Voici la question qu’une loge m’a demandé de traiter. Dès le début j’ai pu prendre mon souffle : il n’y avait pas de « T » majuscule à la Guénon. Ce « T » qui fait pâlir d’aise tant de Francs-maçons et qui prétendent, l’air grave, que leur rite, quel qu’il soit, s’inspire de cette fa-fu-meuse tradition. Et qui, de la meilleure foi du monde, vissent cette croyance, à mes yeux trompeuse et confortable, au fond de leur âme.
C’est James, en 1723, avec Jean Théophile, qui consacre plusieurs pages d’une fantaisie incroyable à l’histoire de la Maçonnerie. Et c’est parti. Ramsay, en 1735, nous affuble de la légende de notre descendance chevaleresque des croisés. Depuis cette époque, les historiens de l’Ordre font des recherches sourcilleuses, parfois délirantes, parfois très pro, comme on le voit aujourd’hui, en France, entre autres. C’est vrai, nous avons de brillants Frères et Sœurs historiens qui forcent le respect. Mais c’est là où je m’interroge : pourquoi cette recherche des origines de la grandiose Tradition ?
Par métier, je m’appuie sur les sciences humaines pour trouver une explication à cette fascination pour notre histoire. Je connais la réponse banale « il faut bien savoir d’où nous venons pour savoir qui nous sommes ! » ; eh bien, non ! L’histoire des mouvements initiatiques est un prétexte pour asseoir notre conviction que nous descendons de très anciens qui nous ont transmis ce Graal. Attention, avant d’aller plus loin, je dis clairement que je traite de l’histoire supposée de la Maçonnerie. Je ne remets nullement en cause l’intérêt de l’histoire des peuples ; de celle des êtres vivants, de la Terre…
L’Homme est hanté, tu le sais bien, par, au moins, trois grandes questions universelles : « D’où je viens ? Qui suis-je ? Où vais-je ? » Parce qu’il est un animal faible et conscient qui a peur de lui, des autres, de la nature. Des réponses quelles qu’elles soient, rassurent et calment le hurlement des inconscients personnel et collectif. Depuis sans doute 300 000 mille ans. « Nous ne sommes pas d’aujourd’hui ni d’hier ; nous sommes d’un âge immense » affirme C.G. Jung.
Faute de moyens scientifiques, l’humanimal (beau néologisme de Daniel Béresniak) utilise les boules de cristal, différentes selon les époques. Mais le montage est le même. L’Homme se raconte, pour se rassurer : « Ce que je suis et fais remonte à la nuit des temps et je n’en suis que l’héritier ; tous mes ancêtres me donnent raison (et de ce fait, je suis apaisé car dédouané. » Alors fourmillent les planches, les livres, les conférences sur les origines de notre tradition (je n’emploierai plus le « T » majuscule). Et on n’en finit pas ! Bien avant William Shaw où les origines écossaises de James. On remonte le fil du temps jusqu’à plus soif. On déniche des archéo-maçons chez les opératifs, (là oui, en partie, mais je vais y arriver) les Romains, les Égyptiens bien sûr qui nous fascinent. Mais James va encore plus loin que tout ce que l’on pourrait imaginer : la Franc-maçonnerie naît avec… Adam ! Eh bien, là, stupeur ! je crois qu’il a tout deviné, le vieil Anderson. Avec un fond d’anthropologie qui restera discret., voici pourquoi.
Disciple modeste d’une grande lignée d’ethnologue, je me suis mis à comparer 27 rites de passage. Attention, pas d’autres types de rites comme les rites propitiatoires, les rites d’union… En outre je laisse les religions, surtout monothéistes, de côté. Bien entendu dans ces 27 rites j’inclus le rite maçonnique qui est un rite de passage. Quels que soient les détails vestimentaires qui distingueraient les rites maçonniques entre eux.
