mar 23 avril 2024 - 14:04

Revue historique vaudoise-La Franc-maçonnerie : de l’ombre à la lumière

Une magnifique première de couverture reproduisant un détail du tablier du Très Illustre Frère Pierre-Maurice Glayre (1743-1819), diplomate et homme politique suisse, mais aussi Grand Maître du Grand Orient Helvétique romand, nous invite à plonger dans un univers qui, vu de France, semble complètement ignoré des Sœurs et Frères.

Quid, au sein de la Confédération suisse de cette Franc-Maçonnerie spéculative, née officiellement en 1717, à Londres ?

Vue d’artiste de Guillaume Tell dans Portraits et Vies des Hommes illustres, 1584.

Que savons-nous réellement de cette organisation fraternelle au pays de ce héros légendaire des mythes fondateurs de la Suisse qu’est Guillaume Tell – en allemand Wilhelm Tell ; en italien : Guglielmo Tell ; en romanche : Guglielm Tell, pour respecter la composition des quatre régions linguistiques dudit pays. Et pourtant l’Art Royal est déjà présent dès le XVIIIe siècle, avec des premières Loges qui éclosent en 1736.

GPIH, blason.

À part la création, le 14 août 1779, du Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie (GPIH), l’équivalent de la Grande Loge Unie d’Angleterre – Mother Lodge – pour les Maçons pratiquant le Rite/Régime Écossais Rectifié en France (près de 10 000 ) – car veillant sur la conservation du Régime Rectifié après son extinction en France au XIXe siècle et contribuant à son réveil dans sa terre d’origine au début du XXe siècle – et, en 1934, l’initiative populaire (droit qui permet à un nombre donné de citoyens de proposer qu’un texte soit soumis en votation populaire) d’« Interdiction des sociétés franc-maçonniques » lancée par le militant fasciste et antimaçon notoire Arthur Fonjallaz, rien ne transpire de ce côté des Alpes quant à l’histoire et à la spécificité des Obédiences maçonniques helvétiques – masculine, mixte, féminine, « libérale » ou « régulière », principaux rites , etc.

Blason Confédération suisse

C’est donc avec grand bonheur qu’il nous est donné d’en savoir plus sur cette sociabilité, notamment au sein de l’un des 26 cantons de la Suisse, celui de Vaud dont la devise « Liberté et patrie » ne peut laisser le Maçon indifférent.

Drapeau canton de Vaud. Le mot « Liberté » fait référence à l’indépendance obtenue du nouveau canton. On abandonna le mot « Égalité » car trop révolutionnaire et trop français pour le remplacer par le mot « Patrie » qui fait référence tant au Canton de Vaud qu’à la Suisse.
 

Après une courte liste d’abréviations reprenant notamment celles des Obédiences, l’éditorial éclairant de l’historien David Auberson, spécialiste en Sciences historiques de la culture, auteur de plusieurs ouvrages et articles et rédacteur en chef de la Revue historique vaudoise, nous informe que peu de travaux universitaires existaient encore à cette date sur les origines et l’histoire de ce mouvement autant social qu’intellectuel qu’est la Franc-Maçonnerie. Cependant, l’étude de la Maçonnerie vaudoise repose essentiellement sur des études anciennes, notamment celles du dentiste lausannois Edmond Jomini (1900-1956) et, plus récemment, sur les travaux du pianiste et maçonnologue Alain Bernheim (1931-2022). De la première Loge vaudoise, fondée à Lausanne en 1740 à l’apparition de la Franc-Maçonnerie féminine – pour mémoire, la Grande Loge Féminine de Suisse est créée en 1985 –, ce très beau dossier thématique est à la fois une belle découverte et d’une remarquable facture !

Canton de Vaud

Sylviane Klein a dirigé cet ouvrage et a été tour à tour enseignante, journaliste et rédactrice en chef du journal Femmes suisses.

Carte actuelle des districts du canton de Vaud.

Désormais retraitée, elle préside, depuis 2019, aux destinées de la Société vaudoise d’histoire et d’archéologie, une institution fondée en 1902. Elle nous entretient, dans « Introduction : une société pas si secrète dans le canton de Vaud » de l’adoption des Constitutions d’Anderson par la Grande Loge d’Angleterre, et retrace ensuite l’histoire des principales structures et organisations maçonnique en Suisse : la Grande Loge Suisse Alpina, le Droit Humain, le Grand Orient de Suisse, la Grande Loge Féminine de Suisse, la Grande Loge Mixte de Suisse, des Loges pratiquant le Rite Memphis-Misraïm, des Loges indépendantes, des rites et rituels ainsi que des Loges bleues et hauts grades. Un juste parfait tour d’horizon donnant une photographie actualisée du paysage maçonnique helvétique !

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Sylviane Klein, quelques pages plus loin, consacre aussi un article à la présentation de la « Franc-Maçonnerie féminine, vecteur d’émancipation ». Il nous faut noter, dès maintenant, la richesse et très belle qualité des illustrations, intelligemment légendée.

Nous comptons ensuite onze chapitres liés à la Franc-Maçonnerie et un dernier, rubriqué « Mélanges », d’Adrien Bastian, docteur en droit de l’université de Lausanne, nous instruisant sur un mouvement religieux que nous devons au pasteur Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793), alias Keleph Ben Nathan, piétiste, mystique, proche de l’ésotérisme, à l’origine du cercle vaudois des « Âmes intérieures ».

