Si l’on en croit les historiens spécialisés en « maçonnologie », la maçonnerie « spéculative » (par eux ainsi qualifiée pour la différencier de la maçonnerie « opérative », celle des bâtisseurs des monuments religieux), serait née en Ecosse à la fin du 17ème siècle. Au vrai avec un système de loges éparses, dont deux sont apparues « officieusement » en France, à Saint Germain en Laye, vers 1680, (« La Bonne Foi » et « la Parfaite Egalité ») composées de militaires ayant suivi Jacques II Stuart en exil. Partant, bien avant la création de la Grande Loge de Londres et de Westminster, un certain 24 juin 1717, elle-même résultant de la réunion de 4 loges existantes, aux noms évoquant à la fois la royauté et la verte campagne anglaise : La Couronne, L’oie et le Gril, le Pommier, le Gobelet et les raisins.
Aujourd’hui encore, à la manière de détectives méticuleux, lesdits historiens et autres bibliophiles, infatigables déchiffreurs de grimoires, nostalgiques du passé de cet « Art Royal », tentent de débusquer le plus petit indice, le moindre parchemin porteur d’écrits à l’encre de suie, pouvant attester de faits datés des guildes d’artisans de la pierre. Mais la tâche est difficile : Par définition la « tradition orale » ne laisse pas ou peu de traces. Alors certains de ces « limiers de l’impossible » vont jusqu’à insinuer que ledit repas fédérateur n’a eu lieu ce jour de printemps que… dans l’imagination fertile de plumitifs avides de notoriété. Et même qu’il n’y aurait sans doute aucun rapport, aucune période intermédiaire, entre la maçonnerie des cathédrales et celle de l’esprit. Décidément, qui croire ? Avec ces suppositions et incertitudes, la franc-maçonnerie actuelle sera toujours imprégnée d’un parfum de mystère. C’est bien ce qui fait son charme, pensent les frères et les sœurs poètes !
Un vrai roman d’aventures
Toujours est-t-il que, banquet ou non, transition ou pas, cette franc-maçonnerie « de réflexion », elle, existe bel et bien ! Qu’importe sa date exacte de naissance et les fantasmes qu’elle colporte ! Ayant traversé la Manche, elle s’est répandue en Europe, en commençant par la Russie, la Belgique puis la France – là les preuves imprimées existent – à partir des années 1720. Et, progressivement, dans les autres pays et continents. Mais tandis que ladite Grande Loge de Londres et de Westminster s’auto-proclame la première, en 1751, une fédération de loges anglaises se disant antérieur, se déclare à son tour, pratiquant un cérémonial dit « rite d’York ». Elle se dénommera Grande Loge des « Antients » par opposition à la Grande Loge de Londres, qualifiée de Grande Loge des « Moderns ». Il faudra attendre 1813 pour que ces deux Grandes Loges fusionnent et deviennent enfin la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA). Un vrai roman d’aventures !
Quel est le but de cette franc-maçonnerie spéculative, née, remarquons-le, à l’époque des Lumières, ce grand courant philosophique, ainsi qualifié en opposition à l’obscurantisme ambiant ? Avec une conception optimiste et progressiste, elle veut, à l’image de ladite philosophie, tout simplement répandre la connaissance par la raison. Et de la sorte, rendre l’Homme meilleur. De quelle façon ? En le sortant des préjugés religieux et en guidant également sa foi vers les avancées culturelles et matérielles. Par quel moyen ? La méthode symbolique.
Nous le savons, cette association se nomme « franc-maçonnerie », parce que, précisément, elle se réfère à la construction. Mais on ne saura sans doute jamais – encore un mystère – qui a eu l’idée au « temps des Lumières » d’attribuer des valeurs morales figuratives à ses dix principaux outils manuels. Ils sont toujours vus aujourd’hui en loges, avec les mêmes représentations morales, à savoir :
MAILLET : Intelligence – Compétence – Force – Energie
CISEAU : Discernement – Efficacité – Dextérité – Esthétisme
RÈGLE : Rectitude – Précision – Ordre – Loi
LEVIER : Puissance – Volonté – Raison – Potentiel
PERPENDICULAIRE : Modestie – Equilibre – Profondeur – Justesse
NIVEAU : Egalité – Equité – Observation – Justice
EQUERRE : Sagesse – Droiture – Logique – Précision
COMPAS : Vérité – Esprit – Harmonie – Rondeur
TRUELLE : Fraternité – Lien – Bienveillance – Union
TAMIS : Recherche – Découverte – Précaution – Sélection
Autant d’instruments de travail, autant « d’outils mentaux », donc autant de dispositions à valoriser, de qualités à acquérir et de pratiques à mettre en action. Un « outillage » symbolique qui pourrait paraître à première vue, presque trop simple, voire simpliste, mais qui de fait, recense, par transposition, un ensemble de précieuses ressources humaines à entretenir. De l’opératif, l’opérant.
