sam 14 décembre 2024 - 02:12

CORPS

L’origine du mot est obscure, même s’il désigne l’élément vital par excellence. Mais chaque langue a son propre mot en ce domaine. En grec, par exemple, *sôma.

Du latin *corpus sont issus corps, incorporer, corpulence. Le corps féminin se revêt de corsages, se torture avec des corsets. Le corpus est l’ensemble d’une œuvre. Et l’anglais restreint l’acception au corpse, le cadavre.

Dès l’initiation, le corps est stigmatisé par le signe d’ordre, qui matérialise une coupure entre ce qui relève de l’esprit, du mental, de l’âme, et le reste charnel pourrait-on dire.

Cependant, le parcours maçonnique lui confère une présence tangible, marches déconcertantes, rituels où le tactile est omniprésent, les perceptions sensorielles constamment sollicitées.

Une fraternité d’abord tactile, embrassades et accolades au sens propre, bras et mains enlacés. Proximité des corps sur les Colonnes.

Symboliquement, les éléments du rituel placent le corps au centre des images mentales et de la réflexion subséquente. Vie, mort, danger physique, menaces jouées.

Les symboles y sont d’abord matérialisés, parce qu’ils figurent le passage obligé pour appréhender le monde. La méthode initiatique contribue, non à gommer pulsions et violences, mais à les formuler, les canaliser, à maîtriser les émotions de ce corps, qu’on taille métaphoriquement comme une pierre à insérer dans le corps collectif. On y découvre l’étrangeté familière du visage renvoyé par le miroir. On y apprend la juste distance, pacifique et fraternelle.

On ressent l’inconfort des crampes que suscitent la position assise ou les signes d’ordre, mais aussi on habite un corps à la verticale des pieds en équerre. On respire au rythme du rituel et de la Colonne d’Harmonie qui le sous-tend.

On ne saurait oublier que le mot grec, *eleutheros, qui désigne l’homme libre, signifie « celui qui se tient debout ».

Dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, la tête dans les étoiles, le regard tourné vers les astres, la parole prête à fuser, nous vivons en réalité un constant corps-à-corps avec l’autre et son ailleurs, avec nous-mêmes surtout.

Une Maçonnerie, qui ferait l’impasse sur cette sensorialité, ne serait que rationalité hypertrophiée ou ésotérisme fumeux.

Annick DROGOU

Comment donner corps à ce petit texte ? Lui donner de la consistance et de la tenue. Lui faire prendre corps ? C’est-à-dire lui assurer une réalité solide. Car dans ce mot “corps“, il y a de l’épaisseur, de la pesanteur. Les pieds sur terre. Et si mon corps est ma réalité physique, l’espace de mes sens, mon corps est pleinement moi, tant que la vie anime ce corps.

Je suis, nous sommes des corps qui s’expriment, pas seulement par les mots de notre bouche mais par le geste. Le corps est le premier outil de l’homme ; la main et le toucher en portent l’expression sublime ; l’œil et l’oreille, la vue et l’ouïe donnent créance à mon frère.

Par signes et attouchements.

Le plus pur attouchement sera toujours la main silencieuse et fraternelle qui se pose sur l’épaule de celui qui est dans la peine. Épaisseur charnelle de nos vies, commune humanité qui nous appelle à faire corps. Ensemble. Mais le corps ne peut rien sans le cœur, le sixième sens, qui nous délivre de tous nos enfermements et du risque de l’étroitesse de l’esprit de corps.

Tout est rencontre. Je me tiens en face de toi. Face à face, corps à corps dont la seule issue est de regarder ensemble dans la même direction, et de marcher conjointement, corps toujours en mouvement, en pérégrination. À corps perdu pour mieux se retrouver.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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