sam 23 novembre 2024 - 02:11

Les trois champs pour vivre la fraternité maçonnique

Deux hommes de religions, Jean-Théophile Desaguliers et James Anderson, eurent une intuition vaste comme le génie humain. Ils durent constater l’évidence que l’animal humain est agressif, violent et cruel. Comment chacun(e) s’en sortait-il(elle) à cette époque ? Par la croyance en un Dieu miséricordieux et juge suprême des bons et des méchants. La foi, parce que commune, rassemblait en frère et sœurs ceux et celles dont la piété les rapprochait. Mais James et Jean-Théophile retournèrent cet acte de foi en une « vapeur divine » …

            Et si cette violence humaine nous la cherchions au cœur de l’humain ? C’est en lui qu’il faut changer les impulsions agressives et méchantes. Pour cela nous devons apprendre la fraternité ; à savoir l’affection vraie grâce à un voyage initiatique. Et Dieu dans tout cela ? Il devient un indéfinissable « Grand Architecte De l’Univers » comme emblème de cette fraternité ; car elle avait besoin, comme dans tous les mouvements, d’un symbole fédérateur. Mais à ceci près que la fraternité maçonnique devint vite le maître mot de notre démarche. Tout, dans nos habillages et arcanes chantent, en différents airs, l’aria de la fraternité ; ce qui n’est pas un but pour la majorité des parcours initiatiques dans le monde. La fraternité ? Une perle de l’histoire humaine, de cet « humanimal ». Alors, ce n’est pas dans les vastes nuées galactiques qu’il faut commencer, mais pas soi : sa méchanceté maquillée, sa violence, sous bien des aspects, justifiée. Et sans oublier de faire lever, pas par un nom divin, mais par la descente intérieure, la bonté, la solidarité, l’entraide, l’affection… Bref, la Fraternité.

            Mais l’esprit humain est compliqué, distinguons, dans notre Maçonnerie, les trois champs de cette fraternité ; ces champs indispensables pour faire avancer les Frères et les Sœurs, au-delà des mouvements parfois chaotiques et merveilleux aussi, vers le sens qu’ils prêtent à leur vie et surtout à celle des autres. Pour y parvenir, les membres de la Loge ont à se saisir des méthodes et des conduites qui mènent à ce genre de but. Aussi je distingue trois champs progressifs qui tracent la Voie maçonnique.

