jeu 25 avril 2024 - 01:04

Les résidences de l’Arche

Le Manuscrit Graham de 1726[1], catéchisme maçonnique, rapporte trois récits légendaires dont celui de Bazalliell – qui construisit le tabernacle –  prenant place entre celui de Noé et celui d’Hiram[2].

Sans transition avec la légende de Noé, le Manuscrit Graham raconte que pendant le règne du roi Alboyn naquit Bazalliell, qui fut appelé ainsi par Dieu avant même d’être conçu dans la matrice. Et ce saint homme sut par inspiration que les titres secrets et les attributs principiels de Dieu étaient protecteurs, et il bâtit en s’appuyant dessus, de sorte qu’aucun esprit infernal et destructeur n’osa prétendre renverser l’œuvre de ses mains. Aussi ses ouvrages devinrent si fameux que les deux plus jeunes frères du roi Alboyn, déjà nommé, voulurent être instruits par lui de sa noble manière de construire. Il y consentit à la condition qu’ils ne la révèlent pas sans que quelqu’un soit avec eux pour composer une triple voix. Ainsi ils s’engagèrent par serment et il leur enseigna les parties théoriques et pratiques de la Maçonnerie. Alors les salaires des maçons augmentèrent dans ce royaume, des maçons furent comptés parmi les rois et les princes.

Cependant, Bazalliell à l’approche de la mort voulut être enterré dans la vallée de Josaphat[3] et que fut gravée une épitaphe selon son mérite. Ceci fut accompli par ces deux princes et il fut gravé : ci-gît la fleur de la maçonnerie, supérieure à beaucoup d’autres, compagnon d’un roi et frère de deux princes. Ci-gît le cœur qui sut garder tous les secrets, la langue qui ne les a jamais révélés.

Alors, après sa mort les habitants de ce pays crurent que les secrets de la Maçonnerie étaient complètement perdus parce qu’on n’en entendait plus parler car personne ne les connaissait, à part ces deux princes qui s’étaient engagés par serment à ne pas les révéler sans quelqu’un d’autre pour former une triple voix.

L’intérêt de cette légende est l’affirmation que seule fut perdue l’expression de la parole, mais que cette parole existe toujours.

Ainsi racontée, l’histoire de Betsaléel est un prototype de la Légende d’Hiram.

Dans les Constitutions d’Anderson de 1738 apparaît un certain constructeur, Betsaléel, qui pourrait bien être le Bazalliell du Manuscrit Graham. Artisan expérimenté du Tabernacle et de ses accessoires, de l’Arche, de ses ornements et des vêtements sacerdotaux, il était doté de la sagesse divine, versé dans la Torah, le Talmud et la science des lettres, ancêtre de Salomon et compagnon d’Oholiav (l’Aholia des Constitutions de 1738 et, peut-être, Alboyn du Graham) avec lequel il a contemplé le sanctuaire céleste sur le Sinaï.

Betsaléel (בְּ צַ לְ אֵ ל) apparaît dans la Bible (Exode 35, 30 à 35) comme le premier constructeur du temple mobile des Hébreux abritant le tabernacle dans le désert. Le nom de Betsaléel signifie probablement : « à l’ombre de Dieu » (étonnant quand on sait qu’il aurait sculpté les chérubim qui obombraient l’Arche d’Alliance), ou « sous sa protection » ; celui d’Oholiav : « la tente du père ». Outre sa capacité à exécuter «toutes sortes d’ouvrages, pour concevoir des projets, pour travailler l’or, l’argent et le bronze, pour tailler des pierres à enchâsser, pour sculpter le bois de manière à réaliser toutes sortes d’ouvrages», il savait, dit le Talmud, combiner les lettres par lesquelles furent créés le ciel et la terre. Il eut ainsi la responsabilité de la fabrication du pectoral (poche à oracles qui renfermait l’Ourim et le Toummim, c’est-à-dire les moyens de divination qui guidaient les règnes des rois d’Israël) et de l’éphod du grand prêtre (‘hochen éphod, וְאֵפוֹד חֹשֶׁן). C’est avec le shamir qu’il aurait pu graver le pectoral [sculpture généralement attribuée à Moïse], considéré comme le secret (un article de 450.fm lui sera prochainement consacré).

Il réalisa aussi la ménora selon le modèle montré à Moïse au moment de la révélation du Sinaï[4]. Ce candélabre devait être fait en un seul bloc d’or, seul un artisan hors du commun aurait pu exécuter une telle prouesse.

