mer 24 avril 2024 - 21:04

IV- Les Arts libéraux, propos sur la Géométrie

La géométrie est la partie des mathématiques qui a pour objet la mesure de l’étendue et l’étude de ses propriétés.

Terrae mensuras per multas dirigo curas (Avec précision, je mesure la terre).

La géométrie se partage en géométrie plane et géométrie de l’espace suivant qu’elle étudie les figures tracées ou non dans un même plan. Elle est dite analytique, descriptive ou encore infinitésimale lorsqu’elle s’occupe des relations entre les éléments infiniment voisins d’une figure. L’étude des tangentes, des plans tangents, de la courbe appartient à la géométrie infinitésimale.

«La Géométrie est à même de permettre à ses dévots de passer, comme sur un pont, à travers l’obscurité de la nature physique, comme voltiger au-delà des mers sombres jusqu’aux régions lumineuses de la réalité parfaite». La géométrie est l’art de la mesure, au sens propre comme au sens figuré : elle donne le sens de la proportion, de la limite, de l’harmonie, de  la beauté, du vrai et du juste.

L’origine de la Géométrie remonte à la plus Haute Antiquité : Pour les Anciens, la géométrie est indéformable, éternelle et insondable : c’est la langue de Dieu, rendue accessible par la lecture des nombres. On s’accorde généralement à en placer le berceau en Égypte ; mais c’est en Grèce que naquit la vraie géométrie scientifique. Il est dit dans les Étymologies d’Isidore de Séville, au livre IIIe, qu’Euclide fut l’un des inventeurs de la géométrie et qu’il la nomma ainsi, aux environs de 300 avant notre ère à cause des partages des terrains faits au temps de la construction des digues et fossés pour se protéger des inondations du Nil . Euclide écrivit également Les Données qui se situent dans le cadre de la géométrie plane et sont considérées par les historiens comme un complément de ses Éléments, mis sous une forme plus adéquate à l’analyse de problèmes. L’ouvrage contient douze définitions, expliquant ce que signifie qu’un objet géométrique est donné en position, en forme, en grandeur, ainsi que 94 théorèmes. Ceux-ci expliquent comment si certains éléments d’une figure sont donnés, d’autres relations ou éléments peuvent à leur tour être déterminés.

Thalès et Pythagore, les premiers, considèrent d’une manière abstraite les vérités géométriques et c’est à Pythagore que l’on doit la découverte du célèbre théorème du carré de l’hypoténuse. Après eux, la science atteignit son plus grand développement dans les démonstrations d’Archimède et des savants de l’école d’Alexandrie, d’Apollonius, surnommé le grand géomètre, et d’Euclide dont les éléments forment encore aujourd’hui la base de l’enseignement.

À propos du temple de Delphes, Plutarque écrit : «La plupart des oracles d’Apollon prouvent combien ce dieu est versé dans la dialectique… Ainsi l’oracle par lequel il ordonnait de faire un carré double de celui de l’autel de Délos (ce qui est une opération de la plus haute géométrie) ne regardait pas proprement cet autel, suivant Platon, mais était un ordre donné aux Grecs de s’appliquer à la géométrie.»

La civilisation arabe utilise la géométrie du cercle pour composer de complexes figures géométriques et la civilisation gréco-romaine a privilégié la géométrie du carré. D’après les attestations de Proclus,  l’origine de l’art géométrique est attribuée à Pythagore: «à part quelques propriétés géométriques attribuées, sans doute à tort, à Thalès, les pythagoriciens ont été les premiers à étudier la géométrie et les nombres.» Elle permet le tracé des figures mères ou formes archétypes, appelés aussi Théorie des Idées par Platon. Il s’agit des idées archétypes, pures, absolues, primitives, qui servent de modèle à toutes les formes visibles. L’univers est le créateur du modèle de la réalité, il utilise la géométrie comme technique logique de création, donc comme technologie pour harmoniser la réalité, les lois de la géométrie sont les lois de la vérité. Le compas est l’instrument du temps et de l’espace, le cercle fige le temps pour décrire le contenu de son espace.

