jeu 28 mars 2024 - 19:03

Aller simple pour le Père-Lachaise

Epitaphe pour un bon vivant qui sait que le suicide est un manque de savoir-vivre

J’ai raté mon coup. J’aurais dû écrire mes mémoires. À présent que les vieux encombrent et que nous devons nous battre pour survivre, le bon plan c’est l’écriture, ça vous situe d’emblée dans l’élite du troisième âge, respect à la clef. Oui, je sais, pour être publié c’est à compte d’auteur, mais après tout, ça ne coûte pas plus cher que des funérailles et ça dure plus longtemps. Bien relié dans une bibliothèque, si on ne vous garde pas pour ce qu’il y a dedans, on vous conserve pour la reliure. D’ailleurs, à y bien regarder, un livre c’est le mausolée de la pensée.

Tiens, à propos de mort, c’est fait. L’envie de trépasser m’est venue en automne. Les jours rapetissaient et le temps se faisait long. Cette fichue maladie ne me laissait pas dormir et je me disais que l’éternité suffirait à peine pour récupérer. Et puis, tant qu’à mourir, autant être lucide. Si, en plus de n’avoir pas conscience de sa naissance, on ne l’a pas de sa mort, c’est toute une vie de ratée. J’ai bien pensé à mettre sur le Net une pensée en forme d’épitaphe, de celles qu’on retrouve dans la bouche d’inconnus suivie de « comme disait l’autre », mais il m’a semblé que la mort étant la preuve indéniable de l’humilité, je devais m’y plier. Allez donc savoir ce qui se passe après, me disais-je toutefois, vaguement inquiet. Puis j’ai fini par entrer dans le tunnel d’un pied ferme, simplement habité par la curiosité de savoir ce qu’il y avait de l’autre côté.

Et franchement ça vaut le coup, je vous conseille d’essayer. On se sent rajeunir d’un coup, plus de douleur nulle part, lumière douce sans lunettes de soleil et même pas faim. Le rêve, quoi. En regardant en bas je voyais ma femme qui pleurait modérément, juste ce qu’il faut pour être crue, et j’entendais les copains qui parlaient de moi à l’imparfait. S’ils en avaient parlé au parfait, ça m’aurait gêné. Du moins au début.

Assister à son enterrement est tout un spectacle. J’ai d’abord rendu visite en passe-muraille à toute la famille, puis je suis allé retrouver les copains d’en bas. Ils montaient vers le crématorium du Père-Lachaise. Je leur trouvais bien du mérite, ce n’est pas de tout repos, qu’est-ce qu’il y a comme pavés ! Et disjoints avec ça. On a beau ne plus avoir de pieds ça vous tord les pensées en moins de deux ! Je me plaçai à côté de quelques potes qui devisaient regard baissé pour ne pas se casser la trombine. « Tu sais, toi, pourquoi il a voulu se faire incinérer ? » « Non ! Chacun fait de son posthume ce qu’il veut. », dit l’un en se croyant malin. « Ouais, c’est comme le postérieur ! », poursuivit l’autre en se tordant de rire. Je trouvai ça d’assez mauvais goût ; je le poussai pour qu’il trébuche, c’était bien le moins, et je filai vers un autre groupe. « Il était comme il était, c’est comme ça qu’on l’aimait », disait l’un « … ou qu’on ne l’aimait pas… », ajouta un autre. Ah, le salaud ! Moi qui le prenais pour un ami… Je décidai de m’éloigner. Valait mieux que je garde d’eux une bonne image, surtout que ça durerait.

Et ça montait, ça montait interminablement, sans compter que des tombes à droite et à gauche, on ne peut pas dire que ce soit varié. On se console en se disant qu’on va fréquenter du beau monde, Molière, Balzac, Apollinaire, Chopin… Et même Bécaud pour pousser la chansonnette, « Et maintenant, que vais-je faire ? » Bonne question ! Qu’est-ce qu’on peut bien faire là-bas entre deux siestes ? Heureusement que Pierre Dac et Desproges seront là pour se marrer un peu… C’est vrai que je serai bien entouré. La mort est bien la seule chose qui rapproche du génie. Mais quand on considère les inscriptions qui s’effacent, on ne peut s’empêcher de se demander : tous ces noms, qui les connaît ? et de se dire que, finalement, la mort ce n’est pas ça qui est long, c’est l’oubli qui suit.

J’en étais là de mes pensées quand j’arrive sur l’esplanade, ciment, graviers, herbe rare et bâtiments emphatiques. Dire que c’est là qu’on va me brûler… L’Inde c’est tout de même mieux avec ses bûchers, au moins la fumée du corps monte vers le ciel, ça vous donne un supplément d’âme. Je m’approchai d’un petit groupe. Un type disait : « Il faut voir le columbarium ». J’y allai donc. Des tiroirs sur deux étages. Pour apporter des fleurs là-haut, il faut amener sa fronde ! — que je pensai avant de passer dans la salle aux discours. Dur d’entendre ça ! Entre flagornerie et hypocrisie. De quoi se retourner dans son cercueil si ça n’était pas si étroit, ce machin-là. Soudain, me voilà dans une file d’attente comme à la caisse du supermarché. Caisse ! Ah, ah, ah ! Je riais tout seul dans la mienne. Attendre, attendre, attendre encore… Que c’est long ! Et pas moyen de discuter avec le voisin, ça devient pénible. Allons, calme-toi, mon vieux, tu ne vas pas commencer l’éternité en ronchonnant…

Ça y est, brûlé, cendres recueillies et mises en boîte. Et je me vois poussé dans un coin, sans nom sur l’urne. J’attends. Rien. Toujours rien. Ils m’ont oublié, nom d’un chien ! Jusqu’à quand ? Je me suis toujours interrogé sur la main qui tient le sablier. « Hep, vous en bas, ohé ! Si vous me cherchez, je suis au bureau des objets trouvés ! »

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Jean François Maury
Jean François Maury
Agrégé d'Espagnol, concours externe (1969). Inspecteur d'Académie (depuis le 01/06/1977), hors-classe.Inspection Générale de l’Éducation Nationale. Parcours maçonnique sommaire : 5e Ordre du Rite Français, 33e Degré du REAA Initié à la GLNF en 1985 au Rite Français (R⸫L⸫ Charles d’Orléans N°250 à l’O⸫ d’Orléans). - 33e degré du R⸫E⸫A⸫A⸫ - Grand Orateur Provincial de 3 Provinces de la GLNF : Val-de-Loire, Grande Couronne, Paris. Rédacteur en Chef : Cahiers de Villard de Honnecourt ; Initiations Magazine ; Points de vue Initiatiques (P.V.I). conférences en France (Cercle Condorcet-Brossolette, Royaumont, Lyon, Lille, Grenoble, etc.) et à l’étranger (2 en Suisse invité par le Groupe de Recherche Alpina). Membre de la GLCS (Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité), Obédience Mixte, Laïque et Théiste qui travaille au REAA du 1er au 33e degrés, et qui se caractérise par son esprit de bienveillance.

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