jeu 25 avril 2024 - 15:04

La tradition, un renouvellement perpétuel

(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent les 1er et 15 de chaque mois.)

« La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu », on attribue cette citation tantôt à Gustav Mahler, qui semble ne jamais avoir rien écrit de tel[1], tantôt à Jean Jaurès chez qui l’on en trouve l’idée, non la formule[2], tandis que l’on prétend parfois qu’il s’agirait d’une paraphrase de Thomas More dont nul, non plus, n’est parvenu à retrouver précisément l’écho.

J’aime ces belles sentences – on eût dit ces apophtegmes[3], si ce mot était encore compris en son sens originel – qui résonnent comme des adages, c’est-à-dire comme des vérités communément admises recélant des principes d’action et qui se perdent dans la nuit des temps, en ourlant de prudence et d’injonction la sagesse des nations.

En tout cas, cette maxime illustre à merveille le sens de nos exercices qui revivifient des pensées immémoriales, certes, parfois à la diable, sans qu’on s’efforce toujours d’en saisir le suc, mais souvent avec une heureuse résonance contemporaine.  

Or nous avons ces débats, notamment entre ceux qui se veulent les gardiens du temple, habiles et ombrageux jongleurs de symboles, et de farouches indifférents épris de modernité, qui jettent volontiers le bébé avec l’eau du bain.

Difficile équilibre, toujours à redéfinir, pour trouver une compréhension plus haute – en définitive, une voie d’élévation qui conjugue en s’accroissant, notamment grâce à l’apport des Sœurs et des Frères, expérience et imaginaire, raison et sensibilité. La clé ? Un travail personnel honnête, c’est-à-dire à la fois critique et ouvert, hors des sentiers battus comme à l’écart des controverses idéologiques, que l’on peut se représenter comme un bosquet d’arbres, ces vivants symboles axiaux qui fortifient leurs troncs de la terre au ciel, aussi bien par leurs réseaux racinaires que par leurs canopées forestières.

Bref, un souci de l’éveil qui n’interdit rien à personne[4] mais pousse devant soi une exigence toujours plus fine et rassembleuse, voyant dans la tradition un renouvellement perpétuel.


[1] V. en allemand : Cliquez ici

[2] Voici comment s’exprimait Jean Jaurès, dans un discours prononcé, en janvier 1910, à la Chambre des Députés, et repris dans une édition annotée par Vincent Duclert, sous le titre : Pour la laïque – 1910, dans les Classiques de Poche (LGF/Livre de Poche, 2016) :

 Messieurs, oui, nous avons, nous aussi, le culte du passé. Ce n’est pas en vain que tous les foyers des générations humaines ont flambé, ont rayonné ; mais c’est nous, parce que nous marchons, parce que nous luttons pour un idéal nouveau, c’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre (c’est nous qui soulignons).

[3] Paroles mémorables d’illustres personnages, plutôt anciennes voire antiques, ayant valeur de préceptes, souvent rangées en recueils, d’où le mot a pris un sens péjoratif, pour se gausser de graves maximes se rapportant à des sujets jugés importants mais en réalité fort banals, une érudition superficielle et convenue servant alors à dispenser du goût de l’étude et de tout effort de pensée personnelle.

[4] Je fais ici un clin d’œil appuyé à la génération Woke (éveillée, en anglais) qui, se sentant « offensée » à la moindre contradiction, rejette dans les ténèbres extérieures toute opinion contraire à la sienne, au prétexte que les auteurs en cause manifestaient parfois, en leur temps, des incohérences majeures – surtout, vues du nôtre –, si bien qu’en déboulonnant les statues, c’est de proche en proche tout le trésor de l’humanité que l’on se verrait obligé de reléguer dans « le néant vaste et noir », comme aurait dit Baudelaire. Shakespeare ne serait-il pas, d’ailleurs, lui-même l’archétype du Mâle Blanc Cisgenre ? À moins qu’il ne soit sauvé par une supposition qui faisait scandale autrefois : son éventuelle homosexualité ou plutôt bisexualité  (v., en anglais, l’analyse que font de cette question Paul Edmondson et Stanley Wells dans leur nouvelle édition de All the Sonnets of Shakespeare, parue le 10 septembre 2020, aux Presses universitaires de Cambridge, Cambridge University Press étant un « département » de l’Université de Cambridge, et plus commodément, en français, un  article de Vanity Fair : Cliquez ici). Vous noterez que je néglige prudemment le cas des pauvres contemporains, dans lequel on me rangerait sûrement d’office. 


LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Roblin
Christian Roblin
Christian Roblin est le directeur d'édition de 450.fm. Il a exercé, pendant trente ans, des fonctions de direction générale dans le secteur culturel (édition, presse, galerie d’art). Après avoir bénévolement dirigé la rédaction du Journal de la Grande Loge de France pendant, au total, une quinzaine d'années, il est aujourd'hui président du Collège maçonnique, association culturelle regroupant les Académies maçonniques et l’Université maçonnique. Son activité au sein de 450.fm est strictement personnelle et indépendante de ses autres engagements.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES