mer 24 avril 2024 - 19:04

Aux origines d’un mot très composite : franc-maçon

L’expression « maçon libre » est entrée en usage au XIVe siècle. Jusqu’au XVIIIe siècle, il apparaît sous de nombreuses formes : frey-masson pour l’abbé de la Garde dans son gazetin en 1737 ; Frimaçon pour Pierre De Billy dans sa lettre du 27 mars 1737 et souvent comme synonyme d’autres noms : maçon, architecte, maçon libre, franc-maçon, maçon en pierre libre, Gentleman mason, etc.  On trouve l’écriture  Phranc-maçon dans le Rituel de Swedenborg  dont la pensée affirme que tout a un sens, mais que Dieu seul peut révéler celui-ci aux hommes. Le sens interne de la Genèse et de l’Exode est capital et le premier chapitre de la Genèse expose spirituellement la renaissance et la régénération de l’être humain.

Franc-maçon : mot calqué sur l’anglais free mason, maçon libre ; du francique franc, libre, et du germain makôn, préparer l’argile pour la construction. Selon la thèse de doctorat d’Ivan Alsina (p. 16) le terme “Free-mason” serait apparu en 1376 dans la patente de la Compagnie des Masons de Londres pour en désigner les membres [la Worshipful Company of Masons ?]. David Taillades réfute cette hypothèse, précisant : “il n’y a aucune preuve documentaire de l’existence de la compagnie à Londres avant le XVe siècle. Il y a des maçons présents dans la ville mais pas de corporation ou guilde dénommée Compagnie des maçons de Londres. Avant 1200, il y a les Brothers of the Bridge, membres de la bridge gild, comme on le voit dans les Pipe Rolls, qui construisent le pont de Londres en pierre, mais rien ne permet de les relier à la future compagnie londonienne”.

François-Timoléon Bègue Clavel relate au XIXe siècle dans Histoire pittoresque de la Franc-maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes (p.81) : « Vers l’an 714 avant notre ère, Numa institua à Rome des collèges d’artisans (collegia artificum), en tête desquels étaient les collèges d’architectes (collegia fabrorum). On désignait aussi ces agrégations sons les noms de sociétés, de fraternités (sodalilaies, fralernitales). De la même époque datait, à Rome, l’établissement des libérales, ou fêtes de Bacchus. Lorsque les corporations franches se constituèrent en une seule grande association ou confrérie, dans le but d’aller exercer leur industrie au-delà des Alpes, les papes secondèrent ce dessein : il leur convenait d’aider à la propagation de la foi par le majestueux spectacle des vastes basiliques et par tout le prestige des arts dont ils entouraient, le culte. Ils conférèrent donc à la nouvelle corporation, et à celles qui se formèrent par la suite avec le même objet, un monopole qui embrassait la chrétienté tout entière, et qu’ils appuyèrent de toutes les garanties et de toute l’inviolabilité que leur suprématie spirituelle leur permettait de lui imprimer. Les diplômes qu’ils délivrèrent à cet effet aux corporations leur accordaient protection et privilège exclusif de construire tous les édifices religieux ; ils leur concédaient le droit de relever directement et uniquement des papes. Les membres des corporations eurent le privilège de fixer eux-mêmes le taux de leurs salaires, de régler exclusivement, dans leurs chapitres généraux, tout ce qui appartenait à leur gouvernement intérieur.» De nombreux historiens affirment que le terme «franc» ne s’appliquerait pas à la personne mais au «métier ». Est franc ce qui fait partie d’un « franc mestier ». Étienne Boileau, prévôt de Paris, dans Le livre des Métiers, écrit en 1268, que les tailleurs de pierre bénéficiaient de la franchise, mais non les maçons, ou les charpentiers.

On consultera pour compléter cet aperçu le chapitre premier (Origine de la Franc-maçonnerie) du susdit ouvrage ainsi que le chapitre Histoire Critique de la Franc-maçonnerie et sectes mystiques, à partir de la page 134 de l’ouvrage Histoire des religions et des mœurs de tous les peuples du monde. Tome 6, 1819 avec la fameuse gravure en taille douce des Loges depuis 1691 jusqu’en 1735. Pour bien agrandir la gravure, cliquez sur le lien ci-devant.