Ces outils « mis en mots » invitent le passage de la parole aux actes. Mais il ne s’agit de faire n’importe quoi, au fil des pulsions individuelles. Faire le bien exige de bien le faire. Ainsi naît le « code maçonnique » à la fin du XVIIIème siècle. Il est en soi une véritable « charte de fonctionnement ».
CODE MACONNIQUE
- Aime ton prochain.
- Ne fais point le mal. Fais le bien.
- Fais le bien pour l’amour du bien lui-même.
- Tiens toujours ton âme dans un état pur.
- Aime les bons, fuis les méchants, plains les faibles, mais ne hais personne.
- Parle sobrement avec les grands, prudemment avec tes égaux, sincèrement avec tes amis, doucement avec les petits, tendrement avec les pauvres.
- Ne flatte point ton frère : c’est une trahison.
- Si ton frère te flatte, crains qu’il ne te corrompe.
- Ecoute toujours la voix de ta conscience.
- Sois le père des pauvres ; chaque soupir que ta dureté leur arrachera augmentera le nombre des malédictions qui tomberont sur ta tête.
- Respecte l’étranger voyageur ; aide-le ; sa personne est sacrée pour toi.
- Evite les querelles ; préviens les insultes.
- Mets toujours la raison de ton côté.
- Respecte les femmes ; n’abuse jamais de leur faiblesse et meurs plutôt que les déshonorer.
- Si le Grand Architecte te donne un fils, remercie-le, mais tremble sur le dépôt qu’il te confie.
- Sois pour cet enfant l’image de la divinité.
- Fais que jusqu’à dix ans il te craigne, que jusqu’à vingt ans il t’aime, que jusqu’à ta mort il te respecte.
- Jusqu’à dix ans, sois son maître ; jusqu’à vingt ans, son père, jusqu’à la mort son ami.
- Pense à lui donner de bons principes plutôt que de belles manières ; qu’il te doive une droiture éclairée et non une frivole élégance.
- Fais l’honnête homme, plutôt qu’habile homme.
- Si tu rougis de ton état, c’est l’orgueil ; songe que ce n’est pas la place qui t’honore ou te dégrade, mais la façon dont tu l’exerces.
- Lis et profite ; vois et imite ; réfléchis et travaille.
- Rapporter tout à l’utilité de tes frères, c’est travailler pour toi-même.
- Sois content partout, de tout et avec tout.
- Réjouis-toi de la justice.
- Souffre sans te plaindre.
- Ne juge pas légèrement les actions des hommes.
- Ne blâme point et loue encore moins.
- C ’est au Grand Architecte de l’Univers qui sonde les cœurs à apprécier son ouvrage.
La concorde grandit ce qui est petit – La discorde annihile ce qui est grand
Un temple idéal
En ce début de XXIème siècle – qui voit souvent disparaître les « bonnes manières » en société – ces principes moraux n’ont rien perdu de leur pertinence et la relecture de chacun d’eux s’impose. Observons ainsi que les louanges, à l’époque considérées comme une flatterie, sont proscrites en fin de texte. Les mots sont des caresses ou des projectiles. D’où, peut-être, cette confusion devenue au fil des ans un impératif de ne pas dire « merci » en loge qui y circule toujours aujourd’hui. Or, il n’a jamais été interdit par les Constitutions maçonniques de savoir gré à qui par exemple, présente une bonne planche en loge ou de le complimenter d’aider un démuni en sortant. Précisément, premier « commandement » de ce code. Maîtriser ses émotions, contrôler ses sentiments, garder son sang-froid, bref pratiquer le bon « gouvernement de soi » n’empêche pas de témoigner sa chaleur humaine !
