mer 04 décembre 2024 - 07:12

Ça va coiffer !

Le couvre-chef, comme son nom l’indique, est une parure de la tête à laquelle les traditions donnent des significations.

En Orient, d’une façon générale, la coiffure était jadis considérée comme symbolisant l’honneur et la dignité de celui qui la portait ; on jurait volontiers par elle ; y porter atteinte était considéré comme une injure particulièrement grave.

La tête est le résumé du corps. Ce que l’on pose sur la tête, le couvre-chef, a valeur d’accomplissement et doit être en concordance de nature avec celui qui le porte, donc dépend de l’état de conscience atteint. Rappelons par exemple que les dieux égyptiens ont la tête couverte d’un symbole, que les prêtres grecs se couronnaient quand ils offraient un sacrifice, que Nicolas Flamel portait un bonnet et qu’en fait, tous les alchimistes représentés au moyen âge portaient un chapeau de forme variée[1].

Si l’on se réfère à la Bible, le grand-prêtre portait un couvre-chef. Ce n’est que vers le IIe siècle de notre ère que le port du chapeau commença à être étendu à tous les juifs à la suite d’une discussion talmudique sur le respect et la crainte de Dieu. Lorsqu’au Moyen Âge  cette coutume fut adoptée, on considéra que tous étaient semblables au grand-prêtre et, en même temps, on affirma que le chapeau rappelait qu’il y a toujours quelque chose entre l’homme et Dieu. Le Talmud apprend que le port de la kippa (ou avoir la tête couverte) a pour but de rappeler que Dieu est l’Autorité suprême au-dessus de tous. Le mot yiddish pour couvre-chef yarmulke, vient de l’araméen yira malka qui signifie «crainte du Roi». En hébreu, le couvre-chef est appelé Kippa, littéralement «dôme».

Le chapeau est aussi le substitut de la couronne, symbole de royauté, à la fois temporelle et spirituelle. L’homme qui la porte peut donc être considéré comme celui qui joint la terre au ciel, et réciproquement il conduit l’influx venu du ciel vers la terre. En ce sens l’homme qui porte le chapeau est un homme debout, un axis mundi, l’esprit et le regard tendus vers le ciel. «Je te couronne au-dessus de toi-même» dit Virgile à Dante avant de le quitter. Ainsi couronné, il rejoint Béatrice qui l’emmène au paradis.

C’est avec un chapeau tricorne qu’est représenté un franc-maçon français du  temps du Chevalier Ramsay[2].

Napoléon ne portera qu’un bicorne en feutre de castor, le plus souvent en bataille[3].

Symbole du grand uniforme du polytechnicien, le port du bicorne relève du règlement : «le chapeau laisse à découvert la partie gauche du front, effleure l’oreille droite et divise le sourcil droit en moyenne et extrême raison.» En somme, une façon d’inscrire la proportion divine sur son front !

Le Régulateur du Maçon de 1802 mentionne pour le Grade de Maître : «Tous les Frères seront vêtus de noir le chapeau en tête et rabattu». Dans ce Rituel, on rend au nouveau Maître son épée, puis son chapeau, en ajoutant  «désormais vous serez couvert en Loge de maître, cet usage très ancien annonce la liberté et la supériorité»[4]

Aujourd’hui, dans certains rites, les maîtres se doivent de porter un couvre-chef (chapeau, calot). Dans le Rite Opératif de Salomon (ROS), lors de l’élévation à la Maîtrise, l’Expert revêt le nouveau Maître des décors du degré : le tablier, l’écharpe et le couvre-chef.

Le rituel du troisième degré REAA de la GLDF précise qu’ «en Chambre du Milieu tous les Maitres portent leur chapeau»

Au RER, si le rite est très traditionnellement respecté, tous les maîtres de la loge devraient être couverts. «Qu’il soit sur votre front le symbole de l’esprit de justice, de tempérance et de prudence qui doit accompagner les maîtres dans toutes leurs démarches. Désormais, vous pourrez vous en  couvrir toujours en loge, afin d’annoncer la supériorité que ce grade vous donne sur les apprentis et les compagnons.»  Lorsqu’ils parlent, les frères, sauf le Vénérable et les Surveillants, se découvrent et si le vénérable enlève son chapeau pour recevoir un frère, tous les assistants doivent en faire de même. Depuis le XVIIIe siècle, leur chapeau  est un tricorne noir bordé d’un galon doré dont la calotte ronde est symbole du ciel (les Quakers d’Amsterdam du 18ème siècle en portaient de semblables[5]).

Au Rite Français Groussier, le port du chapeau est tombé en désuétude. Il en est de même REAA, même si, au 1er degré de l’écossisme, le Vénérable est couvert uniquement à l’ouverture et à la fermeture des travaux.Au Rite Émulation, le port du chapeau est proscrit bien que certains anciens documents anglais indiquent que le maître de la loge devait être couvert, signifiant son rôle et son statut, à l’instar de la couronne du Roi Salomon. RY. S’il est traditionnellement observé, le Vénérable Maître porte un haut de forme ou un «clac».

Au XIXe s., les sœurs de la Maçonnerie d’adoption portaient rarement le chapeau.  Il faut dire aussi que leur coiffure très apprêtées ressemblait à des bibis[6]

Au XXe s., les loges parisiennes à forte présence féminine ont été parfois des lieux d’exhibition de créations excentriques des modistes. Elles ont adopté aujourd’hui, plus sobrement, le calot, avec le même usage et la même symbolique que le chapeau des frères.

On peut comprendre que le chapeau, en tant que symbole de la limite de l’homme -comme le «connais-toi toi-même»- lui montre sa capacité à l’humilité devant le mystère.


[1] http://www.hiram-rite.fr/detail.php?idDoc=322&idCat=3

[2] Revue Points de vue initiatiques n° 31-32, p 73.

[3] Cela ne veut pas dire lors des batailles, mais  le chapeau porté avec les cornes (les pointes) parallèles aux épaules. Ses chapeaux furent tous confectionnés par le chapelier Poupard : blog.napoleon-cologne.fr/le-bicorne-de-napoleon-bonaparte/

[4] En 1802, p.8 et 26 : http://reunir.free.fr/fm/rituels/Regulateur3.htm

[5] Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, p.202 sur  gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511257f/f241.item

[6]Tableau à la gouache (début XIXe s.) : http://mvmm.org/c/docs/loges/ado.html

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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