Beswick, le fondateur du Rite de Swedenborg, utilise le terme Phremason plutôt que Freemason. Selon lui, ce terme viendrait de deux anciens mots « Phre » (ou Pi-re) qui voudrait dire « la lumière » et « mason » qui voudrait dire « chercher » ou « tâter quand on est aveugle ». Le Phremason serait donc, selon Beswick, un candidat aveugle, ou perdu, et cherchant son chemin vers la lumière ; le phranc-maçon éclairé serait celui qui a reçu l’initiation. Ceci explique la graphie de phranc-maçon utilisée dans la traduction française.

“En 1646, il existait à Londres deux Sociétés distinctes : l’une de maçons constructeurs (qui possédait une grande salle de réunion) et l’autre de Frères rose-croix ayant pour chef le célèbre antiquaire Elias Ashmole qui cherchait un local à sa convenance. Les deux sociétés fusionnèrent pour n’en former qu’une seule, et n’eurent plus qu’un seul temple, celui des Maçons constructeurs. En revanche, les Frères rose-croix rectifièrent les formules de réception des maçons, et y substituèrent un mode d’initiation calqué en partie sur les initiations de l’Égypte et de la Grèce. Enfin, pour constater d’une part la différence de la Société nouvelle avec la maçonnerie de construction, et d’autre part, l’acceptation des frères rose-croix par les maçons constructeurs, les membres de cette nouvelle Société prirent le titre de maçons francs et acceptés. De là, la dénomination abrégée de francs-maçons.” Cette version de l’usage du nom est donnée avec une autre nuance dans l’Acta Latomorum par Claude Antoine Thory.

Dans certaines des vieilles conférences du XVIIIe siècle, « gentleman mason » était utilisé comme équivalent franc-maçon spéculatif. On trouve leur le catéchisme suivant : « – Qu’est-ce que vous apprenez en étant un gentleman Maçon ? – Le secret, la moralité et la bonne fraternité. Qu’apprenez-vous en étant maçon opératif ? Tailler, l’équerre, la pierre moulée, poser un niveau et élever une perpendiculaire.» Comme l’écrit Mackey, on voit bien la différence et, comme le fit observer E. Ward, freemason n’est pas Free-Mason. Le mot Free, dans Free-Mason ou Free and Accepted Mason, fait simplement référence au fait que ces « nouveaux » Maçons sont « libres » à l’égard du Métier, c’est-à-dire tout simplement étrangers au Métier… Si nous envisageons les premiers témoignages concernant les Maçons non-opératifs anglais et écossais du XVIIe siècle (admis en Loge entre 1600 et 1634 sous le nom de gentlemen masons ou accepted masons), nous observons que ces Accepted Masons sont aussi indifféremment désignés par les mots Free Masons, ou Free-Masons, avec ou sans tiret mais toujours en deux mots.  Il apparaît alors clairement que dès la fin du XVIIe et le début du XVIIIe les termes Accepted et Free devinrent équivalents pour désigner des Maçons non-opératifs.

Parmi les origines possibles du mot franc-maçon, retenons :