Retour au XVIIIe siècle. Les deux promoteurs de la maçonnerie spéculative, les pasteurs James Anderson et Jean Desaguliers, assistés d’un cercle de réflexion rapproché, pressentent qu’une fédération de loges de bâtisseurs intellectuels a pour mission de construire un « temple idéal », c’est à dire au prestige symbolique. Il s’agit donc pour eux de s’appuyer sur l’histoire d’un monument prestigieux et mieux encore, auréolé d’une légende dramatique à inventer. Ils trouvent les deux symboles dans la Bible, d’abord en lui « empruntant » le mythique Temple de Salomon. Puis, cerise sur le gâteau, en métamorphosant Hiram, (à ne pas confondre avec Hiram, roi de Tyr) un tisserand et fondeur de bronze – cité dans l’ouvrage – en architecte du roi, promu constructeur du célèbre monument. Rappelons cette légende, dont on ignore encore aujourd’hui quel en est l’auteur, à moins qu’elle ne soit une création collégiale – (peut-être, dit-on, l’association des « Rose-Croix »). Quoi qu’il en soit, elle deviendra « le socle référentiel » de la franc-maçonnerie mondiale :
LA LEGENDE D’HIRAM
Le temple de Salomon est presque achevé après sept années d’un dur labeur des nombreuses équipes d’apprentis, de compagnons et de maîtres maçons. Chaque catégorie possède un mot de passe qui permet aux ouvriers de recevoir le salaire conforme à leur qualification.
Trois compagnons sans scrupules, convoitant la rémunération supérieure, se postent un sombre soir, chacun à une issue du temple, pour agresser Hiram à sa sortie et lui demander « le mot du maître ».
A l’arrivée d’Hiram à la porte du Midi, le premier compagnon, Jubelas, lui demande ce mot de passe en le menaçant d’une règle. Hiram refuse et il reçoit un coup terrible sur l’épaule. Ensanglanté, il tente de sortir par la porte du Septentrion. Là, le deuxième compagnon, Jubelos, essuyant le même refus, lui perfore le ventre avec une équerre. Hiram, chancelant, se traîne vers la porte de l’Orient, où l’attend le troisième compagnon, Jubelum. Celui-ci, devant son silence persistant, le tue d’un coup de maillet sur la tête.
Avant de s’enfuir, dépités, les meurtriers ensevelissent à la hâte le corps d’Hiram dans un fossé près du temple, et piquent un rameau d’acacia sur le monticule de terre, pour le retrouver puis l’enterrer ailleurs plus tard. Mais les gardes de Salomon retrouvent le cadavre avant eux. Pris d’un immense chagrin, le roi lui offre des funérailles grandioses et ordonne que l’on recherche les assassins, pour les châtier sans pitié.
La mort d’Hiram, tué par les trois mauvais Compagnons, symbolise, nous le savons, les trois défauts Ignorance, Fanatisme, Ambition, contre lesquels doivent chaque jour lutter non seulement tous les francs-maçons mais chaque citoyen du monde.
A noter toutefois le double sens du mot « Ambition ». Il est important de remarquer que ce mot a un double sens. En signification première, l’ambition est une pulsion axiale, une force psychique inconsciente. Présente en chacun de nous, elle nous pousse à croître, « à nous perfectionner dans notre être », comme dit le philosophe Baruch Spinoza. Il s’agit de notre capital énergétique qui dépasse notre instinct de conservation. Il est normal d’avoir de l’ambition, en termes de satisfaction et de réussite personnelles. En revanche, son deuxième sens indique une forme « d’hubris » (en grec ancien) autrement dit de démesure, d’un désir ardent de prendre un pouvoir, de dominer, d’obtenir un avantage, de s’imposer, parfois au détriment des autres. Ce stratagème a son revers, car au lieu d’obtenir leur approbation, voire leur admiration, il peut en provoquer le rejet. C’est bien cette ambition démesurée de pouvoir qui « enivre » les trois mauvais compagnons, jusqu’à les pousser au meurtre.