Onze chapitres donc écrits par des plumes les plus compétents (archivistes, historiens, universitaires, etc.). C’est ainsi que le directeur honoraire des archives cantonales vaudoises Gilbert Coutaz nous entretient de « La franc-maçonnerie suisse : un trou noir de la politique des archives et de la recherche historique ». Il rappelle que l’histoire de la Maçonnerie en Suisse comporte peu d’études scientifiques alors qu’une importante littérature franc-maçonne existe. Les annexes sont du plus grand intérêt puisqu’elle collationne tous les documents isolés concernant l’Art Royal et conservés aux archives cantonales.

Pierre-Maurice Glayre (auteur inconnu).

Est traité ensuite le lien entre la Maçonnerie vaudoise et la politique dès la fin du XVIIIe siècle. Bien évidemment, un texte du chroniqueur au journal Le Temps Olivier Meuwly, aborde la vie du Frère Pierre-Maurice Glayre. Michel Jaccard, par ailleurs auteur d’Albert Pike – Américain sudiste et réformateur du REAA (Cépaduès, 2020), s’attache au début de la Franc Maçonnerie dans son article « La Parfaite Amitié, une loge vaudoise à la fin du XVIII siècle (1779-1808) ». Une façon déjà de nous parler du renouveau maçonnique vaudois dans les années 1770… Puis de s’intéresser à « La naissance de la Loge Liberté à Lausanne ou le legs de Ruchonnet », une Loge qui vient de fêter en septembre 2021, ses 150 ans d’existence.

Le lecteur s’intéressant à l’architecture et au symbolisme ne peut faire l’impasse sur l’article de Catherine Courtial, historienne de l’art et de l’architecture, ayant publié avec Michael Leuenberger Les loges maçonniques en Suisse, architecture et décors (Société d’histoire de l’art en Suisse SHAS, collection Pages blanches, 2014. SHAS, 2014). Elle décrit les grandes lignes et les règles générales qui dictent l’aménagement d’une loge maçonnique (espace spécifique, décor, terminologie, architecture, vocabulaire).

Quant au chroniqueur au journal le Confédéré Robert Giroux, c’est du « Valais catholique, terreau maçonnique ? » comparant l’établissement de la franc-maçonnerie en Valais à « une épopée qui ressemble peu ou prou à l’image de son fleuve, le Rhône, et de ses habitants, une cohabitation émaillée de violentes colères, suivie d’intervalles d’apaisement ».

Affiche appelant à voter contre l’initiative.

Quant aux écrits de Dominique-Alain Freymond, ancien Président du Groupe de Recherche Alpina, il traite d’un sujet complexe, et cependant toujours d’une brûlante actualité, « Les libertés fondamentales, véritable enjeu de l’initiative Fonjallaz de 1937 ». Un décryptage sur la façon dont, comme dans la plupart des pays d’Europe, l’extrême droite a fait son apparition en Suisse durant la première moitié des années 30.

Couverture d’une édition russe de 1912, réalisée par Sergueï Nilus.

Ou dès 1933, Les Protocoles des Sages de Sion – texte inventé de toutes pièces par la police secrète du tsar et publié pour la première fois en Russie en 1903 –   crée la polémique à Berne. Puis, c’est l’année 34 passée au crible avec le lancement de l’initiative contre les francs-maçons et les sociétés occultes et secrètes.

De son côté, Daniel Bolens, officier de carrière à la retraite, retrace la vie de « L’Ordre Mixte International Le Droit Humain, ou la mixité en franc-maçonnerie », de la première implantation zurichoise à l’ouverture de nouvelles Loges en Suisse romande et à Berne, de la situation de l’après-guerre à nos jours.

Sceau du Grand Orient de Suisse.

De Jacques Herman, professeur retraité d’histoire, décrit, des quatre Obédiences dites libérales en Suisse, la situation du « Grand Orient de Suisse et le courant libéral » (Aspiration à la liberté de conscience, naissance du Grand Orient de Suisse (GOS), situation présente, Loges vaudoises).

Le livre s’achève avec les traditionnels comptes-rendus de lecture d’ouvrages récemment publiés. Suivis d’une rubrique nécrologique ainsi que de la biographie des auteurs(es). L’index et la table des matières clôturent l’ouvrage.

Ce beau numéro donnant une vision claire, avec douze regards différents d’une sociabilité plus discrète que secrète.

Revue historique vaudoise-La Franc-maçonnerie : de l’ombre à la lumière

Klein, Sylviane (dir.) – Les Éditions Antipodes, 130/2022, 264 pages, 40 Franc suisse ou 28 € – À commander sur https://www.antipodes.ch/produit/revue-historique-vaudoise-130-2022/, sur toutes les plateformes de vente en ligne ou mieux achetez dans votre zone… dans la librairie la plus proche de votre domicile, ou encore directement sur le site du diffuseur, le comptoir des presses universitaires

Les éditions Antipodes possède plusieurs collections (Actualités psychologiques, Écrits philosophiques, Existences et société, Histoire, Histoire et sociétés contemporaines, Histoire moderne, littérature, politique, etc.) et publie aussi plusieurs revues : Les Annuelles, Nouvelles Questions Féministes (NQF), Le cartable de Clio et la Revue historique vaudoise, entre autres. Notons que les éditions Antipodes soutiennent SOS Méditerranée et signale qu’une association des Ami·e·s des Éditions Antipodes a été créée en 2014. Cette association culturelle à but non lucratif veut soutenir et promouvoir le travail des Editions Antipodes, en organisant des évènements, des activités en lien avec les livres du catalogue et en recherchant des fonds.

28 novembre 1937, résultat initiative Fonjallaz.
Première édition anglaise du Jewish Peril – Protocols of the Learned Elders of Zion, Eyre & Spottiswoode Ltd. 1920
Planche scolaire de la carte physique et agricole de la Suisse, par P. Vidal-Lablache.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Perspectives » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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