Oasis, paradis terrestre, lieu de passage et de transition, il y a autant de « dedans » nommés comme jardins, conçus de terre et d’eau. En écho au mythe adamique du jardin de Dieu, les jardins sont des lieux de vie et d’humanité. Ils facilitent le retour sur soi et une sagesse commune.
Toute rencontre au jardin est élégante, maîtrisée, respectueuse de l’humanité de la rencontre, dans l’abandon de soi et le souci de l’autre. Face au monde plat, le jardin rend sensible la double épaisseur du temps et de l’espace. Dans cette intention d’habiter les paysages, chacun attend et attendra toujours du jardin qu’il favorise l’accès à un monde commun et un monde d’autonomie et de liberté créative. En chacun, il existe bel et bien le jardin refuge, l’île accueillante dans la tourmente, l’espace à dévoiler, à dire, à raconter pour expliquer ce qui conduit irrésistiblement nos pas vers ces lieux d’agrément, entre fleurs et pierres, pour que notre cœur puisse s’emballer sous l’effet de la volupté et notre âme s’émouvoir du vent bienvenu sur le front de nos matins fiévreux.
Dans une dimension cosmique, le jardin vu comme un microcosme est indissociable d’un travail jardinier, théâtral et architectural, renvoyant à un macrocosme. Les pratiques jardinières y sont d’autant plus variées qu’elles répondent au besoin de créer et de se rattacher à l’Infini. Un territoire sacré, travaillé, occupé pour signifier, transmettre, partager. Un jardin laboratoire du monde, où il convient de savoir manier les outils qui ensemencent, binent, taillent, rectifient, protègent, abritent, déploient et font vivre jusqu’aux arbres fruitiers magnifiques des canopées odorantes. Au-delà des frondaisons entrevoyant la voûte étoilée, l’endroit est un lieu d’intelligibilité cachée et peut être fait- il espérer une sorte d’immortalité comme la rosée à l’aurore?
Dans les jardins et vergers médiévaux, à l’écart du brouhaha du chœur des hommes, de gentes dames ont espéré autrefois se frayer auprès d’un compagnon civilisé, courtois et sincère, une voie d’harmonie escomptant sur la subtilité des sentiments et la considération de paroles simples et bienfaisantes. Même si l’invitation ne valait que pour un court instant suspendu, à l’écart de la furie des batailles au-delà des murs, la représentation de vivre bien ensemble et sans peur réciproque, fige l’image d’une paix et d’une égalité sociales. Elle fait partie du décor d’un jardin aux formes multiples avec son carré des simples, ces herbes magiques et utiles, ces espaces colorés et surhaussées par des plessis d‘osiers et de fleurs grimpantes. Elle soutient toujours la volonté d’un chœur fraternel, d’une proximité sociale respectueuse entre les êtres…
Au temps du pouvoir royal, le jardin a pris une allure de splendeur et d’absolu, qui marquait l’emprise des individus par le Roi. Toutefois le jardin du pouvoir n’est jamais aussi cartésien qu’il n’y paraît, aussi logique et rationnel. Au delà de ses lignes apparemment tirées au cordeau, il n’exclue pas des parcours secrets, labyrinthiques, des figures baroques, des cachettes possibles, des grottes et des folies. Il reste toujours un envers et un endroit du jardin du pouvoir quelque soit son paysage orientaliste ou faussement exotique, pour se vouloir frondeur, rebelle et libertaire…
Sans fin, le jardin continue de fasciner puisqu’il n’est pas un simple morceau de terre et de culture mais un ensemble de signes qui disent, précisent, orientent, face à une modernité agressive et insolente. Ainsi en est-il de la loge maçonnique comme du jardin !
Habitués ou visiteurs, ceux qui s’expriment en ce lieu couvert, s’y montrent, humbles, affranchis et dépouillés de l’inutile, du superflu. Nul besoin de disserter longuement ensemble : même avec un beau terreau, rien ne peut croître sans une foi ardente, sans une patience soutenue, sans un regard sensible à la symphonie des couleurs et l’effet du temps !
Sources :
Conférence à la GDF-Paris le 14/10/2017- « Symbolisme du jardin » Frédéric- Pierre Isoz et C. Laporte
Claude Debru et Frédéric-Pierre Isoz, Pourquoi croyons nous ? Ed Odile Jacob, Février 2020