sam 14 décembre 2024 - 11:12

La Kabbale IV – La Guématrie, une mystique des nombres

Du grec Guematria (mot résultant de la contraction de geometria et grammametria), la guématrie est une méthode d’interprétation de la Torah ; elle s’appuie sur une propriété remarquable de l’alphabet hébreu, l’attribution d’une valeur numérique à toute lettre. Son emploi ne se limite pas à l’alphabet hébreu, puisque Chinois, Arabes et Grecs connaissaient et utilisaient également cette technique. Ils étudiaient déjà le sens des mots en considérant la valeur numérique des lettres qui les composent. Cette méthode a été introduite en Israël sous le nom de Guématria à l’époque du troisième Temple, dit Temple d’Hérode (dont la construction a débuté vers l’année 20 av. J.-C. et s’étendit sur plus de 80 ans). Ce procédé fut appliqué par les grecs sous le nom d’isopséphie et par les musulmans sous celui de Hisab al Jurnal.

Pour la kabbale, l’équivalence des lettres à des nombres obéit à des règles précises. Ainsi aux 9 premières lettres de l’alphabet hébreu sont attribués les neuf (9) premiers nombres, aux 9 suivantes les dizaines et aux quatre dernières les centaines. Cela permet, par un jeu des chiffres et des lettres, de trouver des congruences sémantiques entre des mots écrits avec des lettres dont la somme mathématique est la même.Si deux mots ont la même valeur numérique, simple résultat de l’addition de la valeur des lettres qui les composent, l’un pourra se substituer à l’autre afin de donner un autre sens à une phrase de la Torah.

Comme l’explique Éric Daniel El-Baze, le pluriel du mot guématrie (guématrioth) ne fut pas choisi au hasard, il était déjà gravé de façon cachée  dans le verset Deut. 32, 46-47: Moïse y exhorte les hébreux à étudier les Lois de la Thora : «car ce n’est pas pour vous chose indifférente, c’est votre existence même» ; ki lo-davar req hou mikem.  Cette phrase a la même valeur numérique 679 que le mot «Guématrioth» (גימטריאות). Quant au nombre réduit du mot «Guématrioth», égal à 22 (6+7+9), il dévoile et contient l’Essence même des 22 lettres de la Création

Prenons quelques exemples.

– Le Sefer Yetsira  est le premier texte dans l’histoire de la pensée à avoir fait l’hypothèse que le monde s’explique comme une langue. Il dit clairement que le monde est structuré comme un langage. Voyons cela avec le mot «mère» en hébreu, (אִמָא) «ima», qui se décompose en «im» et «ma». «Im», équivalent de «Mi» en guématrie, nous pouvons dire que le mot mère en hébreu est fait des questions qui («mi» qui renvoie au sujet) sur quoi («ma» qui renvoie à l’objet). Ima, le «qui-quoi?» est le rapport interrogatif du sujet à l’objet. Le mot mère, en hébreu, est donc le lieu fondamental du questionnement sur l’origine et du rapport de l’homme au monde.

– Le mot «Mère» qui s’écrit aussi em (aleph, mem) vaut 41 et le mot «père» qui s’écrit ab (prononcé av, aleph, beth), vaut 3. Ce qui est intéressant, c’est que le mot «enfant», yeled, s’écrivant yod, lamed, daleth (דלי), équivaut par la somme de ses lettres (10+30+4) à 44. La mère ET le père, ensemble (41 +3), structurent le mot «enfant»

– Le mot de substitution utilisé pour remplacer le Nom imprononçable (le tétragramme), Adon, a la même valeur guématrique réduite que «Passer sous silence» (272+817 = 1089) = 9 ; Adon : Aleph+daleth+vav+noun final (אדון) = 1+4+6+700 = 711 en valeur réduite 9.

– En culture algébraïque le nom se dit chems’écrit chin, mèm, (שם) avec shin =300 et mèm = 40. Pour atteindre le nom (des choses ou de vous-mêmes, le nom qui fait exister) il faut parcourir 260 en guématrie différentielle, cela s’écrit samekh, rech (סר , 60 + 200) et peut se lire sarqui signifie écart, révolte, détournement. Le cœur du nom qui fait exister la chose c’est l’aptitude à la rencontre, la capacité d’ouverture à l’événement. Pour se détourner, il faut être, en entendant toute la valeur de verbe exister, ex-istere, sortir de…

– Si, comme en guématrie simple on ne donne pas une valeur particulière aux lettres finales, Jakin (יָכִין, yod, kaph, yod, noun soit 10+20+10+50) vaut 90 ; Boaz (בֹּעַז, beth, eïn, zaïn soit 2+70+7) vaut 79. Entre les deux il y a une différence, une présence de 11. Qu’est-ce que cette présence ? La guématrie peut en apporter une réponse en regardant les  énergies des trois séphiroth avec lesquelles le premier temple fut construit par Betsaléel et que l’on trouve en Exode 31,3 : «Je [dieu] l’ai rempli de l’esprit d’Élohim en sagesse, en intelligence et en savoir». On retrouve ces vertus en Hiram dans I Roi 7, 14 «rempli de sagesse, d’intelligence et de savoir». Ces trois vertus, concepts, attributs divins, types de forces, niveaux de conscience des processus à l’œuvre dans des structures vivantes, sont aussi les 3 séphiroth : Hokhmah, la sagesse, (חכםה, heith, kaph, mem, hé, soit 8+20+40+5 = 73) ; Tébouna (alias Binah), l’intelligence (תְבונה, tav, beith, vav, noun, hé soit 400+2+6+50+5 = 463) et Daath, le savoir, la connaissance (דַּעת,daleth, eïn, tav soit 4+70+400 = 474). L’ensemble des  3 vertus : 73+463+474 égale 1010 soit en réduction 11. On peut dire que ces trois vertus séparent et unissent, c’est-à-dire définissent, l’entre-deux des colonnes Jakin et Boaz.

