Le cerveau, ce mystérieux continent
Parmi les « parts d’ombre » qui demandent à être éclaircies dans le cerveau humain (où il y a encore tellement à découvrir, de l’avis même des spécialistes !) se situe le vaste domaine du « croire ». Pour tenter d’en savoir un peu plus sur cette « disposition », il est judicieux de se reporter au postulat de Freud, à savoir l’existence dans ce cerveau de trois instances, par lui nommées le ÇA (réservoir de l’énergie psychique) le MOI (lieu de la conscience) et le SURMOI (espace de censure). Elles sont constituantes de notre appareil mental. Cette hypothèse demeure toujours pertinente, puisqu’aucune autre à ce jour n’est venue démentir le « père de la psychanalyse ».
Après l’élaboration de plusieurs modèles, Freud a définitivement retenu un Moi « poreux » en deux parties : le Moi préconscient (donc en partie inconscient) et le Moi conscient (entité vigile, nommée aussi le Moi-corps). Parmi de multiples fonctions, le MOI est à la fois le siège, pour le préconscient, de nos identifications imaginaires et symboliques, et pour le conscient, de la raison et du « bon sens », de notre perception d’être et de la réflexion (autrement dit la vie de l’esprit, l’une des définitions de la spiritualité).
Le MOI est ainsi une instance mouvante, en perpétuelle réélaboration, pris en tenaille entre le ÇA (noyau de notre être, siège « hors du temps » de l’inconscient, c’est à dire des instincts reptiliens, pulsions, passions, intuitions, plaisirs, etc.) et le SURMOI (siège du « juge interne », de la morale, de la culture – donc des croyances- de la civilité, des interdits, de la tradition) en soi « la voix de la conscience ». De la « grosse voix », résume Freud.
Autrement dit, le Moi, cet « évaluateur permanent » tente de gérer au cas par cas, au jour le jour, le rapport entre « le principe de plaisir » (cet instinct de satisfaction, propre au ÇA, qui cherche toujours à dominer en nous) et « le principe de réalité », que les circonstances du vécu, ici et maintenant, nous impose. Pour faire image, le MOI a ainsi pour mission d’élargir sans cesse la conscience du sujet, avec la machette de la raison, sur son chemin de vie, en écartant les ronces du ÇA d’un côté et les buissons du Surmoi de l’autre. Car dans la jungle de la société des hommes, le chemin n’existe pas (même si nos voies sont maçonniquement tracées !), chacun de nous le crée en marchant devant lui !
La puissance de l’imaginaire
Puisque le premier homme n’est pas né d’un autre être humain, mais du processus de la vie, notre imaginaire – en mal d’origine – a voulu combler ce manque. Il a précisément supposé des « forces supérieures », à partir de ces impressionnants (voire terrorisants) phénomènes naturels que sont les quatre éléments en mouvement continu (air, eau, feu, terre). En quelque sorte, pour les conjurer, il a ainsi créé au fil du temps, la magie, les mythes, les légendes, les allégories puis les religions et leurs paraboles (si l’on peut dire, tout respect gardé, « avatars » de la magie primordiale, premier système de pensée de l’hominidé). A noter que les mythes sont à « fin ouverte », pour pouvoir être prolongés et « complémentés » indéfiniment (comme la légende d’Hiram, qui au vrai, avec la suite qui lui a été donnée par les degrés des rites maçonniques, est donc un mythe !) contrairement au roman, qui lui, est clôturé par le mot FIN.
Partant, depuis « la mise en place de la pensée et de l’imaginaire », s’est enracinée dans notre cerveau, une disposition aux croyances. Le domaine du croire précité se décline en « tenir pour vrai », auto-persuasion, autosuggestion (cf. méthode Coué, si moquée en France !), convictions, opinions, etc., autant de mots pour désigner les mécanismes qui ont « confectionné » la certitude individuelle. Celle-ci établie – par adhésion personnelle, religieuse ou philosophique – peut s’exercer sans la preuve par le fait : les notions de Dieu, de divin, de divinités, d’Etre suprême, de principe créateur, de Grand Architecte de l’Univers, ces créations humaines poétiques, en sont le meilleur exemple. Les « forces de l’esprit » peuvent même, à l’extrême, conduire le sujet, au gré de rites lancinants et répétitifs, à des « états modifiés de conscience », tels l’extase et la transe. Il s’agit de fait ici, d’une forme d’autohypnose, provoquée notamment par l’irruption dans le sang de diverses hormones, dont nos propres « opiacés » circulants (entre autres, inducteurs d’euphorie à fonction antalgique).
Nous le savons, les théories freudiennes (valorisées par Lacan) doivent beaucoup aux légendes de la Grèce antique et à ses philosophes. Lesquels nourrissent toujours notre franc-maçonnerie. Ces derniers, pour leur part, avaient postulé avec lyrisme, que nous sommes habités par trois fées turbulentes qui se disputent en nous, mais inséparables : raison, intuition, imagination. Elles sont toujours d’actualité et nous pourrions d’ailleurs les masculiniser en trois lutins modernes, avec pour nom : le Logicien (rigoureux), l’Expert (averti) et le Poète (rêveur).