Au-delà des mathématiques, la géométrie préfigure l’architecture, objet spécial des études du compagnon, lui qui doit construire son temple intérieur avec l’aide de ses voyages, ses quêtes, ses travaux, muni de la règle et surtout du compas. Comme on le voit sur la gravure du XVIe s. de  Martin de Vos «Geometria», la Géométrie y est coiffée d’une couronne de murailles, synonyme de maçonnerie et d’architecture.

L’éloge particulier de la géométrie qui, dès l’époque médiévale, apparaît synonyme de Maçonnerie, trouve sa justification dans le fait que l’homme travaille toujours par mesure. La géométrie est citée en cinquième place après la grammaire, la rhétorique, la dialectique et l’arithmétique dans les arts libéraux. Elle est, selon le terme scolastique la quintessence (quinta essentia), la science la plus noble de toutes, celle qui ouvre sur toutes les autres. Jean Bullant (architecte et sculpteur français de la Renaissance) écrit, en faisant référence au Livre de la sagesse de Salomon, XI, 20 : «sur tous les arts qui sont dits libéraux, servant à tous, tant doctes que ruraux, le principal après l’Arithmétique est le savoir appelé Géométrique, pour parvenir grâce à lui à ceux qui sont plus hauts… Dieu a créé [réglé] les corps et animaux, depuis le ciel jusqu’aux minéraux, par nombre, poids et mesure harmonique. Heureux est donc qui un tel savoir explique, et qui entend secrets si généraux sur tous les arts.»

Bernard de Clairvaux (1090-1153) , abbé de Cîteaux, fit étudier la géométrie par les moines bâtisseurs que ceux-ci nommèrent le «Trait» et l’adaptèrent à l’architecture religieuse dont les ouvriers du bâtiment tirèrent un enseignement qu’ils transformèrent en science dans l’art de concevoir et bâtir des édifices et qui engendrèrent le Compagnonnage avec ses règles strictes de connaissance et de secret.

Pour le franc-maçon, la relation entre géométrie, art royal de l’architecture et édification spirituelle est incontestable, inspirée de la maxime platonicienne, «Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre», inscrite au-dessus de la porte de l’école de Pythagore. Et Platon de rajouter : «La géométrie est une méthode pour diriger l’âme vers l’être éternel, une école préparatoire pour un esprit scientifique, capable de tourner les activités de l’âme vers les choses surhumaines…» Mais n’oublions pas qu’il a ajouté à cette célèbre phrase «mais que nul n’y demeure s’il n’est que géomètre».

Histoire et Géométrie de la chapelle de Calberte avec  Daniel Darnas et Jean-Claude Pasca (V3). Les Sentiers Initiatiques 

Être géomètre, c’est être capable de démontrer les choses par soi-même.  Comme  il est écrit dans le texte La géométrie sacrée de Pacioli (p.13) : «la Géométrie s’occupe de formes pures et la géométrie philosophique retrace l’épanouissement de la forme de celle-ci. C’est la manière par laquelle le mystère essentiel de la création est rendu visible. Le passage de la création à la procréation, de l’idée formelle pure et non manifestée à l’idée de l’ici-bas, le monde qui fait durer au coup du divin originel, peut être dressé avec la géométrie et pratiqué à travers les exercices de géométrie.»

Il convient de noter le plus ancien de tous les documents maçonniques connus, le manuscrit de Halliwell (parfois appelé le Poème de Régius), s’ouvre sur la ligne : Hic incipiunt constituciones artis gemetriae secundum Eucyldem  (Ici commencent les constitutions de l’art de la géométrie selon Euclide).