  • La compréhension de ce qui se dit est rationnellement dans les échanges verbaux ou pas. La démarche de communication est spontanée et plus ou moins bien ajustée. La compréhension n’est que celle des échanges ordinaires entre personnes. Les linguistes l’appellent la fonction « phatique ». Mais cette communication est plus ou moins claire et précise chez certain(es). En tenue si une planche est rationnelle, si les émotions sont contenues au profit de l’analyse et de la démonstration, alors elle nous plaît. C’est pour cela que nous aimons qu’une planche soit compréhensible et bien claire pour notre entendement. Comme cela nous fait du bien ! Ne nous sentons-nous pas plus « intelligent » ? C’est ainsi que la supposée complicité de la compréhension plus ou moins commune donne une impression de fraternité. En fait, c’est un accord intellectuel qui donne cette impression. Mais bien d’autres Loges privilégient un autre champ que ces postures où la raison et le savoir sont chefs d’orchestre ; il s’agit des émotions, le deuxième champ de la fraternité.
  • Au-dessus des formes de la compréhension, les émotions, ces reliances qui nous permettent d’exister ensemble. Tu sais qu’aujourd’hui, les chercheurs dans ce domaine, assurent que ce sont les relations émotionnelles qui nous guident dans tous les aspects de notre vie, même les plus apparemment raisonnables, comme l’on dit. Alors, les Maçons en prirent conscience et dépassèrent le champ de la raison sèche pour l’affectueuse fraternité. Nous ne sommes pas avares dans nos délivrances d’émotions : la tolérance, le courage, l’engagement, la liberté… et surtout, en vedette capitale, la fraternité, la pierre d’angle du Temple, dans le monde entier ; le trait d’union de tous les styles maçonniques. Cette fraternité est a priori tout imbibée d’émotions. En fait, tu sais qu’il y a une ribambelle de fraternités vécues ; la plus formelle étant : « Nous sommes tous des Frères, des Sœurs ». Ce qui ne se discute pas en Maçonnerie en dépit des violences sourdes et partagées que nous devons, en théorie, ne cesser de travailler. Car on sait que cette fraternité hautement déclarée et retentissante est parfois bien malmenée dans la réalité. Je n’évoquerais pas la complainte silencieuse de ceux et celles qui ont besoin de soutien : les malades, la démunis, les honoraires… D’ailleurs me répliquera-t-on, nous avons justement un Hospitalier pour tous ces cas difficiles. Mais ne sommes-nous pas toutes et tous Hospitaliers ? Mais heureusement pour plusieurs la fraternité n’est pas un jeu de dés jetés au hasard C’est vrai aussi, la fraternité, entre nous, est parfois frissonnante d’affection. C’est l’acmé de notre chemin pour les plus avancée(es) dans l’Art Royal. Mais ils sont en résonance assourdie dans le bruyant concert des obédiences, ces lieux de pouvoir de carton-pâte. Et au-delà des émotions ? Comme toi, je connais quelques-uns(es) qui ont franchi, dans le silence le dernier avatar de notre Voie : la communion, au-delà de la conscience.
  • La communion. Nous sommes tous fascinés, le sachant ou pas, par la communion universelle des « humanimaux ». Car voici le terreau où naît une fraternité spirituelle, dans le partage des vécus enfouis dans la chair et les émotions primaires : peur, caresses, se remplir et se vider… Celle de l’inconscient collectif humain, fondé sur la vie fœtale jusqu’à 7 ans environ. Là, resplendissent des trames symboliques ordinales vécues du ventre de la mère à nos sept ans. Les trames ? J’appelle ainsi les fondations collectives : nos arcanes avec les émotions primaires. Plus que conscientes les trames universelles sont au fond de tous les humains. Ils(elles) les ressentent intuitivement, dans leur chair. Exemple : la porte basse résonne avec la sortie du ventre. Jakin et Boaz nous mènent à la verticalité conquise par le tout petit enfant. La coupe amère, corrigée en doux breuvage chantent en nous, le dégoût et le plaisir liés ; le bandeau est, pourquoi pas, la douceur, enveloppante et sombre ? À retenir absolument ! Il n’est pas du tout question de savoirs, ni même de relations mais des trames, ces socles issus de la chair et des émotion primitives. Cet inconscient collectif est la pierre de fondation de la fraternité involontaire et soudaine. L’esprit de chacun(e), soit de nous tous, l’accueille. Nous nous réjouissons de ce bien-être exquis ressenti hors de toute réflexion et d’émotions nommables.

            Pour mémoire : l’immersion le champ ultime. L’élu, le méditant, le croyant, l’ermite, le randonneur… parviennent à ce niveau : l’oubli de leur singularité humaine et l’extase de la sensation ultime ; être dans la nature, être la nature, fondu dans le cosmos. Ce n’est pas l’affaire de la Voie maçonnique.

            Les Francs-Maçons, sauf rares exceptions, ne sont pas très incités à résonner à l’appel. La compréhension, ça va sans problème, les émotions, fondatrices de la relation interpersonnelle ? oui, assez souvent. Quant à la communion dans les uniques trames humaines, elle est bien plus rare. Il faut dire que les responsables de la Loge ne sont pas formés(es) à soutenir l’appel, en tenue. Le rituel y pourvoit, c’est vrai mais un soutien animateur sera nécessaire. Notre originalité, « une spiritualité pour agir », a besoin de parvenir à la communion des inconscients individuels baigné dans l’inconscient collectif. Car le génie exceptionnel de notre Franc -Maçonnerie est de lier deux dimensions de l’être : la spiritualité pour soi et l’action pour les autres. Notre panoplie incomparable de symboles tend sans cesse à nous chanter : « Va plus loin, toujours plus loin » dans cette « spiritualité pour agir ».

J’invite ceux et celles qui me lisent à écouter la chanson sublime « Un peu plus haut, un peu plus loin », de Jean-Pierre Ferland, avec les voix de Ginette Reno et de Céline Dion. Tout y est dit de la compréhension, puis des émotions et de la communion. Je suis à peine un bagagiste de cette merveille mais j’ai rencontré, dans notre fraternité, des sages, deux ou trois, qui agissaient. Tout comme cet homme qui me sert silencieusement de guide étoilé : François d’Assise, l’homme qui parle aux oiseaux et fonde un couvent dans une humilité radieuse. Me promener lentement dans Assise me fait frissonner.

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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