ven 26 avril 2024 - 20:04

Le mot du mois : RESPONSABLE

Répondre. Aux questions explicites ou suggérées, dans la sphère intime comme dans l’espace de la sociabilité. Répondre, parce qu’on ne saurait rester sans voix face à une sollicitation, de quelque nature qu’elle soit, ni se garder de l’engagement, même à risque, que suppose l’acte de vivre avec l’autre. Coupable ? Pas à coup sûr, mais responsable de toute façon.

L’origine du mot, religieuse et juridique dans l’antiquité gréco-latine et hittite, *spend-, désigne la libation offerte à la divinité devant laquelle une convention est scellée entre deux parties. Offrande tangible d’un liquide qui est versé par terre aux ancêtres, sur un autel à des puissances tutélaires qui ont soif, en échange de quoi on sera prémuni d’un danger.

Le sémantisme évolue ensuite vers un sens politique et juridique, pour désigner le pacte de sécurité mutuelle que les deux contractants s’engagent à respecter, en se prenant mutuellement comme garants. Avec une solennité dont témoigne le mariage, par exemple. *Sponsus, le fiancé latin, sponsor le garant d’une entreprise. D’où les époux, les épousailles, placées sous le regard sévère de la divinité ou la vigilance de la puissance civile. C’est qu’on ne transige pas avec la loyauté de cet engagement, même si maintes libertés sont prises avec la stricte fidélité.

L’idée centrale est celle d’un consentement éclairé, d’une volonté avérée. D’où le latin *spontaneus. Un engagement spontané. Une spontanéité qui n’est pas synonyme d’immédiateté étourdie, faut-il le signaler. Il s’agit d’un élan réfléchi, dont on a mûrement pesé les conséquences à envisager.

Telle est la réponse officielle de l’oracle consulté, la réponse individuelle d’un engagement par la parole et dans les actes. Même si la riposte peut apparaître rapide, virulente, voire belliqueuse.

Ne rien répondre à la légère. Je me sens responsable de ce qui m’entoure, me concerne. L’image en est frappante.

Impossible d’échapper aux liens essentiels qui nouent les individus entre eux, inter-rogation, co-respondance, qui fondent l’identité de chacun en face de, en regard de. Liens d’engagement mutuel, à divers degrés, plus ou moins distendus, indissolubles qu’on le veuille ou non.

Il n’y a pas de mot anodin, de parole sans conséquence, d’insulte gratuite qui ne laisserait aucune trace. On ne sort jamais indemne du contact, même le plus indifférent en apparence.

Toute existence est un questionnement, source infinie de réponses successives, dont chacune est, ou devrait être, même mentalement, sanctionnée par la formule rituelle « j’ai dit », qui la clôt comme l’affirmation momentanée d’une responsabilité qui n’en évacue jamais les conséquences.

Albert Camus écrit : « L’homme n’est rien en lui-même, il n’est qu’une chance infinie, mais il est le responsable infini de cette chance. »

Annick DROGOU

Et si on oubliait un instant l’injonction morale permanente et un peu raide attachée à ce mot. Pour revenir à ce sens premier : être en capacité de répondre. La responsabilité comme une relation. Ne pas affirmer, mais seulement répondre. Répondre de quoi, pour qui ? À qui, à quoi suis-je relié ? Ce mot « responsable » est trompeur : il nous met en première ligne. Le responsable serait celui qui a pouvoir sur une situation, une organisation. Illusion, il ne s’agit que de répondre.

On répète sans cesse qu’il convient d’être responsable de ses actes. Mais, avant cela, la responsabilité est affaire de parole. Et puisqu’il s’agit d’apporter une réponse, avant même de répondre, il suffit d’écouter pour savoir à qui et à quoi répondre. Après, seulement après, la réponse pourra venir et s’exprimer pleinement et simplement : je te donne ma parole. Tu peux me prendre au mot. Et dans cette responsabilité, je vais même répondre de mes actions et de celles des autres qui m’en ont confié la charge. Je vais porter leur réponse, le dépôt qu’ils m’ont fait. Responsable, je deviens garant, quand je prends pour moi la parole d’un autre, qui n’est pas en capacité de répondre.

Tout est relation. « Tu es responsable de ce que tu as apprivoisé », disait le Petit Prince de Saint-Exupéry à sa rose. En clair, la responsabilité ne va pas sans amour, sans souci de l’autre. On est toujours intimement responsable. Faut-il croire celui qui nous dit que le flocon de neige n’est pas responsable de l’avalanche ? Le papillon, et son célèbre effet, est-il responsable de la tornade qu’il déclenchera à des milliers de kilomètres ? Assurément, car l’autre mot pour dire responsable, est tout simplement « Un », comme l’unité du vivant. Responsable de tout et de tous. Reste en écoute pour tenter de répondre.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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