C’est grâce à trois vertus que le premier temple fut construit par Betsaléel car il est écrit en Exode 31,3 : «Je [dieu] l’ai rempli de l’esprit d’Élohim en sagesse, en intelligence et en savoir[5]», vertus que l’on retrouve en Hiram dans I Roi 7, 14 «rempli de sagesse, d’intelligence et de savoir». On peut rapprocher les capacités de Betsaléel de celles d’Hiram dans le 2ème Livre des Chroniques 12-13 : «je t’envoie donc maintenant un spécialiste doué d’intelligence, Houram-Abi, fils d’une femme danite et d’un père tyrien, qui sait travailler l’or, l’argent, le bronze, le fer, la pierre, le bois, la pourpre, le violet, le lin et le carmin, exécuter toute sculpture et réaliser tout projet qui lui sera confié.»

Le Temple du désert

En hébreu cette construction prend aujourd’hui le nom de mishkan (la Demeure). Mais les textes disent aussi ohel moed en hébreu, c’est-à-dire Tente du Rendez-vous, de la rencontre ou de la Fête. En français on trouve plus communément «Tente d’Assignation». Elle abritait ce qui sera appelé plus tard l’Arche d’Alliance. C’était un lieu de  théophanie. Dans la Paracha «Térouma», toute la construction du Tabernacle et de ses ustensiles est présentée, en menus détails : «le Sanctuaire était composé de 48 planches, 96 socles, 10 tentures latérales, 100 agrafes pour ces tentures, 50 crochets pour ces agrafes, 11 tentures en peau de chèvre pour le toit du Tabernacle, 100 agrafes pour ces tentures, 50 crochets pour les dites agrafes, 15 poutres, 96 anneaux, 1 rideau intérieur, 4 piliers supportant ce rideau [6] , 4 socles pour ces piliers, 4 crochets, 1 panneau masquant l’entrée du Tabernacle, 5 piliers pour suspendre ce panneau, 5 socles, 5 crochets, 1 Arche sainte, 1 couvercle pour cette arche, 1 paire de chérubins, 1 table, 1 lampadaire, 1 autel pour l’encens, 1 autel pour les sacrifices, 1 vasque pour les ablutions» ; soit un total de 613 éléments, correspondant aux 613 Mitsvoth (commandements), montrant le lien étroit entre le Don de la Torah et la construction du Tabernacle (Eric Daniel El-Baze, Secrets de Kabbale – Livre 2 : Shémoth, Edilivres).

C’est dans l’Exode, 25 à 27 que nous trouvons les instructions données à Moïse pour la construction du Tabernacle, et dans l’Exode, 35 à 40, le récit de l’accomplissement du travail. Les voiles qui délimitaient l’espace sacré étaient soutenues par des poteaux en bois de shittim. C’était un lieu de culte mobile pour les Hébreux depuis le temps de la sortie d’Égypte, puis de la conquête du pays de Canaan relatée dans le Livre des Juges, jusqu’à ce que ces éléments fassent partie du Temple de Salomon aux alentours du Xe siècle av. J.-C. Le mishkan, tel qu’il est décrit dans la Torah, a fonctionné pendant les 40 ans du Désert (durée de l’Exode), puis en Israël jusqu’à la construction du Temple de Salomon, soit environ 480 ans. Toutefois, David avait transférée l’arche de D. de Kiryat-Yearim dans la résidence qu’il lui avait aménagée : il avait, en effet, dressé pour elle un pavillon à Jérusalem (2chroniques 1,4).

Le parvis à ciel ouvert (en accès aux seules tribus d’Israël) contient une tente fermée divisée en Saint (seuls les Lévites peuvent y pénétrer) et Saint des saints (seul le grand prêtre, le Cohen agadol, descendant d’Aaron, vient y prononcer le nom de D. le jour de kippour).

Pour Martinès de Pasqually, le Tabernacle est le type de la forme apparente de l’univers, et fait quatre sortes d’allusions spirituelles : au monde surcéleste (l’intérieur du tabernacle), au monde céleste (les 4 portes pour entrer dans l’enceinte du tabernacle), au monde terrestre (l’extérieur du Tabernacle), au corps de l’homme. La construction du tabernacle permet de faire de chacun un temple.

