ven 26 avril 2024 - 19:04

Le mot du mois : Joie

Festivités de Noël, fin d’année. La joie est au programme, spontanée ou obligée. Même si les circonstances ne se prêtent pas toujours, et en tout cas pas pour tous, à cette manifestation ostentatoire, souvent factice.

Le grec comme le latin se réfèrent à un sémantisme commun *ga-, *gêthô en grec, *gaudium en latin. La signification est la même pour les deux langues, se réjouir. Manifester sa joie.

Pur spectacle non contingent à ce qui l’entoure, elle explose tout bonnement. Inscrite dans le réel immédiat, elle ne se projette pas dans un futur quel qu’il soit, elle est désintéressée et porte sur le monde son éclat immanent, pourrait-on dire, en transcendant tout ce qui serait de l’ordre du pessimisme ou de l’optimisme latent. Jouissance intime, réjouissance partagée, elle autorise la gaudriole par laquelle un groupe se gausse dans un bon jeu de mots, un clin d’oeil échangé, qui suppose une complicité du regard, d’un moment revécu, le temps d’une réminiscence.

Joie aussi spontanée que les larmes qui l’inondent parfois. Joie, pleurs de joie !

Joie de l’inattendu, telle cette “marée en Carême” que suscitait naguère une arrivée de poissons frais en plein Carême, une pêche miraculeuse. Ovation rituelle, dans les cris de joie qui scandaient les fêtes de Bacchus.

L’expression était nettement moins flatteuse lorsqu’elle s’appliquait aux filles de joie. Au XIXe siècle, lors de l’urbanisation haussmannienne, le quartier parisien de Notre-Dame-de-Lorette fut d’abord boudé par les bourgeois. Et les créatures, vilipendées mais bien utiles, de la prostitution servirent aux promoteurs immobiliers. Il s’agissait de séduire les acheteurs potentiels. Filles de joie, elles louaient à bas prix les logements aux plâtres encore humides, dont elles devaient garnir les fenêtres de rideaux, tout en offrant leurs joyeux services… D’où l’appellation de ces prostituées de peu de valeur, filles de plâtre…

Toutes les filles ne pratiquaient pas le charme tarifé. Cependant, à la même époque, l’opprobre était jeté contre l’engeance femelle qui se piquait de fréquenter les bancs de l’université, à tel point que l’évêque de Montpellier, Mgr Le Courtier, en 1869, n’hésitait pas à traiter de “filles de joie” les étudiantes de la Sorbonne. Le dictionnaire Larousse, d’ailleurs, ne reconnut à ces amoureuses de savoirs une existence qu’en 1890 !

La joie, décidément, n’est jamais en odeur de sainteté, comme si son explosion risquait de faire chavirer le sérieux et la componction de l’honorabilité. Les Grecs ne s’y trompaient pas, puisqu’ils associaient les cris aigus de joie que poussaient les femmes, dans les cérémonies de magie, aux hululements de la chouette ou du chat-huant.

Les Latins, quant à eux, parlaient de jubilation pour définir les hurlements joyeux lors de certaines circonstances ecclésiastiques.

Singulière méfiance à l’encontre d’une manifestation si spontanée et imprévisible.

Quelles qu’en soient les nuances respectives, on ne saurait évidemment dissocier la joie de son alter ego, le rire, qui contribue à déplier, à décrisper les membres d’un groupe, à en dénouer les tensions. Si la joie est sans méchanceté, le rire en revanche s’entache de perfidie, homérique lorsque les dieux de l’Olympe s’esclaffent devant les mésaventures amoureuses d’Héphaïstos, le boiteux jaloux.

En nos périodes si chahutées, ne gâchons pas les occasions de ces plaisirs, si menus et fugaces soient-ils, ne les monnayons pas surtout.

Alors, joyeuse fin d’année et joyeux début de l’autre à venir !

Annick DROGOU

La joie comme le feu. Quand la tristesse abat, la joie irradie. Quand la tristesse isole et enferme, la joie se partage. Oui, il n’est de joie que partagée. La joie est toujours reçue, un don si on veut bien la reconnaître pour telle. Quelle réception fais-je à cette joie ? À la joie débordante, ardente comme un feu qui embrase tout ? À la joie sereine, ronronnant comme l’âtre familier ? Cette joie vécue comme un don, il ne tient qu’à nous de l’entretenir, de la développer. Feu de joie à tenir vivant. Viens, amie, soufflons sur la joie toujours à ranimer. Joie dans les cœurs, si bien cachée au cœur de l’intime. Centrale d’énergie, cœur d’un réacteur qui a pour nom amour.

La joie comme l’eau. Puis-je être joyeux tout seul ? Oui, mais c’est toujours en me reliant aux autres, une joie qu’on voudrait répandre comme une eau bienfaisante. Comme l’eau, la joie ne se retient pas, elle coule. À nous de la répandre comme une libation à la plénitude de vie. Débordons de joie ! Abreuvons-nous à l’étape des oasis de joie et faisons reculer l’aridité de tous les déserts sans joie.

La joie comme l’air. Quel est le contraire de la joie, la tristesse ou la peine ? Peut-être la souffrance. Connaître la joie n’est pas méconnaître la tristesse. Joie et tristesse constituent une unique respiration, le même air de vie. Dans un texte magnifique, le sage Hermann Hesse parle de la « tristesse sans désespoir », il évoque aussi une longue amitié, « nous ne recherchions pas le bonheur ». Oui, l’amour nous fait accueillir la joie, cette joie qui n’a pas plus à voir avec le plaisir que la poésie avec la prose, le sacré avec le profane.

Car là est le secret de la joie : elle est sacrée parce qu’elle est simple. La joie ne connaît pas la complexité et encore moins la duplicité. Joie éphémère, forte et fragile dans sa simplicité, nostalgie de la beauté entrevue. Joie, ce mot qui se chante et se répète, si léger et si nécessaire, avant-goût de la plénitude oubliée. Souviens-toi des jours de joie et aime.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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