dim 13 octobre 2024 - 09:10

Lieu symbolique : Statue de Maria Deraismes, franc-maçonne

À quelques jours du mercredi 8 mars, Journée internationale des droits des femmes 2023, nous souhaitons vous faire découvrir un lieu où, ce jour-là,

Blason DH

la Fédération française du DROIT HUMAIN (DH), fondée en 1901,  première et la plus ancienne fédération de l’Ordre maçonnique mixte international LE DROIT HUMAIN, rendra un vibrant hommage.

Les francs-maçons rendent hommage à la figure et à l’œuvre humaniste de la féministe Maria Deraismes.

Comme chaque année, LE DROIT HUMAIN honore la figure et les combats humanistes de Maria Deraismes (1828-1894), devant sa statue du square des Épinettes à Paris.

Revenons sur le parcours profane et maçonnique d’un être d’exception. Maria Deraismes, la première femme initiée, fondatrice du DROIT HUMAIN.

Comme bien des femmes d’avant-garde de sa génération elle s’est émancipée, elle s’est battue. Elle a touché à la littérature, à la peinture, elle a été journaliste et conférencière. Elle a écrit, et bien. Mais elle a fait plus : en étant la première femme initiée, elle a violé l’interdit posé aux origines de la maçonnerie par le pasteur Anderson en ouvrant, à jamais, la franc-maçonnerie aux femmes.

Statue originelle. Sa main droite s’appuyait sur une chaise, mais cette dernière n’a pas été replacé pour des raisons techniques.
 

Rejetée par les obédiences masculines, malgré une initiation en règle, elle est allée plus loin, en créant l’Ordre Maçonnique Mixte et International, le Droit Humain. En cela, Maria Deraismes est une grande figure de l’histoire du féminisme, une fondatrice, une de ces femmes qui « ont réveillé la France » et changé à tout jamais la franc-maçonnerie.

Plaque commémorative au 72 rue Cardinet, dans 17e arr. de Paris où elle résidait

Née dans une famille bourgeoise et fortunée, Maria acquiert une solide culture qui lui permettra de fonder son féminisme sur l’histoire, les mythes et la littérature. Mieux que cultivée, elle est érudite et cite les Pères de l’Eglise aussi bien que les philosophes grecs ou la pensée orientale.

Sous le Second Empire, le théâtre est une autre forme d’écriture où les femmes s’essaient. Maria, comme d’autres, rédige des comédies de salon, qui peuvent faire penser, par leur marivaudage, aux Comédies et Proverbes de Musset, mais qui, déjà, laissent percevoir ses engagements féministes.

rue Maria Deraismes longeant le square des Épinettes.

A bon chat bon rat « tourne à une critique peu conventionnelle des stéréotypes de genre »(v) Retour à ma femme suggère qu’un adultère d’un seul côté (le mari) entraine une forme de sadisme et induit la question du divorce.

Histoire et mémoire – Plaque commémorative de la Ville de Paris. Au second plan, la statue.

Maria Deraismes attaque Dumas fils et Victorien Sardou qui se nourrissent, eux, de stéréotypes (la femme est un ange ou une pécheresse), alors que le féminisme impose une nouvelle vision de la femme, qui a rejeté corset et préjugés. En revanche, Antoinette, l’héroïne de A bon chat bon rat refuse une cigarette, bien que fumer soit alors un signe d’émancipation des femmes.

La « femme de lettres » éclairée va évoluer et découvrir le féminisme. Elle anime La Société pour la revendication des femmes qui se bat pour le développement de l’enseignement féminin. Plus tard, elle contribue avec le franc-maçon Léon Richer, du Grand Orient de France, au premier Congrès International du Droit des Femmes.

Depuis le XVIIIe siècle, le journalisme n’est plus réservé aux hommes. Comme George Sand, comme Delphine de Girardin, Maria collabore de façon régulière à différents journaux : Le Grand Journal — L’Epoque — Le Nain Jaune ainsi qu’à la revue Le Droit des Femmes. Elle crée même le journal La Libre Pensée de Seine et Oise.

Maria Deraismes nous tend la main comme pour nous inviter à la rejoindre…

Les idées républicaines de Maria, sa réputation d’oratrice séduisent les hommes politiques de l’époque, en particulier ceux acquis au féminisme. C’est ainsi que, dès 1866, elle est sollicitée par le Grand Orient de France, pour participer à des conférences.

Square des Epinettes

À tour de rôle, elle aborde la morale, l’histoire, la littérature, le droit de l’enfant, le rôle du clergé dans la société, la femme, etc. Certaines de ses idées sont reprises dans des propositions de loi, comme l’électorat des femmes dans les tribunaux de commerces ou les droits civils des femmes.

Maria est une anticléricale farouche. Elle adhère à La Libre Pensée où elle fonde et anime une section car, pour elle droit des femmes et anticléricalisme sont indissociables. Elle met de la verve à rappeler le sort des femmes dans les différentes religions, dont le christianisme :

-le christianisme fait peser sur la femme la plus grande part de la responsabilité dans la faute originelle […] En m’avançant dans les vieux récits, je découvre une faute, une transgression à la loi éternelle dont la femme se serait rendue coupable …

Eve, chez les Hébreux, et Pandore, chez les Grecs, perdent l’humanité par leur curiosité fatale. Chez les Celtes, les filles des Géants surviennent et corrompent les fils des hommes. La Glose chinoise prétend qu’il faut se défier des paroles de la femme, sans s’expliquer davantage.

Sépulture de Maria Deraismes au cimetière de Montmartre, 31e division.

Elle va jusqu’à déconstruire la sacro-sainte figure de Marie : Marie, désormais l’idéal de la femme dans le christianisme, est l’incarnation de la nullité, de l’effacement : elle est la négation de tout ce qui constitue l’individualité supérieure : la volonté, la liberté, le caractère.

Sépulture de Maria Deraismes, détail

En juin 1881, au congrès anticlérical et en l’absence du président Victor Schoelcher qu’elle remplace, elle triomphe devant plus de quatre mille délégués. Au cours de ce congrès, il est décidé de porter le projet de loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Son activité et son engagement sont tels qu’un comité se forme pour présenter sa candidature aux élections législatives. Femme de raison, elle décline l’offre, sachant sa candidature irrecevable.

Maria Deraismes

Le 14 janvier 1882, s’ouvre pour Maria Deraismes une période nouvelle. Les frères de la Loge “Les Libres Penseurs du Pecq” décident dans l’enthousiasme de l’initier, sachant qu’ils transgressent un interdit de taille. Mais la portée de cette initiation est autant politique que symbolique.

Plaque funéraire sur laquelle figure : “6.2.1894-1994 – FIDÉLITÉ – D.H.I 1599”

Alphonse Houbron, alors Vénérable Maître, accepte : « Mon premier soin sera de faire consacrer le mot autonomie par l’immixtion de l’élément féminin au sein de la Loge afin de combattre effectivement le cléricalisme» car « détruire chez la femme les préjugés en les combattant par la morale et la lumière maçonniques, c’est préparer pacifiquement la véritable émancipation sociale ».

La cérémonie donne lieu à une grande fête, sous les auspices moraux de Victor Hugo et de Louis Blanc, au cours de laquelle Alphonse Houbron fait tirer huit santés. Le scandale est énorme et ébranle la maçonnerie masculine. Alphonse Houbron est désavoué et la Loge est fermée.

Toutefois, la nouvelle de l’initiation de Maria Deraismes se sait même à l’étranger ; en visite en France, la féministe américaine Elisabeth Cady Stanton reçoit Maria,” the only female free-mason in France and the best orator in our country”. En 1889, Maria invite à son tour “son éminente consœur” Elisabeth Cady Stanton à assister au deuxième congrès pour le Droit des femmes.

Georges Martin, un médecin féministe, conseiller général (radical de gauche), initié dans la Loge Union et Bienfaisance au Rite Écossais Ancien et Accepté, constate que les obédiences ne pourront s’ouvrir aux femmes ; il faut donc couper avec la maçonnerie masculine. Avec Maria Deraismes, il fonde en 1893, une obédience nouvelle : la Grande Loge Symbolique Ecossaise de France, Le Droit Humain, appelée à devenir l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain

Retour sur cette fondation et cette obédience

Onze ans après, Maria Deraismes réunit chez elle, les 1er juin 1892 et 4 mars 1893, seize femmes de la bourgeoisie républicaine à qui elle va donner la « Lumière maçonnique ». Assistée de Georges Martin, elle leur confère le premier grade symbolique d’« apprenti-maçon » le 14 mars 1893 ; celui de compagnon le 24 mars et celui de maître le 1er avril. En tant que « vénérable maître fondatrice », elle fait procéder le 4 avril à l’élection des officiers et à la lecture des articles de la constitution déposée au Ministère de l’Intérieur et à la Préfecture de Police, articles qui furent adoptés par vote. La Grande Loge symbolique écossaise mixte « Le Droit humain » qui deviendra l’Ordre maçonnique mixte international LE DROIT HUMAIN. Cet Ordre, en forte progression et à la communication intelligente et dynamique, est aujourd’hui la quatrième obédience française, appartenant au groupe très fermé des institutions maçonniques reconnues et reçues par les instances gouvernementales (Présidence de la République, ministère de l’Intérieur et des Outre-mer).

