mar 10 décembre 2024 - 00:12

De la politique en Loge

Il paraît qu’on ne parle pas de politique ou de religion en Loge. En effet, ça pourrait, dit-on, diviser la concorde, la paix ou l’harmonie. Pire, cela pourrait donner à des Frères l’impression d’être contraints et d’adopter une position qu’ils n’auraient normalement jamais adoptée.

Mais quelle tartufferie ! Ce simple fait relève déjà de la politique. D’ailleurs, les conservateurs de tout bord apprécient beaucoup la maçonnerie qui ne discute ni politique ni religion et qui se contente de cérémonies au demeurant bien faites.

Et je rappelle aux esprits chagrins que des discussions et des sessions d’informations sur les sujets sensibles peuvent être organisées, sans que celles-ci ne donnent lieu au vote d’une quelconque position politique.

En fait, la moindre de nos actions, y compris en Loge est politique. La preuve, dans nos loges, nous avons nos propres politiciens et nos calculs politiques, puisque nous votons.

Le mandat d’un Vénérable de la Loge a une durée déterminée dans les règlements de la Loge, ou à défaut, dans la Constitution de l’Obédience. Comme dans toute association ou organisation, la Loge dispose d’un exécutif dirigé par son Vénérable. Le Vénérable est élu sur la base d’un programme, qu’il s’engage à respecter. Et si j’étais cynique, je rajouterais que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Généralement, ça se passe plutôt bien. Mais il y aura toujours une poignée de mécontents qui au moindre dysfonctionnement exigeront la démission du Vénérable.

Cette posture d’exigence m’a toujours un peu gêné, même s’il m’est arrivé de considérer qu’un Vénérable pouvait se révéler incompétent ou si j’étais en désaccord avec l’action du Vénérable. En fait, le Vénérable est élu sur la base d’un système démocratique. En tant qu’élu, il n’a pas à démissionner même si sa démission est exigée. Car ceux qui exigent sa démission n’ont tout simplement pas la légitimité nécessaire pour le faire. Et du point de vue légal, on ne peut pas, on ne doit pas forcer un élu à démissionner. Par contre, on peut toujours demander sa destitution auprès de l’instance juridique compétente, sur la base de faits et le respect du débat contradictoire. Mais cela peut prendre du temps. Beaucoup de temps pour un résultat pas forcément à la hauteur de l’espérance engagée. En fait, dans un système autoritaire et non démocratique, on peut exiger la démission d’un responsable ou faire pression sur l’autorité pour que le responsable incriminé soit éjecté. Mais dans un système démocratique, dont les modes de scrutin sont contrôlés, exiger une démission est un contresens complet, même si sur l’instant, ça soulage.

C’est là le jeu de la démocratie : accepter que son camp a perdu l’élection et se soumettre à l’autorité du représentant de la loi, en l’occurrence de la Vénérable de la Loge.

La seule solution valable reste politique : au moment du renouvellement des instances de pouvoir, faire campagne et espérer que son camp l’emporte.