Alors j’ai dépouillé les métaux, comme nous disons, c’est-à-dire tous les vêtements culturels. Chaque époque habille en effet les éléments rituels naturels (les archétypes de Jung ou, assez proches, les matrices dit Lévi-Strauss) en fonction de la culture de son époque. C’est une nécessité absolu car sans ces habillages, le fond inconscient collectif de l’Homo sapiens ne peut se dire. Alors que le besoin s’en fait sentir, pour chasser les peurs de la nature et du destin qui peuplent notre inconscient collectif, reformulés par l’inconscient personnel. On parle alors de sacré, de mystère, d’indicible…
Après ce déshabillage des parures culturelles, il est resté, sur mon écran, 46 archétypes, mythèmes ou matrices que l’on retrouve, en quantités diverses, dans tous les lieux, à toutes les époques. Des exemples : la séparation, les épreuves, la solitude, les voyages, le silence absolu, le serment, la naissance, la mort, les éléments, la lumière… et, pour finir tout rite de passage, l’agrégation au groupe…
J’ai retenu, sur table de fréquence 12 éléments qui permettraient de fixer les matrices, universelles les plus répandues. J’ai laissé les autres de côté. Mais ils sont toujours là et peut-être que l’avenir de la Maçonnerie s’en enrichira.
Puis évidemment j’ai comparé la Voie maçonnique aux 11 autres rites de passage passés à travers le filtre. Conclusion : notre Voie maçonnique est le plus timide et la plus complète. La plus timide : nous n’arrachons pas de dents, nous ne mettons pas à nu le candidat, nous ne l’enfermons pas dans une fosse…mais la plus complète aussi. La loge bleue additionne les 12 éléments de base. Selon mon analyse, le seul rite de passage à le faire. Voilà pourquoi, notre Voie est un produit génial de l’inconscient collectif naturel de l’humanimal. Mais rappelle-toi bien : après le dépouillement des vêtements culturels, ces différences entre les rites qui nous font tant jaser et qui ne sont que boutons de culotte ! Voici des exemples de vêtements culturels qui sont dépassés : il y en a de rituels comme le pavé mosaïque qui fait tant de mal en instituant le dualisme au lieu de la dualité, les cartouches du Compagnon qui n’ont rien de symbolique ; le serment qui se prête sur un autel et un livre qui en outre est connoté : livre dit saint, règlement de l’obédience… D’autres vieilleries sont de l’ordre éthique : notre représentation de l’homme qui fait fi de tout ce que l’on a découvert depuis 130 ans environ. Elle date des Lumières avec la croyance en la puissance de la raison ; du siècle suivant avec la valeur travail…
J’ai continué ma réflexion, en me centrant sur notre Voie et en me demandant quels sont les éléments si forts dans notre rite de passage maçonnique. Voici mes convictions car je quitte la méthode analytique : J’en ai trouvé trois mais toi, tu en sentiras peut-être d’autres. : d’abord une grande matrice pour signifier un ordonnateur et de construction collective ; chez nous, c’est la construction du temple de Salomon, qui est, c’est vrai, d’ordre culturel et non naturel mais sans lequel notre Maçonnerie serait autre chose. Mais ce pourrait être, dans une sensibilité naturelle plus féminine, le mythe du brocart tissé de fils d’or par Arachnéa, si prisé dans l’antiquité grecque. Puis un puissant sentiment de fraternité vécue. Et là, nous sommes très forts, avec une fraternité qui est vêtue différemment selon les époques mais qui est, à mon sens, le pilier sur lequel pourrait bien s’appuyer notre Voie dans les décennies qui approchent. Enfin la récapitulation du début de la vie, du fœtus à l’âge dit, pas par hasard, de raison : 7ans. Et là, nouveau coup de génie de nos ancêtres : n’égrenons-nous pas, après le cabinet et selon les degrés, les âges de 3, 5 et 7 ans ? Ils correspondent aux données scientifiques. Quelle intuition admirable ! J’en reste bouche bée. ? Antoine de Saint-Exupéry dit : « Tous les adultes ont été des enfants mais peu s’en souviennent. » Les Maçons, si même s’ils ne s’en rendent pas toujours compte, le vivent ; c’est l’essentiel. Nous sommes des bagagistes et des costumiers. Et nous avons à changer de vêtements quand l’époque le réclame.
Et qui, le premier, dans notre Voie, a chanté « le centre de l’union », ferment de cette fraternité, notre force qui, je crois, franchira les décennies. C’est James Anderson en 1723. La tradition, il n’y a que ça !!!