On trouve dans le Cooke Manuscrit d’environ 1410 : «Vous devez savoir qu’il y a sept sciences libérales ; grâce à elles, toutes les sciences et techniques de ce monde ont été inventées. L’une d’elles, en particulier, est à la base de toutes les autres, c’est la science de la géométrie. Parmi les sept sciences libérales par lesquelles toutes sciences et tous métiers au monde ont été fondés à l’origine, la géométrie [bien que classée 5ème ou 6ème] est la cause de tout [dans la tradition compagnonnique] : c’est-à-dire que la science de la géométrie est  au-dessus de toutes les autres, «car il n’est pas d’art travaillé par la main des hommes qui ne le soit, par la géométrie.» Cette idée se trouve dans la partie historique des Old Charges, comme dans le Manuscrit Inigo Jones de 1607 : Les gens de la terre, les marins, les planteurs, tous ont recours à la Géométrie, car ni la Grammaire, ni la Logique et aucune des autres Sciences ne peuvent exister sans la Géométrie ; science des plus estimables et des plus honorables. Le Manuscrit Dumfries (1710) attire l’attention sur la géométrie et raconte comment elle fut amenée en France par un certain Minus Grenatus, alias Green, qui avait aidé à construire le Temple de Salomon et comment son œuvre fut grandement aimée par Charles Martel. Pour des évocations de la suprématie de la géométrie sur les autres sciences dans les textes, consulter le Dictionnaire des symboles maçonniques par Jean Ferré à partir de la page 166. 

Pour William Preston dans son Discours sur le deuxième grade,  la lettre G signifie bien Géométrie et énonce dans le premier alinéa de la clause 9: «Quelle est la signification morale de la géométrie? Dans cette recherche, nous sommes en mesure de retrouver la nature sous ses formes diverses et dans ses recoins les plus secrets, comme si par le biais de cette science, il nous y était possible de découvrir la Sagesse, le Pouvoir et la Bonté du Grand Architecte de l’Univers et examiner avec un plaisir sans bornes, les proportions sublimes qui unissent et sanctifient les fruits de la création.» 

Sur le frontispice des Constitutions d’Anderson on retrouve la figure du théorème du fameux triangle rectangle  de Pythagore  «qui est le fondement de toute la Maçonnerie, sacré, civile, et militaire» ; manière de le reconnaître, sans doute, comme le père de la géométrie mais insistant, aussi, sur le nécessaire savoir qu’apporte la géométrie à un esprit éclairé.

Pour Mackey, la géométrie et la maçonnerie étaient à l’origine termes synonymes, «la géométrie est de nature divine et morale, enrichie de connaissances les plus utiles, de sorte que même si elle prouve les merveilleuses propriétés de la nature, elle démontre les vérités les plus importantes de la moralité. À n’importe qui sauf un franc-maçon le l’idée de géométrie fournissant la vérité morale divine est tout à fait étrangère et incompréhensible. Pourtant, pour nos premiers frères, c’était presque certainement le cas. La géométrie et ses alliés, les branches de la trigonométrie, de l’architecture et de l’astronomie, était la seule science exacte connue, et en tant que tel, il est devenu un emblème de la perfection morale».

Comme le dit Jean-Michel Mathonière, “la géométrie, cette science hors du commun qui trouve son sommet dans la stéréotomie, matérialise en quelque sorte l’aptitude du maçon à saisir la complexité du monde. Car le «maçon de pratique» doit maîtriser à la fois l’action très physique de la taille et de l’appareillage des pierres avec de lourds outils mais aussi la subtile discipline de l’art du trait et de ses délicates épures. Penser la matière et construire le monde, c’est peut-être cela que les «opératifs» ont transmis à leurs lointains descendants «spéculatifs». Ce secret des origines est encore au cœur de leur identité maçonnique”.

La géométrie sert de passerelle entre le nombre et le symbole. Dans bien des cas, le symbole est d’inspiration géométrique, mais toute forme géométrique n’est pas symbolique car enfin nul n’entre ici s’il n’est que géomètre.

