sam 23 novembre 2024 - 03:11

Le secret maçonnique à l’honneur sur France Inter

La société discrète des francs-maçons, née au début du XVIIIe siècle, a suscité autant de fantasmes que de suspicions depuis sa création. Comment les Lumières ont-elles façonné la franc-maçonnerie ? Qui ont été les principaux détracteurs de cette confrérie répartie en différentes loges ?

avec :

Emmanuel Kreis (historien, spécialiste de l’antijudéo-maçonnisme et du conspirationnisme), Cécile Révauger (historienne, professeure émérite à l’Université Bordeaux Montaigne, spécialisée dans l’historiographie de la franc-maçonnerie).

En savoir plus

En 1906 paraît un ouvrage au titre sans mystère : Les Sociétés secrètes, leurs crimes, depuis les initiés d’Isis jusqu’aux francs-maçons modernes. Il est signé André Baron, journaliste nationaliste, sans surprise antidreyfusard, antisémite, antiparlementaire et proche de l’Action française. En exergue du livre se trouve un extrait de l’Encyclique Humanum Genus, contre la franc-maçonnerie, du pape Léon XIII, en 1884. L’auteur explique que “l’histoire des Sociétés Secrètes emplit d’énormes et nombreux livres en toute langue. Et malgré cela, les Sociétés Secrètes savent exercer une suggestion si habile sur les meilleurs esprits, qu’elles sont parvenues à faire complètement négliger, par presque tous les historiens, leur influence dans le monde, ainsi que leurs scélératesses de toute nature”.

Face à tant de scélératesse, laissons la parole aux historiens et aux historiennes.

La franc-maçonnerie, fruit des Lumières

Au début du XVIIIe sièclela première loge maçonnique voit le jour en Angleterre. Souvent itinérants, les maçons avaient pris l’habitude de se regrouper en guildes et de se retrouver pour échanger, affiner leurs techniques, se rencontrer. Ce sont ces premiers foyers de sociabilité qui seraient petit à petit devenus les loges.

La naissance de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle n’est pas qu’une progressive transformation des guildes professionnelles. Cette société est bel et bien le fruit de son siècle, un phénomène des Lumières qui voit le jour dans le sillage politique et culturel de la Glorieuse Révolution et du Bill of Rights de 1689. Les maçons se réunissent autour de valeurs communes : la tolérance, la liberté d’expression et de pensée, l’art de la conversation et du débat d’idées. Ces nobles, artisans, dissidents religieux, intellectuels et protestants whigs se regroupent d’abord dans des auberges puis, à partir de la fin du XVIIIe siècle, dans des loges.

La franc-maçonnerie ne tarde pas à traverser la Manche. Les premières loges voient le jour en France à partir de la fin des années 1730. Au siècle suivant, après le coup d’arrêt porté par la Révolution aux loges de l’Hexagone, la maçonnerie française s’émancipe de l’obligation de croire en Dieu et une scission se crée avec la maçonnerie anglo-saxonne.

“Dans l’esprit des Lumières, on rejetait les dogmes. L’important était cette tolérance religieuse telle que promue par John Locke et son essai sur la tolérance. Il fallait avoir une croyance, mais c’est tout. James Anderson le dit bien, l’important, c’est de croire, peu importe en quoi, ce qui est excessivement tolérant pour l’époque”, explique l’historienne Cécile Révauger“Les Lumières anglaises ne voient pas de contradiction entre religion et raison, contrairement à ce qui se passait en France avec Voltaire qui disait qu’il faut écraser l’infâme”.

Le développement d’un antimaçonnisme

Le XIXe siècle est également le siècle où se développe l’antimaçonnisme et l’idée d’un complot judéo-maçonnique. Les loges sont accusées par les milieux catholiques intégristes et de droite radicale de s’adonner à des pratiques païennes voire sataniques, mais aussi d’ourdir des complots de domination du monde.

“Il existe un antimaçonnisme dès le XVIIe siècle. Les premières traces apparaissent en 1698 en Angleterre. Certes l’Église joue un rôle dans cet antimaçonnisme, mais les premières condamnations proviennent des pouvoirs civils dans les Provinces-Unies dès 1734. S’ensuivent une vague de condamnations de la part de différents pouvoirs laïcs à travers l’Europe qui s’inquiètent pour la sécurité de leurs États, de réunions qui sont discrètes”, précise l’historien Emmanuel Kreis.

Diffusées par le biais de revues et de conférences, les idées antimaçonniques ne tarissent pas au début du XXe siècle et les principaux antimaçons se regroupent au sein de la Revue internationale des sociétés secrètes, où ils laissent libre cours aux discours antimodernes. Plusieurs des membres de cette revue fournissent, à la fin des années 1930, une partie des cadres du régime de Vichy et participent à la répression des francs-maçons au sein du Service des Sociétés secrètes. Le souvenir de ces persécutions explique en partie l’attitude des francs-maçons d’aujourd’hui qui, s’ils nient appartenir à une société “secrète”, reconnaissent sans peine qu’elle est discrète.

Pourquoi la franc-maçonnerie a-t-elle suscité tant de haine, de fantasmes, de suspicions ? Autour de quelles valeurs, de quels symboles et de quelles idées les francs-maçons se réunissent-ils ?

À lire aussi : Où sont les franc-maçonnes ?

Pour en parler

Cécile Révauger est historienne, professeure émérite à l’Université Bordeaux Montaigne, spécialisée dans l’historiographie de la franc-maçonnerie et des Lumières.

Elle a notamment publié :

Emmanuel Kreis est historien, spécialiste de l’antijudéo-maçonnisme et du conspirationnisme.

Il a notamment publié :

Sons diffusés dans l’émission

  • Extrait d’un micro-trottoir sur les francs-maçons de l’émission “Les francs-maçons à visage découvert”, dans Les Dossiers de l’écran en 1975 et extrait de la même émission sur les rites maçonniques
  • Lecture par Olivier Martinaud d’un extrait des Constitutions d’Anderson, texte fondateur de la franc-maçonnerie publié en 1723
  • Archive d’une messe intégriste dite par Monseigneur Lefebvre à Lille sur Antenne 2 le 29 août 1976
  • Lecture par Olivier Martinaud d’un extrait de l’ouvrage Les Juifs, nos maîtres d’Emmanuel Chabauty, chapitre X, 1882
  • Archive de propagande à propos d’une exposition maçonnique au Petit Palais dans les Actualités françaises du 30 octobre 1940
  • Montage mêlant Le Chant du départ de Marie-Joseph Chénier (1794), LInternationale d’Eugène Pottier (1871), La Marseillaise de Rouget de Lisle (1795), Le Chant des partisans sur des paroles de Joseph Kessel (1943) et Le Temps des cerises de Jean-Baptiste Clément (1868)

Générique de l’émission : Origami de Rone

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