lun 11 novembre 2024 - 04:11

Ridicule et tyrannie: quand Pascal nous éclaire sur notre temps

Nos petites lâchetés laissent s’installer une forme de tyrannie décrite par Blaise Pascal, qui peut empoisonner le quotidien quand elle devient violence.

Avec les réouvertures diverses et variées, j’ai la joie de pouvoir déjeuner de nouveau dans mon restaurant administratif. Bon, la joie, c’est un bien grand mot. Avec les règles de 8 mètres carrés par personne, du port du masque, et de l’orientation du mobilier, on aurait plus l’impression de prendre son repas dans un monastère bénédictin sans la lecture de la vie des saints (qui, si l’occasion s’était présentée, aurait été remplacée par le programme politique des dirigeants de ma collectivité ou ses règlements …). J’ai donc pu observer un type de comportement qui m’a éclairé sur un certain nombre de phénomènes du quotidien, comportement lié à une forme très insidieuse de violence discrète et que l’on retrouve même en Loge.

Avant d’aller plus loin, je vous propose une définition et un concept de violence. L’astrophysicien Aurélien Barrau définit ainsi la violence : « considérer comme acquis ce qui est à construire ». Et le bien connu Blaise Pascal propose le concept suivant : il existe trois ordres, celui de la chair, celui de l’esprit et celui de la raison. De la confusion de ces trois ordres peuvent naître au mieux le ridicule, au pire la tyrannie, ce « désir de domination, universel et hors de son ordre ». Au sens de Pascal, le tyran est donc celui qui cherche à « avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre » (fragments 423-227 et 58-332).

Autrement formulé, chaque individu a une certaine sphère d’influence, et la tyrannie consiste à exercer son influence en dehors de sa sphère. Et ce n’est pas sans conséquence, hélas.

Ainsi, pour reprendre l’exemple de mon restaurant administratif, quand le cuisinier fait le tour de la cantine et admoneste d’importance les personnes assises face à face ou trop près à son goût, il commet un acte de violence au sens de Pascal : il exerce son influence là où elle n’a pas lieu d’être (et vu la qualité des lasagnes, j’en connais un qui ferait mieux de surveiller sa brigade plutôt que ses clients). Pire, il s’arroge un rôle qui n’est pas le sien, le faisant passer pour un clown sinistre. Tyrannie, mais aussi ridicule de la situation. D’ailleurs, si l’on prend un peu de recul, les tyrans ne sont-ils pas un peu ridicules ?

De la même manière, un secrétaire zélé qui se mêlerait professionnellement de dossiers qui ne seraient pas les siens au mépris de celui qui le traite commettrait aussi un acte de violence, ou plutôt de tyrannie. Certes minime, parfois justifié, mais violent quand même.

Et que dire de technocrates aidés de leurs chers séides, qui d’un trait de plume décident de ce qui est “essentiel” ou non, faisant basculer le destin de millions de personnes et faisant de notre quotidien une pièce absurde? Tyrannie et ridicule encore, avec les ordres de Pascal.

Derrière ces violences du quotidien, il y a la confusion entre autorité et domination, dont les effets peuvent parfois être dévastateurs. Cette confusion se retrouve dans le comportement de certains chefaillons, qui s’estiment fondés à donner des ordres pour donner des ordres. Notons que parfois l’autoritarisme de certains sert surtout à cacher leur incompétence : c’est à qui criera le plus fort. Tyrannie et ridicule, encore.

Une mauvaise connaissance de sa zone d’influence et un exercice inapproprié d’autorité sont donc facteurs d’une forme de violence. Celui qui agit ainsi considère comme acquise son autorité, alors que celle-ci n’a pas pu être bâtie, puisque ne reposant sur rien… Bien connaître sa place, ses limites, bien connaître ses moyens d’action et ne pas chercher à se les approprier par la force, ça ne vous rappelle rien ?

Et nous autres, Francs-maçons réunissant les plus hautes valeurs morales et aspirant à la création de la concorde universelle, sommes-nous à l’abri de tout cela ? Comme souvent, j’aimerais dire oui, mais les faits me contredisent. Ainsi, quand un Frère estime que parce qu’il est « Régulier », il est un « Vrai » maçon et qu’il appartient à une obédience qui ne reconnaît qu’elle-même, ce Frère commet un acte violent, qui annihile la reconnaissance de l’Autre, qui pourtant est la base du 1er degré. Ne dit-on pas « mes Frères me reconnaissent pour tel » ? A moins que les Frères ne soient que ceux de la Loge régulière, ce qui met un certain nombre de bémols (on est au moins en do bémol!!) à l’Universalité à laquelle la Franc-maçonnerie prétend aspirer. Je n’ai rien contre la régularité, mais si être régulier consiste à exclure les autres obédiences que la sienne, s’imposer des dogmes et des croyances et se croire investi d’une quelconque vérité révélée qui ne supporte pas la contradictioni, alors je suis très content de ne pas l’être. On trouve ici le ridicule selon Pascal.

Et encore, là, je ne fustige que les comportements humains. Parce qu’un autre danger d’autoritarisme nous guette : les intelligences artificielles. Récemment, la rédaction a dû changer une illustration d’un papier au motif que l’image ne convenait pas à l’algorithme de référencement de la page sur les réseaux sociaux. De la même manière, il y a des sujets à éviter pour ne pas froisser l’algorithme de référencement d’un document : les images de nu, certaines images de violence, et le World Trade Center. Un programme informatique assure donc la surveillance de contenus sans les comprendre et peut empêcher de prendre connaissance d’un document au motif que celui-ci ne respecterait pas des critères de tri pas forcément connus du public. J’ai l’impression que l’humain a un peu perdu la main et que nous nous soumettons à de vulgaires machines dont nous ignorons le fonctionnement. Les algorithmes nous imposent une tyrannie (interdiction de poster une image jugée offensante), qui se révèle ridicule (une représentation de femme nue d’un tableau classique est offensante selon une IA d’analyse d’image). Et le pire, c’est que nous l’acceptons. Nous acceptons une diminution de notre faculté de juger instillée par une machine programmée par un type dont l’histoire n’a pas retenu le nom.

A se demander qui est le plus ridicule dans cette histoire.

iToute ressemblance avec des partis de gauche serait purement fortuite.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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