Constat : nous ne pourrions pas vivre sans notre imaginaire (siège de l’imagination, du rêve, de la création, de l’invention, de l’innovation, de l’enthousiasme). Et cet imaginaire n’est autre que l’irrationnel (à comprendre non comme le contraire de la raison mais n’en relevant pas : les mythes, les légendes et les religions relèvent évidemment de l’irrationnel !).
Certes l’irrationnel a son mauvais versant, et sa mauvaise réputation (superstition, passion excessive, violence, folies meurtrières dont les guerres, etc), mais il est incontestable que ce même irrationnel a également la faculté « d’amplifier l’esprit » (l’esprit souffle où il veut !). Sans l’irrationnel, la raison s’assècherait : aucune grande réalisation (scientifique ou autre) ne peut faire l’économie de l’imagination et de l’intuition. Sans l’imaginaire, la franc-maçonnerie, campée sur son socle mythique, n’existerait pas ! Einstein le confirme : « l’imagination est plus importante que la raison ! ».
La peur et la perte
Il n’est pas étonnant que de ce milieu psychique en « interactions » permanente, émerge en nous des doutes, des hésitations, des craintes. Alors même que nous devons gérer au quotidien notre peur existentielle, elle-même constitutive de notre Moi. Nous apprenons cette peur dès notre irruption au monde, avec l’intériorisation d’un dispositif de défense propre au vivant : l’instinct de conservation. Puis, en grandissant et adultes devenus, nous avons constamment peur, de la crainte de traverser la rue à celle de tomber malade, donc de souffrir, de mourir. Puis encore, nous avons peur de perdre nos proches, conjoint, enfants, parents, amis. Nous sommes aussi taraudés par les peurs « modernes » qui vont de la perte d’emploi au manque d’argent, de la privation de nourriture à la disparition du confort matériel. Et partant, nous craignions de ne plus exister aux yeux des autres, car indépendants par nature, nous sommes dépendants par nécessité ! En vérité, l’être humain n’est pas conditionné à « la perte », comme la plupart des animaux. Nous le constatons aussi en loge, lorsqu’un de nos frères nous quitte.
Dès lors, exposés comme tout un chacun aux aléas de l’existence, comment prétendre à quelque certitude, à une « vérité vraie » ?! Même les modèles mathématiques les plus sophistiqués sont tous contestables et remplaçables par d’autres. Il vaudrait donc mieux parler de réduire la part d’incertitude (théorie du modèle et de l’écart). Ainsi pour nous francs-maçons, qui nous inter-enseignons le doute, il convient de nous méfier et même de nous éloigner de toute « attitude de surplomb ». Qui consisterait (au fil de nos degrés encore trop souvent confondus avec des grades !) à nous donner hiérarchiquement en loge des leçons assorties de bons ou mauvais points, et en ville revenus, à vouloir y jouer à toute force l’exemplarité ! A une époque où est mieux accueilli le « passeur de désirs » que de formats ou modèles.
Pour faire image encore, je pense en matière de surplomb précisément, que « notre vérité », ne réside pas dans l’aplomb du fil mais dans ses oscillations « métaphoriques » : c’est à dire, dans le « tic-tac » du balancier de la vie même et donc dans notre comportement entre la frustration et la satisfaction, la maladie et la guérison, l’orgueil et l’humilité, de la colère à l’apaisement, de la haine à l’amour ! Tout comme notre lutte quotidienne pour devenir meilleurs est dans l’angle entre les deux branches mobiles du compas. Comme le chemin entre notre besoin éperdu d’être aimé et d’autres êtres à aimer que soi est dans l’espace séparant les deux branches de l’équerre. Ou encore, quand il est question de la recherche de l’âme sœur , le parcours menant de la solitude à la rencontre est dans la distance entre le maillet et le ciseau ! Pour créer l’œuvre ensemble. Bref, nos tentatives d’accès à la certitude sont dans le mouvement productif, non dans le « regardez-moi », la domination, l’attente ou l’immobilisme !
C’est en sortant du paraître, que l’on finit par être !
Ainsi, il s’agit, selon la règle psychologique des 3P, empruntée à l’Analyse Transactionnelle (Puissance, Protection, Permission) de se donner les moyens de penser et d’agir, de prendre soin de soi et de s’autoriser à être et à faire. Ainsi, il n’y a pas meilleure autorité pour contrôler, que soi-même ! Au nom de l’estime de soi et des autres. Alors et seulement l’appréhension et l’angoisse font place à la confiance en soi, la culpabilité s’efface devant la responsabilité, et le sens de la vie devient enfin le sens de ma vie !
Parce que la seule véritable certitude que nous ayons est celle de notre finitude. Donc un encouragement, un engagement, à vivre le mieux possible notre éternité sur terre.
La mort des autres, bien entendu, nous renvoie sans cesse à la nôtre. Faut-il la craindre ? Rappelons-nous, en guise d’apaisement, la belle et noble formule d’Epicure : « La mort ne nous concerne ni morts ni vifs. Vifs, parce que nous sommes, morts, parce que nous ne sommes plus! ».
Réel, Symbolique et Imaginaire (RSI) sont les trois registres de l’expérience analytique distingués par Jacques Lacan http://staferla.free.fr/S22/S22%20R.S.I..pdf.