Propos insolents de Jacques Fontaine
Ouais, dis donsc mon Frère Didier, quelle réponse accrochante et bien pensée, me semble-t-il. Tu évoques les “récits structurants, bien d’accord. Je les appelle les “scénarios ‘les histoires rituelles de qu’apport et les trames, l’essence de ces ces scénarios, qui portent les mystères présents chez tous les humains.
J’ai lu, bien sûr, Camelle et Durand mais pas Propp. !. Mais, je vais te surprendre, voire te choquer. Je trouve que ces auteurs très brillants et attractifs ces ils nous donnent des nourritures initiatiques surprenantes…pour leur époque. Je m’explique : dès aujourd’hui (par exemple et doucement Borei Cyrulinik), propose une autre approche plus fondamentale de l’humain, qui tend à expliquer la folie de l’natrhopocentrism aussi est réepnsable des millions de morts et de dévastation, de vrais problèmes.Cette approche, qui sera celle de demain pour notre compréhension de ce que nous sommes tout au fond est l’éthologie. Elles considère, à juste titre que nous sommes des animaux de meute proliférants et qui suit les lois naturelles des meutes. D. Béresniak parle, il avait tout pigé, d’humanimal. Je te la laissé dé&couvrir, bien au delà des traités sur le symbolisme, l’érudition , les encyclopédies…J’aime beaucoup la première lettre dédoublée comme Tradition. Je te pique cette idée, en te citant.
Mon TC F Frère de la meute, je t’embrasse bien fraternellement. £Jacques
Mon cher frère Jacques, comme souvent tes propos alimentent ma réflexion et je me permets ici quelques remarques, qui prolongent ton propos plus qu’elles ne le contestent.
Pour moi, les individus s’assemblent en groupes de toutes sortes et il faut un récit imaginaire pour que le groupe “fasse” groupe. Je distinguerais volontiers les récits “structurants”, qui permettent au groupe d’être ouvert sur les autres, parfois a minima. Il serait assez aisé de montrer que ces récits suivent les grandes lois de la dramaturgie : J. Campbell et, plus près de nous, Gilbert Durand ont bien amorcé cette réflexion. Les structures que tu évoques nous renvoient finalement à un ouvrage qui a impacté beaucoup d’entre nous, celui de Wladimir Propp.
Se raccrocher à une tradition n’implique pas d’y croire, il suffit qu’elle soit “structurante” ; les contemporains d’Anderson croyaient-ils vraiment que la franc-maçonnerie remontait à Adam ? Évidemment que non.
Pour ce qui est de la (T)tradition, je suis de ceux qui pensent qu’une relecture de Guénon est nécessaire, pour débrouiller ce qui, dans son propos, relève justement d’un récit symbolique. “Le roi du monde” est-il à prendre au pied de la lettre, ou n’est-ce pas là l’équivalent de “l’Adam” d’Anderson ?
Si la majuscule pose problème, je propose une solution déjà esquissée pour le mot “vérité”, celle d’écrire Vvérité en doublant la majuscule d’une minuscule, comme je l’ai proposé dans un texte déjà ancien.
Voici donc le concept de t(T)tradition, associant “totem tabou théâtralisation”
bien à toi, ton frère Didier.
Heureuse de te lire, TCF Jacques ! Voilà qui répond à mon esprit (?) global et synthétique : simplicité, après un grand, grand, travail intérieur. A se revoir un jour.
Ma TCS Françoise, je suis très content que mes propositions se marient bien avec ta sensibilité..ils viennent de loi : Avec ma double appartenance 75 ans de maçonnerie, tu te rends compte!. A nous revoir pour échanger dans l’unisson.
Bien fraternellement
jacques
Merci pour ces jolis propos insolents. Ils alimentent ma réflexion actuelle sur la raison d’être des “Rituels”.
Mon TCF Philippe,, je suis content que mes propos insolents te conviennent. En fait ils ne font que reprendre ce que l’on connait bien aujourd’hui du fonctionnement de l’humain. Ce dont ne tient pas du tout compte la FM qui est très éloignée de ce point d’un point vue vieillot même si ses fondements restent très solides.
Bien fraternellement
jacques