«Je serai parmi vous», Haïm Korsia au siège de la GLNF

Le corps de l’homme, le tabernacle, et le Temple de Salomon, sont la répétition de la création, et l’image du grand temple universel.

Pour l’approche archéologique et historique on se rendra avec intérêt sur les huit cours de Thomas Römer au Collège de France : L’Arche d’alliance : mythes, histoires et histoire : college-de-france.fr/site/thomas-romer/course-2017-2018.htm.

L’Arche d’Alliance

Probablement inspirée par la barque sacrée des Égyptiens, ou par le transport des divinités  assyriennes (comme on le voit sur leur iconographie au 8ème siècle av. J.-C.), l’Arche dite de Dieu contenait sans  doute, au début, la statue du dieu tutélaire Yahvé (hypothèse de Thomas Römer : persee.fr/doc/asdi_1662-4653_2007_num_2_1_869). Les dieux se trouvent ainsi localisés et contenus sur la base d’une sorte de respect des spécificités propres à chacun.

On retrouve l’Arche de Yahvé à Gilgal, à Béthel, à Sichem, à Silo, avant qu’elle ne soit capturée par les Philistins, puis restituée aux Israélites (là où elle se trouvait, des fléaux s’abattaient sur les Philistins) à Beth Semesh, alors frontière entre les royaumes d’Israël et de Juda. Elle fut déposée ensuite à Kiryat-Yearim pendant une vingtaine d’années selon le Texte (I samuel, 7, 2). Puis, David la conduisit à Jérusalem, en attendant que Salomon eût construit le Temple afin de l’y abriter.

Dans les campements, et jusqu’à la construction du Temple de Salomon, l’Arche fut placée dans le Tabernacle, le temple du désert. Symbole de la présence de Dieu parmi les Hébreux et de son union intime avec eux : «Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai au milieu d’eux». L’Arche fut confiée à la garde de la tribu des Lévi ; elle n’était visible et accessible que par les grands prêtres lévites. Nôtscher fait remarquer qu’il faut comprendre que dans les Psaumes (17 et 62) « voir la face de Dieu » décrit l’entrée dans le sanctuaire où se trouve la statue divine. Personne ne devait la toucher au risque d’être foudroyé instantanément.

Ses dimensions sont décrites dans Exode ; 25, 10 : «On fera une arche en bois de chittîm, ayant deux coudées et demie de long, une coudée et demie de large, une coudée et demie de hauteur.»

Avec le roi Josias, toujours en bois d’acacia, son contenu change, il l’appellera l’Arche de l’Alliance. De mobile elle deviendra sédentaire au cœur du Temple de Jérusalem. Elle contient alors les 10 paroles reçues au Mont Sinaï par Moïse – les Tables de la Loi – entourées par deux gardiens, les chérubim. On trouve dans l’Ancien Testament de nombreux passages (2Rois 22, 8 à13 et II Chroniques 34, 14 à 33) relatifs à une narration de la redécouverte du Livre de la Loi sous Josias avec ses 613 commandements.

Lors de l’invasion de Nabuchodonosor, roi de Babylone, Jérémie la cacha dans une caverne du mont Nébo ; mais elle n’a pas été replacée dans le Temple et a disparu. Il existait, cependant  un projet des prêtres, de retour de l’exil à Babylone, de la  reconstruire (lors de l’édification du 2ème Temple). Elle eut été couverte d’or, placée sous les chérubim ; sa description se trouve dans le récit de l’Exode 25, 10 à 20. Les archéologues et historiens tiennent cette version pour une fiction et pourtant, elle est tenue pour vraie encore aujourd’hui. D’ailleurs dans II Chroniques 3 ; 11 à 13 la description des chérubim ne correspond pas à ce couvercle (Les ailes de ces chérubins avaient donc une envergure de vingt coudées; quant à eux-mêmes, ils se tenaient debout sur leurs pieds, la face tournée vers l’édifice). Et en II Chroniques, 5 ; 8 : Les chérubins déployaient leurs ailes dans la direction de l’arche, de sorte qu’ils couvraient, en les dominant, l’arche et ses barres.

