Lorsque le crépuscule tombe sur la ville, enveloppant toutes choses d’une ombre mystérieuse, deux individus mâles pénètrent avec une égale précipitation dans une ruelle pavée et mal éclairée, à l’écart d’une avenue passante. Qui sont- ils ? Que se confient-ils ? Qu’espèrent-ils ?
Curieusement les deux sujets sociaux s’immobilisent à proximité l’un de l’autre. Eux-mêmes paraissent impressionnés par la similarité de leur marche en ce quartier de Paris où à la lisière du jour et de la nuit, l’esprit devient plus réceptif à l’évanouissement des formes ou à la fuite des corps. Ces deux là viennent de constater qu’ils manifestent la même intentionnalité, par ce regard qu’ils dirigent vers le haut des portes cochères pour évaluer les numéros de l’impasse : sont-ils sur la même piste ? Dans la même quête ? Pour une même maraude ?
Stoppés dans leur progression par la curiosité, voire la méfiance, chacun jauge l’autre en silence : quel est cet inconnu aux allures semblables à soi ? Quid de son identité ? Pourquoi sa présence proche d’un couvent abritant de belles et spirituelles créatures ? Dangers ? Menaces ? Concurrences ? Instinctivement, l’un vers l’autre, ils s’approchent comme pour s’affronter, avec une commune radicalité « d’homme à homme ». L’urgence tient là : évacuer le doute qui les tenaille quant à leur identification respective : ami ou ennemi ? Bonne ou mauvaise rencontre ? Chien ou loup ?
Il est vrai que loup et chien se ressemblent beaucoup : tous deux sont comme le coyote, le renard ou le dingo d’Australie, de la famille des canidés mais dans cette famille, le loup et le chien depuis la nuit des temps, tiennent à leur superbe, chacun convaincu de sa supériorité animale et instinctive !
Le premier à parler décline qu’il est chien ! Sans porter la voix, sans aboiement craintif ou surfait. Il tient des propos élitistes et assure qu’il n’est pas n’importe quel chien, mais un chien au-delà de trois ans, aguerri à la lutte de valeurs essentielles par des années d’affrontement civique, fidèle à des principes de courage et de vaillance comme le furent ses pères qui sont aux cieux. Usant alors d’un latin savant, « chacun peut les apercevoir », dit-il, « si bien sûr on est averti d’astronomie, dans les constellations du Grand Chien (« Canis Major ») qui abrite Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel, celle du Petit Chien (« Canis Minor ») qui accueille Procyon, l’étoile se levant juste avant Sirius, et la constellation boréale des Chiens de Chasse (Canes Venatici) ». Alors qu’il allait faire suivre l’exposé sur sa famille céleste, par l’inventaire de ses qualités telles l’intelligence, la loyauté, la fidélité et insister sur la popularité de lui et des siens auprès de l’humanité toute entière, l’autre l’interrompt.
Le dardant d’un regard glacial de ses deux yeux jaunes, il précise qu’il est loup ! Afin d’éviter tout malentendu il ajoute qu’il n’est ni un loup vulgaire ni le loup affamé des fables de La Fontaine ou des contes de Perrault, mais le loup grand commandeur des Carpates. Profitant de l’effet de surprise sur son vis-à-vis, il lui confie qu’il demeure (même s’il aime la solitude des grands espaces), à la recherche d’une nouvelle meute à protéger, à inspirer, en encourageant chaque membre à comprendre le Grand Mystère et la Vie. Son seul but sur terre, quel qu’en soit le coût, est l’Harmonie Universelle et non pas la résolution de problématiques domestiques ou la recherche d’un bancal modus vivendi !
A la fin de cet envoi d’un grand lyrisme, la lune qui se dévoilait de quelques nuages, est venue accorder avantage au loup sur le chien, en renforçant à point nommé, la charge prestigieuse du surnaturel et de l’énigme. Eclipsées alors la fierté du chien quant à ses ascendants, sa popularité auprès des humains, son immuable servitude à ses maîtres ! L’apparition de l’astre lunaire resituait en argument majeur cette alliance mémorielle passée avec le loup, une alliance qui lui dispense depuis toute éternité de l’énergie psychique et accorde à son inconscient du savoir et de la sagesse ! (En clair : être avec le loup intensifie de beaucoup la métaphysique et la spiritualité !)
Au travers d’un dialogue serré, alors que l’obscurité s’étendait, ils se sentirent devenir compères car les deux se reconnaissaient inspirés par un certain idéal d’unité et de rassemblement. Ils convenaient que chacun puisse ici bas avoir son rôle à jouer car le pragmatisme, l’ardeur et le rêve pouvaient y cohabiter. Leur but se révélait identique : protéger les faibles, les affamés, les opprimés quelque soient leur genre ou leur sexe ! A minuit bien passé, ils avaient même pu déterminer comment tracer de nouvelles règles et consolider un esprit de concorde qu’ils allaient étendre d’ici jusqu’au désert du Golan en passant par le cercle polaire, sans oublier les trottoirs de Manille et le massif des Ardennes ! Lorsque les étoiles ont pâli et que l’horizon blanchissait, ils se sont quittés frères et amis, persuadés qu’ils pouvaient désormais aller chacun de leur côté dans le monde pour faire advenir la vérité et un bien meilleur temps pour la planète !
Codicille : si entre ces deux représentants du Vivant, le dialogue ne manqua pas de chien, l’échange fit toutefois grand honneur au loup qui avait pu attester toute la nuit de son alliance avec la lune ! L’histoire du pacte entre chien et loup se transmit assez vite dans la famille des canidés même si Goupil, le renard, a tenu à en rabattre un peu : « Ne faites pas un fromage de toute cette histoire ! » disait il, lorsqu’il la rapportait à ses petits compagnons et compagnonnes lors de veillées tenues au fond des bois. Et il conseillait : « Restez dans la vigilance et la persévérance et préférer la Grande Lumière au Grand Soir ! »
“Merveilleuse” analyse des courants maçonniques.