Autre remarque : La légende d’Hiram devient le mythe d’Hiram au 4ème degré du REAA. Pourquoi ? Parce que toute légende comporte une fin (ici l’assassinat d’Hiram) alors que le mythe dispose d’une « fin ouverte », ce qui permet aux Hauts-Grades du REAA d’exister, avec une suite d’aventures humaines au « symbolisme productif », toujours livresque et « romantisée » (Adonhiram, Johaben, la Chevalerie, etc).
D’une maçonnerie, l’autre
Il est difficile de soutenir, comme certains chercheurs encore aujourd’hui, que la maçonnerie opérative et la maçonnerie spéculative n’ont eu aucun rapport. Alors même que :
– Le père de James Anderson est vitrier (donc maçon opératif) et membre de la loge maçonnique d’Aberdeen en Ecosse dans les années 1680.
– James Anderson, Pasteur presbytérien, est lui-même membre de la loge « L’Oie et le Grill » (l’une des 4 loges fondatrices de la Grande Loge de Londres) dans les années 1700.
– Le père de Jean Desaguliers (devenu John Desaguliers en Angleterre) est Pasteur et également franc-maçon à La Rochelle lorsqu’il cache son jeune fils dans un tonneau en 1687, sur un bateau partant vers l’Angleterre pour qu’il échappe aux conséquences de la révocation de l’Edit de Nantes (interdiction du culte protestant). John Desaguliers devient lui-même Pasteur anglican et franc-maçon. Il est élu Vénérable Maître de la loge Antiquity à Londres en 1712.
Les liens transitifs avec les constructeurs médiévaux, disons une forme de « cousinage » entre les deux instances, opératives et spéculatives, semblent donc bien établis dans le temps. De la main à l’esprit, le pas est ainsi franchi, disons au moins symboliquement !
Pour l’anecdote, notons que John Desaguliers, brillant universitaire devient un scientifique reconnu par le savant Isaac Newton (alors Président de la Royal Society de Londres) qui en fait son adjoint. Celui-ci se rend en Russie en 1717 – l’année de la naissance de la Grande Loge de Londres et de Westminster – pour y construire et installer un engin à vapeur destinée au fonctionnement des fontaines d’agrément du Tsar. Ce qui peut expliquer que la Russie est précisément l’un des premiers pays – indiqué plus haut – où commence « l’essaimage » de la franc-maçonnerie spéculative !
En terme légal, John Desaguliers ressent la nécessité pour cette Grande Loge de l’existence d’un acte juridique fondateur, en l’occurrence de « Constitutions fédératrices ». Il en demande la rédaction à la plume imaginative et élégante de James Anderson, par métier concepteur de généalogies. Ce document – qui connaîtra une dizaine de versions jusqu’à la dernière en 1813 consacrant la Grande Loge Unie d’Angleterre, résultant de la fusion précitée des « Ancients » et des « Moderns » – tout en respectant l’Eglise – assure aux membres de cette « grande famille » la liberté de conscience. Il donne une puissance et une coloration intellectuelle à cette instance anglaise qui, du coup, traverse « officiellement » la Manche en 1725, après les loges militaires précitées. En quelques années, cette « nouvelle philosophie » attire les notabilités. L’aristocratie, la bourgeoisie et même le haut-clergé veulent y être admis.
Des grands noms, une belle histoire
Les loges se multiplient alors et se fédèrent dans la Capitale et plusieurs grandes villes en France, puis dans toute l’Europe. En 1773, sous l’impulsion du duc de Montmorency, naît le Grand Orient de France. Le 22 octobre, le duc d’Orléans en devient le Grand Maître. Deux mois avant sa mort, le 7 avril 1778, Voltaire est reçu franc-maçon à Paris, à la loge des « Neuf sœurs » fondée par l’écrivain et philosophe Claude Helvétius. En Autriche, l’illustre Amadeus Mozart, est initié son tour le 14 décembre 1784, à la loge viennoise « Zur Wohltätigkeit » (la Bienfaisance) et y parraine son père Léopold en 1785. Puis il présente un chef d’œuvre aux accents maçonniques à l’Opéra de Vienne, le 30 septembre 1791 « La Flute enchantée ». Avant de mourir le 5 décembre de cette même année.
