes capables collectivement au niveau d’une loge de surmonter les vents et les marées du monde profane !
Ce « Nous initiatique » c’est l’affirmation que la raison d’être d’une loge réside dans un jeu collectif qui nous incite à gagner la partie en vainquant nos passions, en vivant une réelle fraternité et en progressant sur le chemin de la sagesse.
Si la loge a un sens, c’est bien parce qu’elle nous projette dans ce « Nous initiatique » et nous oblige à nous intéresser aux autres membres de la loge !
En complément de la démarche symbolique et de la réflexion personnelle, le « Nous initiatique» deviendrait en quelque sorte notre finalité !
Aujourd’hui, la plupart des loges semblent paralysées devant l’obligation de concevoir et d’animer une dimension collective qui ait une certaine consistance.
Comme, le plus souvent, elles ne s’en préoccupent pas, la loge fonctionne au jour le jour, de tenue en tenue, sans véritable boussole ; les obligations conventionnelles à remplir tiennent lieu d’ordres du jour !
Si on admet que cette recherche d’un « Nous initiatique » peut être une motivation supérieure, la question se pose de savoir quelles règles permettraient de se réapproprier l’initiation maçonnique prélude à la découverte de ce « Nous » initiatique ?
Une réponse individuelle n’a aucun sens !
Ce n’est que collectivement, en réfléchissant sur ce sujet, que nous pourrions, peut-être, favoriser une conscientisation de notre vécu afin de préciser les règles qui seraient en cohérence avec ce « nous » collectif initiatique.
Cela supposerait des échanges afin d’élaborer tous ensemble un contenu qui soit le plus consensuel possible !
Définir la franc-maçonnerie comme un jeu symbolique a aussi un autre intérêt ; c’est celui de comprendre les crises que peut vivre une loge !
Si on définit le jeu comme une activité divertissante, lorsque la participation aux travaux maçonniques devient pesante et fastidieuse, l’expression profane « le jeu n’en vaut plus la chandelle ! » prend tout son sens symbolique si on se rappelle le symbolisme de la chandelle en loge ! On peut alors comprendre que l’absentéisme prenne le pas sur l’assiduité et que des démissions s’en suivent !
Trouver du plaisir à se retrouver n’est-il pas le premier critère d’un fonctionnement satisfaisant d’une loge maçonnique ? D’autant plus, si cela s’accompagne de cet objectif de satisfaire notre « Nous » initiatique !
Dans ce jeu, où le moi serait émoi, la triche n’aurait pas de sens, car le miroir veillerait !
Conscients de nos faiblesses, confortés par cette règle collective qui nous animerait, patients et persévérants, nous pourrions avec cette approche, progresser vers le but tant recherché : l’Amour universel !