ven 26 avril 2024 - 05:04

Hiram ou la défaillance du père : une leçon incomprise ?

Il est banal de dire que le personnage d’Hiram dans la dramaturgie de la pensée maçonnique est fondamental. Et pourtant, ce personnage apparaît de façon impromptue. On ne l’attendait pas et voilà qu’il prend toute sa place pour imprégner ce 3ème grade qui n’était pas initialement prévu.

Hiram est notre Maître et pourtant la légende le fait disparaître dramatiquement, assassiné par trois des nôtres !

Tout se passe comme si, nous, ses disciples, nous nous retrouvions sans Maître ! Les substituts du Maître, par la parole substituée, peuvent donner le change ; ils ne remplaceront jamais tout à fait ce maître qui contrairement à celui que certains nomment comme son modèle, ne sera pas ressuscité !

En psychologie, cette défaillance du Père se comprend comme une incapacité, une faiblesse, quelque chose qui fait défaut  !

La maturation de l’enfant (garçon ou fille) passe par la reconnaissance du père en tant que tel. Cette reconnaissance est nécessaire à la résolution du complexe d’Œdipe.

Lorsque du fait de cette défaillance du père, la mère tente d’assumer les deux rôles , paternel et maternel, cela ajoute une complexité supplémentaire pour l’enfant.

Parmi les effets de cette défaillance paternelle, on peut citer :

  • Le refuge de l’enfant dans un monde de rêve,
  • Une difficulté à vivre sa masculinité,
  • L’idéalisation du père absent,
  • Une carence de la notion d’autorité qui peut induire une personnalité inconsistante, une fausse socialité de surface, une capacité de réflexion perturbée.

D’un point de vue sociologique on retrouve la problématique de la défaillance de l’autorité !

« L’autorité est généralement considérée par les sociologues1 comme un pouvoir légitime : un pouvoir qui n’a donc besoin que d’un minimum de coercition pour se faire respecter et obéir. « On parle de l’autorité d’une personne, d’une institution, d’un message », écrivent Boudon et Bourricaud, « pour signifier qu’on leur fait confiance, qu’on accueille leur avis, leur suggestion ou leur injonction, avec respect, faveur, ou du moins sans hostilité ni résistance, et qu’on est disposé à y déférer » (1982, p. 24). L’autorité ne peut donc être considérée purement et simplement comme un attribut du pouvoir car il s’agit d’un concept relationnel. » (Source : Pouvoir, autorité, légitimité par Jacques Coenen-Huther – Revue européenne des sciences sociales)

Jacques Arènes dans un article publié dans la revue « Raison publique » affirme :

« Tous s’accordent … sur le même diagnostic : un certain type d’autorité, en rapport avec un fondement sacré, fût-il laïc et républicain, termine de se déliter. L’autorité de la tradition, du religieux et de la loi, ainsi que celle conférée par l’âge ou l’expérience, s’effacent. » 

Chacun connaît les conséquences de cette défaillance de l’autorité sociétale avec en particulier le développement des actes de violence urbaine, les zones hors la loi, l’importance de l’économie souterraine.

Dans la gouvernance maçonnique aussi on retrouve la défaillance de l’autorité !

L’état de la franc-maçonnerie avec l’inconsistance des autorités obédientielles, les querelles inter-obédientielles, la difficulté pour les loges de gérer les conflits inter-personnels et la tendance à vouloir magnifier outrageusement certains personnages ou certains faits de l’histoire maçonnique ne peuvent-ils pas se comprendre comme la conséquence de ce paradoxe symbolique qu’est la mise en exergue d’une modélisation de l’absence ?

A ce titre, l’actualité nous offre un exemple particulièrement caractéristique : la commémoration maçonnique du soi-disant engagement maçonnique pendant la Commune de Paris !

Ce fut en 1971 que le Grand Maître d’alors du GODF, Jacques Mitterrand (1908-1991) eut l’idée de créer un événement médiatique en honorant par un dépôt de gerbe au mur des fédérés “l’élan révolutionnaire de la Commune de Paris“. Cette année-là la manifestation du GODF fut relativement confidentielle.

Et puis cela sembla tomber dans l’oubli !

Jusqu’à la Grande Maîtrise de Philippe Guglielmi qui en 1998 réactiva la commémoration. Et  depuis lors, chaque année c’est devenu un rituel : dépôt de gerbes, discours et parades : au GODF, se sont associées d’autres obédiences !

Pourquoi cette manifestation :

  • La commune de Paris se trouve parée de toutes les qualités : avant-gardiste, féministe, moment clé de l’ouvrage républicain !
  • « Les » francs-maçons auraient réalisé « ce compagnonnage avec les forces républicaines de manière éclatante lors des évènements de la Commune. »
  • Au total on retrouve l’idéalisation d’un fait historique qui est allègrement récupéré sans nuance et au mépris de la réalité historique !

Car la vérité historique voit les choses autrement :

  • La violence révolutionnaire de la commune de Paris est une tragédie liée aux jusqu’au-boutistes de deux logiques va-t-en-guerre : Thiers d’un côté, le comité de salut public de l’autre !
  • Deux loges parisiennes ont pris fait et cause pour la Commune alors que le conseil de l’ordre du GODF et la plupart des loges s’étaient opposés à cette aventure !

