jeu 25 avril 2024 - 18:04

Connaissez-vous « Cave canem »?

Attention au chien ! « Cave canem » ! Ce banal impératif, inscrit sur une mosaïque à l’entrée d’une villa romaine à Pompei datant du 2ème siècle avant J.-C., a défié le temps ! Au-delà même du conseil de prudence face à l’espèce canine figurée sur la pierre (celle d’un chien prompt à bondir), l’avertissement embarque le prestige philosophique accordé aux citations latines – surtout quand elles sont courtes et concises ! L’interjection s’entend désormais comme une métaphore universelle tenant pour suspecte autant l’espèce canine que toute personne possiblement en état de faire éclater sa rage, voire sa méchanceté primitive !

S’iI est vrai qu’au cours du temps, le chien a gagné une grande place en tant que représentation symbolique, cette allégorie témoigne aussi de l’ambiguïté des sentiments que semblent lui avoir porté les sociétés humaines. Protecteur et gardien inflexible pour certains, malfaisant et démoniaque pour d’autres, la perception du chien évolue et progressivement l’ambivalence disparaît dans les civilisations modernes. Même si la force défensive du chien fait trace dans nos mémoires, notre considération s’éloigne de la crainte ou de l’épouvante.

Chien du pharaon sur fond blanc

Dès l’Égypte antique le chien fut associé au monde des enfers, au monde du dessous, aux empires invisibles et énigmatiques, où il était en état de maintenir son rôle de gardien et de protection. Ainsi guidait-il l’homme dans la mort après avoir été son compagnon fidèle dans la vie. Dans cette représentation, de nombreuses mythologies attribuaient au chien le rôle de psychopompe, guide des âmes dans l’autre monde, qu’on le nomme Anubis, au temps de l’Égypte Antique, ou Cerbère, au temps de la Grèce ancienne. Le premier gardait la porte des lieux sacrés, le second servait d’intercesseur entre le monde visible et le monde caché…

Pour hanter les carrefours, dans le monde des ténèbres et des fantômes, Hécate, la déesse de l’ombre lunaire, prenait la forme du chien et elle était souvent suivie d’une meute infernale. Considérée comme une déesse redoutable, elle terrorisait sous cet aspect canin les âmes en errance dans le creux de la nuit.

Au sein même du monde effrayant d’Hadès, le Dieu des Enfers, Cerbère, son chien dévoué, avait trois têtes hurlantes (voire cinquante selon le poète grec Hésiode, et même une centaine ou presque pour Pindare qui décrit à sa manière l’entrée des Enfers !) La fonction du chien, quel que soit son nombre de têtes, souvent gueule ouverte et crocs menaçants, ne changeait pas : empêcher les morts de s’échapper de l’antre souterrain et faire obstacle aux vivants aventureux qui tenteraient de récupérer certains morts.

Un Cerbère horriblement angoissant pour ceux qui déclaraient l’avoir rencontré à l’entrée du troisième Cercle de l’Enfer ! Dante décrit ainsi la bête : « ses yeux sont rouges, sa barbe grasse et noire, son ventre large, ses mains onglées : il griffe les esprits, les écorche, les dépèce ». Ça fait froid dans le dos !

Cette vision pétrifiante et légendaire, inévitablement connue par la communauté des vivants, avait conduit certains à trouver la bonne façon de se garder de la morsure des gueules vociférantes. Comment ? En leur lançant les gâteaux de miel soigneusement placés dans leurs tombeaux à l’heure de leur mort par des proches prévoyants et aimants !

Loin de cette perception affligeante du chien, une race canine se différencie : celle du lévrier. Depuis l’Antiquité voire dès la préhistoire, ce chien élancé, d’allure fine et agile, est apprécié par l’homme pour son courage extrême, sa fidélité et sa loyauté.