Lorsque le roi Salomon construisit le Temple, il était conscient que celui-ci serait détruit. C’est la raison pour laquelle il aurait fait aménager une chambre souterraine au bout d’un labyrinthe, pour y cacher l’Arche Sainte, le moment voulu. Il est écrit (2Chroniques 35) que le roi Josias donna l’ordre aux Lévites d’enfouir l’Arche dans la chambre construite par Salomon. On y enfouit aussi le bâton d’Aaron, le flacon de manne et l’huile d’onction (hypothèse formulée aussi dans la Lettre aux hébreux). Tous ces éléments n’ont pas été remis à leur place pendant la période du deuxième Temple. Certains ont pu considérer les colonnes Jakin et Boaz du Temple de Salomon comme des engins de levier, permettant d’actionner un mécanisme à l’intérieur du Saint des saints ; l’assemblage de leur nom signifiant : «il érigera» «avec la force». En plus de décrire la grandeur du Dieu des Hébreux, ces colonnes auraient constitué un système avec base et force de sable faisant pivoter un levier qui devait soulever ou abaisser l’Arche d’Alliance placée dans l’espace sacré du Saint des saints, afin de la protéger. 

La pierre fondamentale du Temple est celle qui supporte l’Arche d’Alliance. Elle-même possède une valeur cosmique ; elle est la pierre de Béthel, sur laquelle Jacob endormi put contempler les cieux ouverts. C’est le centre du monde. Le point de communication entre le monde terrestre et le monde divin, l’axis mundi.

Pour compléter intelligemment avec des explications archéologiques surprenantes de Thomas Römer : college-de-france.fr/site/thomas-romer/p716264656218907_content.htm.

En Franc-maçonnerie, au XVIIIe s., le Dumfries no 4 explique le mystère de l’Arche d’Alliance ainsi : «Elle représente aussi bien le Christ que le cœur des fidèles. Car, dans.la poitrine du Christ était la doctrine, tant de la Loi que de l’Évangile… Le Christ fut la vraie manne qui descendit pour donner la vie au monde. La Table de la Loi nous incite à l’amour et à l’obéissance. La verge d’Aaron couverte de fleurs signifie la douceur de l’Évangile et la gloire de notre Grand Prêtre Jésus-Christ dont Aaron fut la figure»[7].

En pensant D. présent dans la matière, ne peut-on parler d’idolâtrie à propos de l’Arche ?


[1] Le Manuscrit Graham daterait de 1672 et même d’une copie d’un texte des années 1620, D. Taillades, Franc-Maçonnerie, l’histoire retrouvée, p. 115, Dervy, 2019. 

[2]  Ligne 37 : themasonictrowel.com/ebooks/freemasonry/eb0112.pdf

[3] Rappelons que Josaphat est le lieu où sont censées se réunir les francs-maçons comme il est dit dans le Dialogue entre Simon, maçon sédentaire, et Philippe, maçon passant, écrit dans une reprise du rituel de la nouvelle Franc-maçonnerie de la Grande loge de Londres et Westminster, paru en 1725 : «Simon – Je vous demande : Où votre Loge est-elle située ? Philippe – Dans la vallée de Josaphat, là où on n’entend ni le caquètement d’une poule, ni le chant du coq, ni l’aboiement du chien.» Le rituel de Luquet de 1745 introduit une nuance : Dans la vallée de Josaphat, dans une  grotte profonde où jamais femme n’a parlé, coq n’a chanté, ni chien n’a aboyé. D. Pourquoi vous exprimez-vous ainsi ? R. Parce que ce sont les 3 symboles de l’indiscrétion. Il est étonnant de penser que c’est, symboliquement, dans un cimetière que devrait se tenir la tenue des francs-maçons :   assum.over-blog.org/article-itineraire-de-paris-a-jerusalem-7-la-val-106139026.html

[4] Exode 25,31 : Tu feras un chandelier d’or pur ; ce chandelier sera fait d’or battu; son pied, sa tige, ses calices, ses pommes et ses fleurs seront d’une même pièce.

[5] Ces trois vertus sont aussi les séphiroth hochmah, tabouna, alias binah, et daath.

[6] Pour Clément d’Alexandrie, les quatre «colonnes» (ktones) indiquent «la tétrade sainte des anciennes alliances», celles d’Adam, Noé, Abraham et Moïse. Elles sont, selon Cyrille, la prédication des quatre évangélistes, qui « élève » le Christ, figuré par le «voile» que soutiennent les quatre montants, La Bible d’Alexandrie, p.273 : drive.google.com/drive/folders/1_TYvJIfZ1JrT5QNU0YmHV8Q77cnKKgki

[7] Questions concernant le temple, 8 : legende-hiram.blogspot.com/search/label/1710 – Dumfries n° 4

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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