La belle histoire de la franc-maçonnerie spéculative qui, à défaut d’être universelle, est internationale, peut ainsi se résumer, depuis sa création jusqu’à nos jours, au fil des grands noms qui l’ont jalonnée et illustrée. En commençant par Charles de Montesquieu, écrivain des Lumières, initié à Londres en 1730, le marquis de Lafayette en 1774 (initié à l’âge de 17 ans), et en Amérique par les frères Benjamin Franklin et Georges Washington. Ce qui permet de dire au passage que l’indépendance américaine est bien, sans exagérer, le résultat d’une « participation active » maçonnique.
Après la Révolution française, Napoléon – qui n’est pas maçon, comme la plupart de ses généraux – réconcilie Bonapartistes et Napoléoniens. A partir de la restauration monarchique, s’ouvrent les idées libérales et progressistes. Avec Charles Fourier et Victor Considérant, apparaissent les premières idées socialistes et saint-simonistes. Aux côtés de la noblesse et de la bourgeoisie viennent s’asseoir dans les loges, la littérature, le fonctionnariat, l’artisanat et le commerce. Surviennent ainsi le philosophe Joseph Proudhon et compagnon menuisier Agricol Perdigier. Lequel s’affirme dans ce mouvement du Compagnonnage, au long des années 1830. Avec la Révolution de février 1848 surgissent les loges engagées : un mouvement maçonnique comprenant Victor Schoelcher, mène un combat victorieux pour l’abolition de l’esclavage.
Les lois scolaires de 1880 de l’avocat Jules Ferry aboutissent à la fameuse loi de 1905 instituant la séparation des églises et de l’Etat. Et ce malgré l’excommunication des francs-maçons par une succession de « bulles papales ». Au début du XXème siècle, les gens du peuple sont surpris d’apprendre que la franc-maçonnerie, cette organisation alors secrète, traite dans ses loges des sujets de société aussi importants que les retraites de vieillesse, la dénatalité, le travail des femmes et des enfants, la criminalité, la liberté d’association (thème qui imposera la loi de 1901), la laïcité dès l’enseignement. Mais le ciel s’assombrit avec l’avènement du nazisme en 1933. Les maçons ont une dernière satisfaction en 1936, avec l’instauration des congés payés, qu’ils ont appelés de leurs vœux depuis de nombreuses années. Le Gouvernement de Vichy interdit la franc-maçonnerie en 1940 et de nombreux frères et sœurs périront pour leurs convictions patriotiques, pendant la seconde guerre mondiale. C’est la Général de Gaulle qui, en 1945, redonnera à la franc-maçonnerie sa liberté d’exercice, en faisant pertinemment remarquer que « Les lois d’exception de Vichy n’ayant jamais été reconnues, elle n’a jamais cessé d’exister en France ! ».
Un autre grand nom doit être cité dans cette énumération qui tisse le fil rouge sociétal et social de la franc-maçonnerie spéculative française : Le Docteur Pierre Simon, expert en sexologie. Entre les années 1950 et 1980, en véritable pionnier, il participe aux travaux sur l’accouchement sans douleur en contribuant à leur diffusion. Il contribue à l’élaboration de la Loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse et à l’instauration des méthodes contraceptives, en particulier « le stérilet » dont il invente le terme. Son dernier combat est le droit à mourir dans la dignité. Il sera Grand Maître de la Grande Loge de France de 1969 à 1971 et de 1973 à 1975. Son œuvre est emblématique de son implication, dans les grands courants qui ont concerné la société.
La franc maçonnerie aujourd’hui
Au vrai, il n’existe pas une franc-maçonnerie, mais différents types de maçonneries, aux activités différentes. De nos jours, en Europe tout au moins, les besoins sociétaux relèvent généralement davantage maintenant d’un progrès moral à poursuivre que social. Ce qui n’était pas le cas au début de l’ère industrielle où – depuis la guerre de 1914-1918 – la franc-maçonnerie a beaucoup œuvré (et continue) matériellement par le biais des « clubs-service » qu’elle a inventés et répandus (Rotary, Lions-Clubs, Kiwanis, Zonta, Soroptimist, Table ronde, etc.). De la sorte, les loges se sont de leur côté, si l’on peut dire, plutôt « intellectualisées ». A grands traits, se dégage le « tableau maçonnique » suivant :
-Dans les loges françaises, et les républiques européennes précisément, on observe le caractère sacré des cérémonies d’ouverture et de fermeture des travaux et la primauté est donnée aux « planches » (conférences des membres ou invités). Elles permettent les débats et, éventuellement, invitent aux actions individuelles extérieures.
