ven 26 avril 2024 - 05:04

Tenue correcte exigée!

Porter un vêtement n’a rien d’anodin. Il s’agit au contraire d’afficher un message social ou politique, qui peut être interprété différemment en fonction du contexte.

Un vêtement, une tenue vestimentaire, dit beaucoup de nous. Depuis le Petit Prince, par exemple, on sait que si on veut être pris au sérieux par les « grandes personnes », il faut être habillé en grande personne (costard-cravate) et non en habit turc, par exemple quand on fait un congrès. De la même manière, on ne fait pas un audit d’usine en jean-T-shirt de groupe de métal ou quelque chose approchant, au risque de ne pas être pris au sérieux. En fait, notre apparence constitue un médium, qui sert de vecteur à un message. Plus précisément, et je m’en réfère au célèbre Shannon Mac Luhan, « le media est le message ». Nous incarnons ce que nous voulons faire passer comme information. Ainsi, si je me rends en audit de service, j’incarne plus ma fonction en tenue de col blanc qu’en tenue de concert. Inversement, je ne vais pas me rendre à Disneyland en smoking. Sauf si je veux produire un effet de décalage destiné à mettre mal à l’aise ou à amuser la galerie. De là à penser que l’habit fait le moine, il n’y a qu’un pas.
Un vêtement peut aussi être marqueur d’une caste, une classe sociale ou d’appartenance à une catégorie socio-professionnelle ou à un groupe social, comme l’uniforme d’un lycée japonais. Dans ce cas, on tend à se comporter comme l’exige le modèle de la caste.

Le message du vêtement peut aussi être politique. Par exemple, arborer un vêtement artisanal fait en France dans le cadre d’un financement participatif n’a pas le même sens qu’arborer de la fast-fashion. De la même manière, selon le contexte, arborer une chemise brune en Allemagne, Hongrie ou Pologne pourrait être très mal perçu, tout comme porter une chemise noire en Italie. Se vêtir ainsi peut être interprété comme une forme de nostalgie ou de clin d’oeil aux uniformes des nazis et des fascistes. De la même façon, il vaut mieux éviter de porter un maillot du Paris Saint-Germain à Marseille (ou l’inverse) un soir de match de ligue 1, ce qui pourrait être pris comme une provocation par les supporters de l’autre camp.

Mais alors que doit-on penser de l’argument des agresseurs de femmes qui expliquent que c’est leur tenue qui est provocante ? Si l’on pousse la logique des imbéciles virils à son paroxysme, c’est la présence féminine qui les provoque et les rend agressifs… Ce qui me ferait plutôt penser à un problème d’éducation chez les hommes, décidément incapables de se contrôler (bande de tartuffes, et je pèse mes mots). A ce propos, pour ceux qui fréquentent les conventions geeks et autre occasions de cosplay, je rappellerai cette règle de bienséance : « cosplay is not consent ». Le cosplay peut être vu comme sexy, mais ce n’est pas une raison pour tenter de draguer lourdement, toucher, tripoter voire pire une cosplayeuse (ou un cosplayeur, soit dit en passant… Personnellement, j’ai horreur des contacts imposés dans la vie et plus encore quand j’arbore un cosplay). Nous arrivons donc au nœud du problème : je porte une tenue, donc un message potentiel, mais comment ce message (s’il existe) va-t-il être interprété ? S’il est de ma responsabilité d’assumer ce que je porte, quelle est la part de responsabilité de l’autre dans son interprétation ?

Prenons maintenant le cas délicat des femmes voilées, qui déchaîne les passions. De leur point de vue, elles arborent une tenue qu’elles pensent traditionnelle et qui leur permet de sortir sans remarques des maris/pères/frères et autres mâles dominants. Le problème est que les voiles intégraux ne sont pas forcément traditionnels, surtout à en juger par les photos des années 60. Ces tenues sont imposées par la vision rigoriste et fondamentaliste de religions. Les niqabs ou hidjabs nient le corps de la femme, intégralement considéré comme impur par les tenants de la vision fondamentaliste. Pire encore, ce type de tenue peut s’apparenter à un soutien à des organisations ennemies de notre civilisation (même si je doute que les dames qui arborent ces tenues n’en aient conscience), d’où un certain malaise ou une certaine hostilité. A ce propos, je vous invite à lire l’excellent Bêtisier du laïco-sceptique qui a le bon goût de remettre un peu d’ordre dans le chaos ambiant, et de mettre les choses au point. Il est peut-être temps de s’attaquer au problème avec un peu de pédagogie, mais aussi de courage. Instrumentaliser les femmes en leur faisant porter un emblème dont elles n’ont pas forcément conscience et utiliser l’hostilité à leur égard comme justification d’un statut de victime, qui autoriserait des représailles, c’est tout simplement de la mauvaise foi. Normal pour des leaders politico-religieux, je présume ?

Et les tenues vestimentaires en Loge, me direz-vous ? Dans mon obédience les choses sont claires : on est prié de porter un costume sombre ou un smoking avec cravate sombre ou nœud papillon (et de mon côté, je milite pour la lavallière ou l’ascott, mais c’est une autre histoire). L’idée est de garder le plaisir de bien s’habiller et de marquer la solennité de l’événement. Une Tenue est une cérémonie et nécessite d’en respecter le code vestimentaire.

Dans d’autres obédiences, ce n’est pas la même chose. Ainsi, un soir, alors que j’étais en voyage, j’entendais un Frère expliquer sa tenue (jean/converse/T-shirt) par le fait que c’était sa liberté de s’habiller ainsi, et que si on lui demandait de s’habiller plus en adéquation avec le moment, il refuserait au motif qu’on lui imposerait une règle qui ne lui convient pas. Tout comme il refuserait de se rendre à un mariage si on lui imposait une tenue, au motif qu’il n’aime pas porter une veste et que ce n’est pas lui. Il expliquait qu’il souhaitait être accepté tel qu’il était et refusait de se conformer à une règle.

Hum, je crains que dans cette Obédience, l’idée de « soumettre sa volonté » ou de « vaincre ses passions » et de suivre une règle ne soit guère qu’un concept abstrait.

En fait, je me demande si je ne préfère pas l’idée de nos sœurs en Loge féminine : grande robe noire sur les vêtements pour tout le monde. Au moins, les différences socio-professionnelles sont gommées, tout le monde est sur le même niveau. Peut-être est-ce plus sain ?

Sur ce, je vous laisse, j’ai rendez-vous avec mon tailleur pour me faire faire, tel Aznavour, un magnifique costume bleu marine sur mesure et la lavallière qui va avec.

Je vous embrasse.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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