  • La contraction verbale de free stone mason, « travailleur en pierre libre ». Beaucoup de pierres de carrière utilisées dans les murs, les fondations et les bâtiments isolés étaient inégales en dureté, à grain grossier, à grain tordu, à grain qui coulait comme le grain dans une planche de pin. La pierre utilisée pour la sculpture n’avait pas de grain, ou un grain très fin, elle pouvait être coupée dans n’importe quelle direction sans fendre ou écailler ; elle prenait une surface plane et un poli. On l’appelait free stone. Chez les tailleurs de pierre flamands, on la trouve accolée au titre de Compagnon et de Maître : Vrije Meester, Vrije Gesel. En Angleterre, l’Apprenti qui passait Compagnon était déclaré : Free of the Craft ; dans les Pays-Bas : Gcvrijd in t’Ambacht, littéralement «affranchi dans le métier». En réalité, franc, dans le langage du temps, signifie privilégié ; celui dont la liberté est garantie par une franchise.Ainsi, l’épithète de franc se retrouve appliquée aux ouvriers d’autres professions ;
  • Les maçons locaux étaient confinés à leurs propres paroisses, du moins, dans les circonstances habituelles et normales. Les maçons de la cathédrale et de l’église n’étaient pas ainsi astreints, mais étaient libres de se déplacer ;
  • Un apprenti était lié à son maître pendant des années. À la fin de son contrat, il était mis en liberté. Tout maître Maçon était en ce sens un maçon libre ;
  • Une fois qu’une ville avait reçu une charte des libertés, de franchise (1266), elle devenait virtuellement indépendante du pouvoir seigneurial.  Au cours du temps, chaque résident d’une telle ville devenait un citoyen.  En dehors des murs demeurait le servage, à l’intérieur était la liberté. Cette liberté appartenait aux «libertés» de la ville. Dans une telle ville, le membre d’une Compagnie de Maçons, était un citoyen et donc était libre ; alors qu’un maçon hors des murs ne l’était pas. Dans de nombreuses villes, des étrangers venant s’y installer pouvaient recevoir cette liberté au bout d’un an et d’un jour ;
  • On a supposé que les papes avaient accordé à la Fraternité Maçon une charte pour voyager à volonté selon les règles locales de la paroisse ;
  • Il n’y a aucune preuve pour l’existence d’une fraternité séparée du voyage. D’un pays à l’autre. Ils étaient libres de voyager en quête de travail ;
  • Les autorités civiles et ecclésiastiques ont utilisé, pendant des siècles, la méthode d’impression («le groupe de presse») pour recruter, non seulement des marins et des soldats, mais aussi pour recruter des ouvriers. Dans ces «publicités», les francs-maçons étaient considérés comme une classe spéciale d’artisans, libres de beaucoup de restrictions et d’indignités qui ont souvent conduit d’autres ouvriers à la désespérance et la révolte ;
  • Il existe un type psychologique et éthique (ou les deux combinés) de l’homme libre, qui est libre de l’ignorance, libre de la superstition, libre de servilité, et donc un homme libre, rencontrant les autres comme égaux, même en appartenant socialement à l’un des soi-disant ordres inférieurs. Il est probable que ce fut cette liberté que les francs-maçons ont sentie et appréciée plus profondément que tout autre ;
  • On a voulu voir dans le terme de Francs-Maçons une allusion technique à l’utilisation de la pierre franche (variété de pierre qui se coupe librement) : Maçons de franche pierre,  Freestone Masons. Ce qui réfute cette interprétation, c’est que le terme complet Free and accepted Mason (adopted) qui désignait les membres des loges au XVIIe siècle, qui n’avaient aucun lien apparent avec le métier fut réduit en Free-mason. La charte octroyée en 1260 par l’évêque de Bâle aux tailleurs de cette ville renferme la clause suivante : « Les mêmes conditions sont applicables à ceux qui n’appartiennent pas au métier et qui désirent entrer dans la Fraternité. » Laurence Dermott précise dans une lettre aux membres de la confraternité (ajoutée à la 3ème édition de sa Constitution Ahiman Rezon), sur la différence qui existe entre l’ancienne et la moderne Maçonnerie en Angleterre : «les maçons de métier…furent formés en 1410 sous les nom et titre de Société des Fr.-maçons, et William Hankstow second roi d’armes, leur accorda des armes en 1477. Les maçons modernes se sont arrogé ce titre ; mais, seule la Confrérie susdite a le droit de prétendre au nom de francs-maçons d’Angleterre. Jamais les anciens et acceptés maçons ont-ils prétendu à un autre titre ? Celui qu’ils ont adopté est le titre de Francs et acceptés maçons. »

Peut-être est-ce une de ces significations du mot « franc-maçon » qui a trouvé son chemin dans les anciennes Constitutions, les Old Charges. En tout cas, le mot avait alors, comme il continue d’avoir, un sens polysémantique.

Les Francs-maçons du Rite forestier s’appellent des francs-charbonniers.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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