– Les loges anglo-saxonnes se consacrent, elles, à l’exercice rigoureux des rituels, à l’érudition et partant, au fonctionnement de loges d’études et de recherches.
-La franc-maçonnerie allemande, pour sa part, entretient son passé chevaleresque (chevalerie teutonique des Croisades).
-Pour sa part, la franc-maçonnerie scandinave est presque religieuse.
-Outre-Atlantique la situation est différente et renvoie au cadre matériel précité. En effet, pour ce qui la concerne, la franc-maçonnerie américaine, dans un pays peu structuré en matière sociale, intervient donc souvent au secours des démunis et se consacre aux œuvres caritatives (aux côtés desdits clubs-service).
-Enfin, pratiquement en forme d’exception, la franc-maçonnerie latino-américaine s’adonne largement à des activités politiques.
Phénomène nouveau : l’expansion de la franc-maçonnerie féminine totalement « libre ». Au XVIIIème siècle certaines loges masculines dites « d’adoption », accueillaient les femmes, sous le contrôle, pour ne pas dire de surveillance, de loges masculines. Pratique peu glorieuse en vérité, car aux antipodes de l’égalité, proclamée par la trilogie républicaine. Aujourd’hui, en France, existent des loges féminines, totalement indépendantes, telle la Grande Loge Féminine de France et des loges mixtes, tel le Droit Humain. Ou des fédérations de loges comportant des loges masculines, féminines et mixtes, tel, par décision récente, le Grand Orient. Cela dit, il reste encore du chemin à faire, l’effectif féminin représentant 30 % seulement de l’effectif total (Sur environ 3 millions de francs-maçons dans le monde et 150 membres en France).
Transmettre
Aujourd’hui, ces maçonneries, apparemment différentes, dans leurs objectifs même, sont tout de même reliées par un point commun. Non seulement, la légende d’Hiram leur offre un même imaginaire mais surtout un mot, qui est aussi « un état d’esprit », les rassemble : LA TRADITION.
Ce mot a une double racine et partant, une double signification. Issu du latin traditio et tradere, il signifie l’action de remettre, de transmettre, de transférer. En revanche, venant du latin traditor et traditus, il veut dire, traître, trahir, trahison. Et par son suffixe dere devenu dare, il correspondà donner, livrer, dénoncer. C’est évidemment de la première racine, dont il est question ici.
Sans cesse répété en maçonnerie, ce vocable « tradition » mérite une analyse particulière. Du fait même que, toujours dans son sens noble, il est évocateur du passé, il est porteur d’interprétations différentes. La « tradition maçonnique » évoque ainsi au moins quatre « situations » :
1) Avec son premier sens, elle désigne très classiquement les coutumes et les usages, les habitudes et les folklores, les pratiques et les savoir-faire qui se transmettent oralement au fil des générations. C’est le cas en franc-maçonnerie. Dans la chaine maçonnique, les maillons du passé sont soudés à ceux du présent qui s’ouvrent à ceux du futur.
2) Le deuxième sens du mot « tradition » s’exprime par les mythes, allégories, légendes et symboles, créés par l’esprit humain depuis son origine. Le psychanalyste Carl Jung évoque en l’occurrence, ce qu’il nomme des « archétypes », ces représentations universelles qui, selon lui, peuplent « l’inconscient collectif » depuis « l’imaginaire primitif ». Telles les premières « figures » géométriques perçues dans la nature : le cercle de la lune, le triangle, le carré ou le rectangle formés par le tracé fictif reliant les étoiles, la sinusoïde des vagues sur la mer. L’imagination est ici sollicitée !
3) Le mot « tradition » trouve un troisième signifiant dans « la tradition initiatique » avec la lumière symbolique qu’elle est censée transmettre à l’impétrant. Celle-ci doit être comprise, au sens figuré, comme un « éclairement mental », c’est à dire le fait « d’être éclairé », de recevoir une information, une connaissance nouvelle. A différencier de l’éclairage qui évoque une lumière physique.