– Il est dit que les archanges Raphaël et Gabriel, qui gardaient les portes du paradis pour que les humains n’y retournent pas[1], se déplacèrent pour soutenir les nouveaux piliers de l’entrée du Temple, Yakin et Bo’az, marquant ainsi l’accès à un nouveau paradis, celui de l’arbre des séphiroth.

Yakin (avec noun final) + Bo’az = 740 + 79 = 819, en valeur réduite = 9.

Gabriel גבריאל + Raphaël ראפאאל : en valeur pleine puis réduite (apparition, dissimulation)[2] = 73+412+510+20+11+74 = 1180 et 510+111+81+111+111+74 = 998 soit 1180+998 = 3178, en valeur réduite = 9

De l’importance de la polysémie des sens.  Une fois Dieu l’a énoncé, deux fois je l’ai entendu, Psaumes 62,12.

La racine trilitère des mots de l’hébreu contient tout une panoplie de sens d’où l’impossibilité de déterminer le sens d’un mot, en raison d’un brouillage morpho-syntaxique : la construction de la phrase peut laisser apparaître deux ou plusieurs interprétations différentes et concurrentes. L’amphibologie permet de surnommer les mots pour comprendre le dynamisme de leurs fonctions dans la réalité (existence) en sortant de leur désignation statique d’objet (être). L’amphibologie est performative, c’est comme en programmation orientée objet, ce qui fait d’un seul mot une classe (la coque sémantique) contenant la définition, les attributs et les méthodes.

Si la polysémie et l’homonymie nécessitent une interprétation pour lever l’ambiguïté des significations et la réduire à l’un des sens (l’indécence), l’amphibologie, elle, ne réduit pas à un seul sens environnemental, mais laisse la jouissance du double (ou plus) sens hyper-dialectique en produisant l’équilibre de la tension entre eux. L’amphibologie est la méthode Si la polysémie et l’homonymie nécessitent une interprétation pour lever l’ambiguïté des significations et la réduire à l’un des sens (l’indécence), l’amphibologie, elle, ne réduit pas à un seul sens environnemental, mais laisse la jouissance du double (ou plus) sens hyper-dialectique en produisant l’équilibre de la tension entre eux. L’amphibologie est la méthode essentielle pour aborder le Texte biblique hébraïque, tous les mots de cette langue, sans exception, ayant au moins une double signification. Par analogie, les différents niveaux d’interprétations des symboles ne s’excluent pas, mais se complètent ; il convient de n’en rejeter aucun (Marc-Alain Ouaknin, L’écoute à la source du texte biblique et Des amphibologies à méditer

«Les homonymes tacites constituent l’esprit des Écritures et servent de types au langage mystique de la lettre, dont les valeurs conditionnelles disparaîtront à mesure qu’on aura apprécié leurs termes correspondants» (Goulianof [Chevalier Ivan Aleksandrovitch de], Archéologie égyptienne, tome.III , p.563), cité par  Frédéric Portal dans Les symboles des égyptiens comparés à ceux des hébreux, p. 129 :

Il y a «une jouissance du sens» de la Franc-maçonnerie à connaître par l’approche de ses différents rites.

Pour lire une nouvelle – que j’ai écrite –  narrant l’installation des deux colonnes du Temple de Salomon avec un regard guématrique se reporter à :


[1]Genèse 3:24 : «il chassa l’homme, et plaça à l’orient du jardin d’Éden les chérubins et la lame de l’épée qui tournait çà et là, pour garder le chemin de l’arbre de vie».

[2] [La valeur développée s’obtient par accumulation des énergies de chaque lettre qui permettent de prononcer son phonème. Par exemple, la lettre aleph peut prendre la valeur de aleph+lamed+phe soit 1+30+80 =111 ; la lettre daleth vaut ainsi daleth + lamed + tav soit 4+30+400 = 434…]. Nous employons ce procédé pour le calcul des mots se référant à toutes les énergies (qui apparaissent dans les mondes séfirotiques d’émanation, création, formation) et la guématrie simple pour les éléments du monde de l’action (ou réalisation), lieu où les éléments prennent forme, s’élèvent, résistent et se dégradent.

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour, je me pose une question depuis longtemps sur la Guematrie. J’ai fait ma formation de Guématrie avec la seule personne qui l’enseigne au Québec, soit Sandra Vimont. Mais, ma question est de savoir où, de quelle source, elle a repris les chiffres et nombres, pour “reconstruire” le sens réel de chacun des chiffre. Ainsi, connaissez-vous d’autres personnes qui transmette la Guematrie dans le monde, a part Sandra ? Merci

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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