Signature de Maria Deraismes sur une lettre autographe conservée à la BnF-Gallica.

Maria Deraismes ne verra pas son travail achevé et la tâche d’organisation et de développement du Droit Humain reviendront au docteur Georges Martin, car elle meurt d’emphysème le 6 février 1894, à son domicile de la rue Cardinet, dans le 17e arrondissement de Paris. Elle est inhumée trois jours plus tard dans le cimetière de Montmartre (31e division). Peu avant son décès, elle laisse le message suivant :

« Je vous laisse le Temple inachevé, poursuivez, entre ses Colonnes, le Droit de l’Humanité. »

Sépulture de Maria Deraismes, emplacement 77 sur le plan du cimetière de Montmartre.

Le square des Épinettes

C’est un grand square de Paris, créé en 1893 par Jean-Camille Formigé, réaménagé en 1980 et 1992, situé dans le quartier des Épinettes dans le 17e arr. de Paris. Il porte ce nom en référence au lieu-dit, devenu un quartier, dans lequel il se situe et qui doit son nom à l’épinette blanche, un cépage de vignes autrefois présent sur cette colline. Le square abrite deux sculptures :

– le monument à Jean Leclaire par Jules Dalou (1896). Edme Jean Leclaire (1801-1872), chef d’entreprise engagé dans le catholicisme social et maire d’Herblay de 1865 à 1869 ;

– la statue de Maria Deraismes, inaugurée en 1898. La statue est réalisée par Louis-Ernest Barrias (1841-1905), un sculpteur parisien de l’époque. L’artiste tient à être fidèle aux idéaux de la féministe, il la représente d’une façon très réaliste en soulignant son engagement et sa détermination.[NDLR : Maria Deraismes est également à l’origine de la Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits. À sa mort, en 1894, la société décide de dédier une statue à l’effigie de la féministe !]

Le sculpteur Louis-Ernest Barrias, photographié par Pierre Petit.

En 1943, ces bronzes sont déboulonnés par le régime de Vichy dans le cadre de la mobilisation des métaux non ferreux et envoyés en Allemagne. Le groupe en bronze du monument à Jean Leclaire a été refondu et ré-érigé sur son socle en 1971, mais il manque le seau que tenait l’ouvrier dans la version d’origine.

Louis-Ernest Barrias dans son atelier.

Quant à la statue de Maria Deraismes, celle-ci a été refondue en 1983 par la fonderie de Coubertin (chaudronnerie et la fonte d’art) et ré-érigée dans le square.

Selon d’autres avis, la statue est ré-érigée le 22 septembre 2000, au même endroit grâce à l’action de l’Association laïque des Amis de Maria Deraismes…

Maria Deraismes, un portrait de femme qui a marqué Paris, sur RetroNews BnF « Maria Deraismes, la première franc-maçonne »

Pour aller plus loin :

Génèse et fondation de l’ordre maçonnique mixte international-Le droit humain: 1866-1916 (DETRAD, 2016) de Dominique Segalen, prix littéraire IMF 2016, catégorie Histoire

– Soyez parfaites, mes Sœurs ! Les pionnières du DROIT HUMAIN (Numérilivre, 2020) de Dominique Segalen et Annick Drogou.

Acte de décès de Maria Deraismes, avec référence archivistique.

Pour information, lors des Journées Européennes du Patrimoine en 2010, la direction des services d’Archives de Paris a distribué gratuitement une plaquette réalisée sous la direction du

Chargé d’études documentaire de la Ville de Paris M. Francis Delon – par ailleurs Grand Archiviste de la Grande Loge Nationale Française (GLNF) – et intitulée Grands Hommes – Quand femmes et hommes construisent l’avenir. Il consacre une page à la biographie de Maria Deraismes*.

Concernant LE DROIT HUMAIN, nous vous invitons, si tel est votre désir, à (re)lire notre article “130 ans de « voyages initiatiques en mixités » au DROIT HUMAIN” du 6 février dernier.

Sources : Wikipédia, Wikimedia Commons, Fédération française du DROIT HUMAIN https://www.droithumain-france.org/, Photos © Yonnel ghernaouti, YG – rue Cardinet, statue et cimetière de Montmartre

L’acacia, symbole d’immortalité… 

* Envoi de la page sur Maria Deraisme sur simple demande à yonnel@450.fm

Rue Cardinet, au 72. La plaque commémorative est en haut à droite.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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