4) Le quatrième sens du mot « tradition », apparaît en maçonnerie, dans certains rites qui évoquent « la Tradition primordiale » (avec un T majuscule), laquelle est de l’ordre de la croyance à une origine divine, à un concept non humain qui serait le récit authentique de la création (notamment selon l’ésotériste René Guénon).
Nous le constatons, cette notion de transmission renvoie à diverses interprétations, selon les points de vue. Pour rester simple, disons que « transmettre », cette valeur maçonnique, c’est passer à l’autre, aux autres, ce que je sais, ce que j’ai acquis, en termes positifs. C’est donc partager de bonne foi. C’est aussi échanger, et donc en même temps, c’est recevoir. Autrement dit, c’est élargir ma pensée, en l’élargissant au monde.
Il y a donc des nuances à prendre en compte dans l’acte de transmission. Sur le plan personnel, nous sommes à même de transmettre à notre descendance, les pratiques et principes de vie que nos parents et formateurs nous ont appris. Sur le plan maçonnique, nous transmettons de la même façon, en atelier et dans le monde profane, les valeurs reçues de nos aînés. Cela ne signifie pas que nous devons transmettre des idées et des outils figés. Car la vie humaine est escortée par une notion qui lui est spécifique et qui s’appelle le progrès, certes avec ses bons et moins bons côtés. Le couteau Laguiole qui est commercialisé aujourd’hui n’est plus celui fabriqué il y a un siècle, mais c’est toujours un Laguiole. Pareillement pour le maillet et le ciseau, composés avec de nouveaux matériaux.
Dans cet esprit de progression, de changement, la vertu de tolérance, synonyme de l’indulgence des temps passés, n’a plus le même sens de nos jours, assombris par le phénomène d’une violence accrue. De la sorte la tolérance se trouve limitée aujourd’hui par l’intolérable, en soi progrès de la raison. Celle-ci doit nous conduire à savoir dire oui et savoir dire non, avec prudence et mesure, aux actes de nos semblables.
De la sorte, « transmettre » ne veut pas dire uniquement « reproduire » mais également « produire ». Non seulement des objets nouveaux, mais également des idées, des raisonnements, des concepts neufs. Le tout en franc-maçonnerie, dans un double but :
– Nous enrichir spirituellement, au sens de la vie de l’esprit,
– Mieux vivre ensemble, dans le sillon respectable et respecté, des expériences anciennes.
« Transmettre » ne signifie pas non plus créer une opposition entre conservateurs et progressistes, ce qui signifierait l’échec total de la démarche ! Il convient que le passé de l’Art Royal qui est la colonne vertébrale de notre édifice commun, ne soit considéré, ni comme un vestige fébrilement entretenu ni comme une relique, mais bien, ici et maintenant, dans notre actualité, comme l’articulation vivante, donc la force motrice de nos recherches.
« Transmettre », c’est donc « relayer », mais encore « améliorer », « créer », « inventer », « innover », dans le sillage fondateur. C’est tout le sens qui s’ouvre à notre réflexion, donc, entre autres, à la rédaction de nos planches précitées. Ainsi, cette conception de la transmission, au fil de nos travaux, devrait nous permettre, tout en offrant une part de nous-mêmes à nos ateliers, d’instruire et de nous instruire entre nous, donc en même temps, « apprendre deux fois ».
Et puis enfin, de passage que nous sommes, « transmettre », dans l’idée de continuité temporelle que ce verbe sous-tend, c’est aussi penser à demain, aux Frères qui nous succéderont, pour offrir à leur tour, savoir et connaissance. Autrement dit, la transmission responsable implique bel et bien, ce que j’appellerai un « devoir d’avenir ».
Du passant, le passeur.
Le commentaire que je viens d’écrire concerne mon article : “De la Main à l’esprit”. Gilbert Garibal
L’erreur est humaine, la moitié de l’humanité est féminine …et l’ordinateur capricieux : Nos Frères et nos Soeurs attentifs et indulgents auront rectifié : la Franc-maçonnerie française compte 150000 membres environ . Et “Transmettre” veut bien dire au final que ce sont nos Frères et nos Soeurs qui pensent ensemble à demain! Gilbert Garibal