Dans son ouvrage paru en 2015 sous le titre “Commune de Paris (Mars-Mai 1871). la Franc-Maçonnerie Déchirée », l’historien André Combes se permet d’écrire : « Les francs-maçons, mais aussi leurs détracteurs, aiment les histoires à défaut de l’Histoire. La Révolution française est généralement le terrain de jeu favori des « complotistes » de tous genres. 

La Commune de Paris participe également des contes et légendes de la franc-maçonnerie. A ce détail près que, cette fois-ci, ce sont les maçons, du moins certains d’entre eux, qui tentent de se donner le beau rôle. Ainsi, chaque année, le Grand Orient de France, mais aussi la Grande Loge de France, la Grande Loge Féminine de France, le Droit Humain envoient, le 1er mai de chaque année, des délégations, bannières en tête, au mur des Fédérés pour commémorer la mémoire des frères qui ont participé à cet événement bref dans le temps, mais qui a durablement marqué les mémoires. Une revendication posthume et tardive qui laisse dubitatifs certains.»

Tout cela n’est pas très important et on peut comprendre que les responsables obédientiels ont besoin de se mettre en valeur et de jouir de l’autosatisfaction !

Toujours est-il que ce genre de dérives a très bien été décrit comme une conséquence de la défaillance de l’autorité !

Branche d'acacia dans les mains sur tissu rouge
Branche d’acacia dans les mains sur tissu rouge

L’originalité de la franc-maçonnerie est d’avoir mis en scène cette perte de l’autorité !

La question pourrait être « Mais dans quel but ? »

Il est difficile d’être péremptoire dans cette réflexion sur l’exégèse d’une légende ; tout au plus peut-on mettre des limites :

Si l’autorité devient impuissante avec toutes les conséquences que cela peut avoir, que peut-on en déduire ?

  • Est-ce pour nous dire « Faîtes attention ! Ne tombez pas dans le piège qui vous est tendu ! » ? Par cette déduction, il s’agirait de ne pas s’imaginer que nous puissions être un substitut de cette autorité défaillante !
  • Si l’autorité a été mise à mal au point d’être assassinée, n’est-ce pas pour nous enseigner que nous devons la respecter et que ce jeu d’une contestation sans fin de l’autorité est un jeu suicidaire !
  • Cette légende mortuaire ne nous invite-t-elle pas à créer les conditions d’une ré-émergence de l’autorité morale ?

L’originalité de la franc-maçonnerie c’est d’avoir une légende fondatrice qui met en scène un  « looser » ; Hiram, le grand architecte célébré par la Bible, l’homme d’excellence se retrouve incapable d’échapper au meurtre réalisé par trois tocards à la recherche d’un « secret » !

Et aujourd’hui, ces trois tocards semblent avoir fait des milliers d’adeptes qui recherchent à se faire mousser, à se faire des sous et qui règnent en maîtres déchus qu’ils sont !

La prétention, les divisions, l’autosatisfaction continuent à faire leurs ravages !

Manifestement, on ne peut pas dire que cette leçon d’humilité ait été comprise !  

Et pourtant il est bien dit qu’il faut rassembler ce qui est épars et que la loge doit être le centre de l’union !

Cette approche montre s’il en était besoin qu’il faut se méfier des raccourcis et des lieux communs !

Pour aller plus loin

2 Commentaires

  1. “Hiram, le grand architecte célébré par la Bible,”
    et même ceci est une invention. La Bible ne connaît qu’un Hiram fondeur, responsable de la mer d’airain et des colonnes. L’architecte du temple est inconnu, non cité, voire il n’y en pas eu, le “magnifique” temple étant somme toute assez simple : cube de 10 m sur 10 m, pas de quoi s’ébaubir. La Kaaba est plus grande.
    Pour les historiens indépendants de toute obédience religieuse, le premier temple ne fut pas sur le mont Morya, emplacement du second, assez simple aussi mais embelli par Hérode, mais dans la vallée du Cédron.
    Par contre la légende, ou le mythe, d’Hiram, a été recueilli par Gérard de de Nerval auprès des mythes secrets des… fondeurs du Caire, répendu ensuite dans tout le Moyen Orient. Et revoila le fondeur devenu architecte.

    • Je te remercie MTCF René pour ton commentaire ; effectivement il aurait fallu une virgule pour ne pas associer architecte à bible ! Je te prie d’excuser cet oubli ! Merci pour les intéressantes précisions que tu joins à cette remarque ! fraternité !

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Alain Bréant
Alain Bréant
Médecin généraliste, orientation homéopathie acupuncture initié en 1979 dans la loge "La Voie Initiatique Universelle", à l'orient d'Orléans, du GODF Actuellement membre de la RL "Blaise Diagne" à l'orient de Dakar - GODF Auteur sous le pseudonyme de Matéo Simoita de : - "L'idéal maçonnique revisité - 1717- 2017" - Editions de l'oiseau - 2017 - "La loge maçonnique" - avec la participation de YaKaYaKa, dessinateur - Editions Hermésia - 2018 - "Emotions maçonniques " - Poèmes maçonniques à l'aune du Yi King - Editions Edilivre - 2021

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