Parlant de scrutin, il me paraît important de rappeler cet acte de civisme élémentaire : quand il y a une élection, on se déplace et on vote. Et on ne vient pas protester après parce que le Vénérable ne nous plaît pas. Trop souvent, je vois des moments démocratiques souffrant de ce mal contemporain, l’abstention. Certes, on a toujours de bonnes raisons de ne pas venir voter : j’ai piscine, le petit fait une rougeole, il y a un match de foot à la télé etc. Mais dans ce cas, on se tait et on attend les prochaines élections ! Et on s’arrange pour avoir le droit d’exercer son devoir de voter. Car les candidats et leurs militants ont une approche plutôt efficace : ceux qui veulent voir leur candidat réussir viendront voter, même si numériquement, ils ne représentent pas la majorité. Petit exemple, prenons un atelier de 60 personnes, qui doit élire son Vénérable. Le candidat est populaire auprès de 20 % de l’effectif, et les autres ne l’apprécient pas. Il peut avoir des concurrents, mais sans réelle possibilité de le mettre ne fût-ce qu’en ballotage. Le jour du scrutin, ne viennent vraiment que ses sympathisants, les autres décidant de s’abstenir. Comme le quorum est atteint, le candidat est élu à la majorité des suffrages exprimés, sachant que l’abstention est très forte. Se pose alors un véritable problème de démocratie : un candidat ne représentant pas la majorité de l’effectif des votants de la Loge mais seulement une fraction mais ayant rassemblé la majorité au scrutin est-il légitime ? J’avoue ne pas avoir de réponse. Mais je m’interroge réellement sur le sens de ce type de scrutin et sur le danger qu’il fait peser sur la démocratie : la construction d’un suffrage non plus universel, mais restreint aux seuls militants d’un candidat. D’où la vraie question qui me taraude : comment ramener les électeurs vers les urnes pour éviter un déni de démocratie ? Peut-être que la solution est à chercher dans le passé, notamment dans la Commune de Paris, qui en 1871 avait instauré un mandat impératif. Le candidat devait respecter son programme, sous peine d’être éjecté par une instance de contrôle de la démocratie. Peut-être que l’instauration de tels mandats motiverait les électeurs à se déplacer et les Vénérables de la Loge à respecter le programme pour lequel ils se sont engagés… Et peut-être devrions-nous réfléchir à une meilleure prise en compte du vote blanc, quitte à éjecter les candidats ne rassemblant pas assez les votants et refaire le tour de scrutin si aucune tendance sérieuse ne s’est dégagée ?

La Franc-maçonnerie devant améliorer l’Homme et la Société, peut-être que nos Ateliers et Obédiences devraient y réfléchir et tester ce mode de scrutin et de mandat pour le proposer ailleurs ?

Mon texte vous a plu (ou déplu) ? Je vous propose l’expérience suivante : dans ce qui précède, vous substituez Président à Vénérable et République à Loge, en vous appuyant sur l’excellent ouvrage du chercheur français en mathématiques David Chavalarias, Toxic Data – Comment les réseaux manipulent notre opinion, qui pose la question de la démocratie en termes de mathématiques. Et on en reparle en avril prochain.

Je vous embrasse.

2 Commentaires

  1. Il y a un paradoxe à vouloir calquer les règles de la démocratie et du vote profane sur une élection en loge.
    Certes, dans le monde profane, on peut contester la légitimité d’un élu quand il y a un fort taux d’abstention.
    C’est le cas de l’actuel chef de l’état Emmanuel Macron qui n’a été élu qu’avec moins de 44 % des électeurs inscrits. Et ce chiffre est encore plus bas si on inclut les électeurs qui ne se sont pas inscrit sur une liste électorale.
    Mais dans le monde maçonnique, on ne devrait pas s’abstenir au nom d’un principe de responsabilité.
    Il en est de même quand une candidat récupère des boulles noires alors qu’il n’y a eu aucune intervention négative quand la parole a circulée. Et pourtant le courage de ses opinions devrait être une vertu maçonnique.
    Quand à introduire des débats de politique politicienne en loge, c’est à éviter car la politique a la vertu de déchainer les passions.
    Pratiquant les réseaux sociaux, je peux assurer qu’il y a un nombre non négligeable de maçons ou de maçonnes qui oublient totalement le respect dù aux avis contraires, ou même aux avis qui modèrent un peu leur propre opinion.
    C’est bien beau de prétendre que la Vérité ultime n’existe pas et ne pas tolérer qu’il y a plusieurs vérités selon les opinions de chacun.

  2. Les officiers de la Loge ne sont élus sur un programme, sur un avoir à faire mais sur un avoir à être. Ils ne s’engagent pas en vertu d’options profanes.
    Ils sont choisis en vue de perpétuer l’Institution, de lui assurer, dans toutes les circonstances, l’équilibre nécessaire et de conserver rigoureusement le respect de la liberté de chacun qui a consenti à entrer dans un ordre, c’est-à-dire à obéir à une règle qui est celle des règlements généraux et du rituel pratiqué par l’atelier.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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