Sa beauté si particulière, noble et altière, est souvent présente sur les tombes funéraires, sur des tableaux de scènes de chasse, des sculptures, ou sur des vases et des poteries. On en trouve dans des temples, sur des colonnes, sur des murs ou des mosaïques. Pour chaque artiste, quelles que soient les civilisations, le lévrier demeure un animal à part : il séduit les créateurs et inspire leur œuvre…

Dans l’iconographie du Moyen Âge, à son aspect gracile, s’attache un engouement pour le Beau et la Vertu. Ainsi dans les tapisseries composant la Dame à la Licorne, on voit ces chiens longilignes aux corps souples et légers, assis, debout, ou alanguis dans un décor idyllique. Leur emplacement entre ciel et terre, leurs postures différentes génèrent toujours pour ceux qui contemplent l’œuvre finement tissée, des questionnements sur leur fonction symbolique dans l’imagination mystique.

Quant aux sculpteurs, beaucoup d’entre eux ont fait le choix de représenter l’animal en relief, seul ou par couples, figés dans la pierre ou le bronze près des gisants, notamment au pied de leurs maîtresses défuntes, gardiens sûrs et attentifs pour toute l’éternité !  

À cet égard, le tombeau à la cathédrale de Nantes des gisants des parents de la Duchesse Anne de Bretagne reste un chef d’œuvre absolu où un lévrier blanc porte un collier orné d’hermine et tient entre ses pattes les armoiries de Bretagne…

Dans la Divine Comédie, Dante veut également croire en la puissance du lévrier. Ainsi, lorsqu’au début de sa montée dans la forêt obscure, le poète fait la malheureuse rencontre d’une louve, si haineuse, avide et affamée qu’à sa vue il est saisi de frayeur, il se rassure en apprenant qu’un jour le lévrier, « il veltro », le vautre, viendrait dans toute sa force, tel un sauveur providentiel, pour faire mourir la louve dans les plus grandes souffrances, en la nourrissant de « sagesse, amour et vertu » !

D’autres se montrent plutôt fascinés par l’étonnante aptitude du lévrier d’assurer « un galop volant » où, durant un court instant, s’offre à nous la vision d’un animal terrien qui quitte le sol tel un oiseau. Dans cette sorte de don performant, qui le distingue des chiens vulgaires, entrevoient-ils une espèce vivante de nature divine ? Ou le jeu féerique d’une métamorphose ?

Plus simplement, c’est en plein cœur que nous touchent les tendres et nostalgiques sentiments déclarés par Lamartine à son chien, « une levrette blanche, au museau de gazelle, au poil ondé de soie, au cou de tourterelle, à l’œil profond et doux comme un regard humain …. » De retour à la maison, elle se jetait sur ses pieds comme sur une proie, l’enfermait en courant dans des cercles de joie, et répondait au for intérieur agité de son maître par la manifestation d’un amour inconditionnel. Par l’évidence de cet attachement et de sa bonté, ne répondait-elle pas à son plus cher désir de fraternisation ? À sa difficulté d’être par l’aisance d’aimer, ne le projetait-elle pas dans une autre dimension, à l’apogée d’une entente entre deux êtres vivants, vrais et appariés ?

At si canis, discite agnoscere eam !

(« Si tu regardes le chien, apprends à le reconnaître ! »)

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Sources : blog http://galgohistoria.over-blog.com/2018/11/sur-les-traces-des-levriers-nantais.html

http://galgohistoria.over-blog.com/2019/05/les-levriers-de-toutankhamon-chasseurs-et-guerriers.html

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Claude Laporte
Claude Laporte
Cursus universitaire en Droit public, Organisation du travail, et Sociologie Politique. (Maîtrise en Droit Public (1972), à la Faculté de Bordeaux. Chargée de cours sur la « Sociologie Politique et des Institutions Internationales » aux élèves de 1ère Année de Droit (1972/1973). Puis, intégration professionnelle au sein de l’Assurance Maladie. Dernier poste occupé : Responsable de la Communication à la Direction des Systèmes d’Information à la CNAMTS. Autres diplômes : DESS Systèmes d’Information; DEA «Communication, Technologies et Pouvoir » (Université Paris-Sorbonne). Par ailleurs : des engagements dans le domaine associatif et culturel. Depuis mars 2020 une activité écriture/publications avec la création et l’animation du blog EMEREKA, journal d’opinions et d’humeurs ..

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