Ancêtre de la géométrie moderne, la géométrie de Platon était donc exclusivement une science spirituelle dont la finalité n’était pas de former les étudiants à l’esprit mathématique, ni aux méthodes de mesures quantitatives, mais plutôt à ouvrir leurs intuitions à l’appréhension des réalités spirituelles et à leur rendre intelligibles les lois de la création métaphysique du cosmos et la terre, ces espaces où se déploient les «formes», c’est-à-dire, les corps physiques. Euclide n’a-t-il pas donné le nom de Géométrie à ce qui est appelé maintenant Maçonnerie à travers toutes les nations ? On comprend l’intérêt des francs-maçons pour la géométrie. Fille de la géométrie, la Maçonnerie peut reconnaître en Euclide son génial précurseur. Elle peut se retrouver dans les constructeurs des pyramides et leurs secrets, et faire d’Hiram l’architecte du Temple de Salomon, un Maître et son exemple.

La géométrie du maçon par François-Nicolas Noël, 1812, est un des plus beaux ouvrages sur la géométrie mystique chrétienne.

Illustration faisant partie de la planche XI du The Hortus Deliciarum qui présente les sept arts libéraux.


[1] commons.wikimedia.org/wiki/File:Geometria,_from_The_Seven_Liberal_Arts_MET_DP869284.jpg

3 Commentaires

  1. Bonjour. Au bahut j’ai adoré la géométrie. J’en ai appris à être pragmatique, concis et précis et… n’avoir pas trop de considération pour ce que l’on appelle “le brouillard verbal ou bavardage inutile”. L’article ci-dessus semble être une production universitaire typique = 92% de copié-collé et 8% de “commentaire”. Au final pour aboutir à quoi ? nous dire que la Géométrie est un art supérieur, qui donne accès à un esprit structuré et cohérent ? On l’a su ! Si l’article avait par exemple suggéré ou indiqué une manière ludique ou inédite, comment accéder ou aborder la Géométrie pour en gouter les bienfaits, il aurait été comme cette sauce qui révèle ou sublime le goût des aliments. S’il avait montré comment la compréhension de la Géométrie pouvait faciliter, voire favoriser l’ouverture d’esprit et l’accès à la cohérence, il aurait été d’une utilité certaine . Mais non, il se contente de citer… Plus frustrant, l’article n’évoque même pas les géométries non-Euclidiennes ; (Reimann, Lobatchevsky…) ; celles qui ont permis la mise en équation et la compréhension des idées géniales et révolutionnaires d’Einstein (et d’autres). Sans parler de la Géométrie a plusieurs dimensions..
    Désolé ma TCS mais, la note est : nettement insuffisant, peut mieux faire (ou ne pas faire)..

    • Je comprends ces remarques critiques de fond que j’aurais pu faire moi-même, sans jugement toutefois. L’article, ayant comme objectif de présenter l’intérêt de la géométrie en Franc-maçonnerie, est illustré par des textes qui l’ont évoquée dont je rapporte quelques contenus qui sont évidemment des copiés/collés (c’est de la maçonnologie). Je ne m’adresse pas à des spécialistes en mathématiques pour lesquels un tel sujet justifierait plusieurs ouvrages, je ne cherche pas davantage à donner un cours sur ce sujet. Quant à la manière “ludique” et simple d’aborder la géométrie POUR un Franc-maçon, j’en ai fait un ouvrage à paraître en septembre. Quand, mon Frère, tu dis que “La géométrie donne accès à un esprit structuré et cohérent”, je me permettrais de souligner que pour ma part, je considère qu’en formation des compagnons, ils ont déjà cet esprit.J’essaie davantage de leur montrer, par la réalisation de tracés avec règle et compas, le lien entre la forme et l’abstraction, que partant d’une unité il y a en germe la création, que la géométrie est surtout un chemin de réflexion spirituelle (faire de la Maçonnerie).
      Nous serions très heureux, mon cher Frère, que tu écrives dans nos colonnes, un article venant compléter mon “insuffisante” approche. Je peux certainement mieux faire, je m’y emploie et ton aide fraternelle pourrait y contribuer.

  2. Merci pour la proposition mais je ne me vois pas écrire un article sur l’importance de la géométrie. Je pense qu’elle n’en a pas besoin. Sa rigueur même, vient nous en dissuader. Pour s’en imprégner il reste à l’étudier.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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